PA­Com: Re­nens re­prend la main

En choisissant de concentrer l’urbanisation nouvelle dans quelques secteurs ciblés et de protéger strictement le reste de son territoire, la Municipalité de Renens propose dans son futur PACom sa propre interprétation du «développement vers l’intérieur» promu par la LAT 1.

Date de publication
04-06-2024

Dans le grand continuum urbain de l’Ouest lausannois, noyaux villageois, bâtiments et ensembles remarquables ainsi que quelques champs et espaces naturels subsistent dans les interstices, noyés dans une nappe indistincte de zones résidentielles, centres commerciaux, entrepôts d’activités et industriels, où la banalité architecturale l’a longtemps disputé au laisser-faire urbanistique. Identité flottante d’un territoire qui accueille l’expansion lausannoise et les activités productives de l’agglomération depuis plusieurs décennies. Au centre, Renens apparaît comme une commune entièrement urbanisée, coupée en deux par le faisceau des voies ferrées, dont les limites se confondent avec celles de ses voisines: Chavannes-près-Renens, Prilly, Ecublens, Crissier.

L’Ouest lausannois n’a pas attendu la révision de la LAT pour mener une réflexion stratégique intercommunale sur son développement. Le SDOL et le PALM1 ont, dès les années 2000, dessiné une vision d’avenir pour le territoire. Elle se concrétise aujourd’hui2, notamment sous la forme de nouveaux quartiers denses (L’Orée à Crissier, Les Cèdres à Chavannes-près-Renens, Prilly-Malley, etc.) mais aussi d’une transformation «diffuse» à coups de démolitions de villas et reconstructions de petits immeubles collectifs. Renens n’échappe pas au mouvement: si la Municipalité, qui ne possède pas de foncier ou très peu, a pu peu ou prou maîtriser son développement à travers ses plans de quartier localisés, elle a aussi vu le reste de son territoire se banaliser sous la pression des promoteurs. En révisant son plan d’affectation communal (PACom) (Fischer Montavon + associés, 2b architectes-urbanistes, Bruno MarchandImpact-Concept), elle entend reprendre la main et préserver ce qui peut encore l’être.

Un nouveau PACom

Le plan des zones qui s’applique jusqu’à l’entrée en vigueur du futur plan d’affectation communal date de 1947, une anomalie dont la commune n’a pas le monopole: à Vevey ou à Montreux aussi, des plans d’un autre temps ont perduré jusque très récemment, ou perdurent encore3.

Ce plan distingue trois types de zones: le centre et les zones des voies ferrées avec leurs terrains adjacents (rouge), la périphérie (bleu) et les villas (jaune), selon une vision radioconcentrique, du rouge au jaune. Les zones «mixtes» (un quadrillage noir surimposé à la couleur) offrent le choix: habitat ou activité. Si tout le territoire communal n’est pas complètement bâti, tout est constructible, à l’exception d’une micro «zone de non bâtir» (vert) qu’il faut chercher sur la carte entre le Collège et l’église protestante. Pas de zone de verdure, de zone d’utilité publique, ni de zones agricoles.

Pendant plus de 70 ans, ce plan a réglé le développement de Renens et de ses constructions, même si la Ville s’en est affranchie avec des plans de quartier spécifiques. Quand on demande à Mélanie Artique, urbaniste responsable du PACom et Adrien Curti, juriste au service Urbanisme, pourquoi ce plan n’avait jamais été révisé jusque-là, ils expliquent que sa souplesse et sa facilité d’utilisation lui ont permis de traverser les époques: les affectations «mixtes» ont par exemple facilité la construction de logements dans ces zones quand on en avait besoin. Mais aujourd’hui, «cette mixité se retourne contre nous sous la pression des promoteurs qui ne veulent faire que du logement et qui mettent en péril l’activité industrielle présente sur place, explique Mélanie Artique. Nous avions besoin de règles plus strictes.»

En 2014, l’entrée en vigueur de la révision de la LAT a obligé les communes à réviser leurs plans d’affectation en cas de surdimensionnement des zones à bâtir. Si Renens n’était pas concernée, elle a saisi l’opportunité de remettre sur le métier son plan des zones de 1947 pour se mettre en conformité avec certains principes de la LAT et de la LATC et intégrer les questions de protection de l’environnement, des sites bâtis, des dangers naturels, du bruit, etc. Le Plan directeur intercommunal de l’Ouest lausannois (PDi-OL), entré en vigueur en 2021, a servi de base au PACom, dont l’élaboration a également été menée parallèlement à celle du Plan Climat de Renens, entré en force en 2023.

Urbanisation différenciée

Si l’Ouest lausannois affiche des objectifs de croissance soutenus4, la Municipalité estime avoir déjà beaucoup construit depuis les années 19705, au regard de son petit territoire déjà bâti et très dense6. Elle entend donc faire sa part et répondre aux objectifs de croissance fixés par le Canton de Vaud, mais surtout proposer un développement plus qualitatif, maîtrisé, à un rythme moins soutenu, avec des objectifs ambitieux en termes de logements abordables.

«Nous voulions réfléchir à l’évolution de la ville par le vide, explique Mélanie Artique. Comment accueillir quand même de nouveaux habitants dans un territoire déjà bâti, avec quelle densité?» L’urbanisation nouvelle sera donc concentrée dans deux zones spécifiques: Malley-Gazomètre et Pallettes7. Ailleurs (soit sur environ 80 % de son territoire concerné par le PACom, donc hors plans de quartier), la Municipalité souhaite repenser son mode de développement, privilégiant la protection du patrimoine bâti et arboré, la qualité des espaces urbains, et limitant les nouvelles constructions et les démolitions. L’urbanisation différenciée est assumée, entre chirurgie lourde d’un côté et acupuncture de l’autre. Est-ce à dire qu’en dehors des zones ciblées, le territoire est mis en standby, gelé dans ses potentiels de développement?

Protection renforcée

La stratégie municipale se déploie dans le PACom autour de cinq thèmes: le patrimoine bâti, le patrimoine paysager, le logement, la densité et le stationnement.

Le patrimoine bâti du 20e siècle fait l’objet d’une protection renforcée qui se décline à travers de nouvelles mesures concernant les ensembles bâtis, des bâtiments et des sites bâtis, et des règlements de zone limitant les démolitions-reconstructions et encourageant les surélévations pour libérer le sol et préserver la pleine terre. Le PACom instaure ainsi trois mesures qui peuvent se superposer:

  • les «ensembles identitaires» (zone d’habitation de moyenne densité A - ZHMD A): il s’agit d’ensembles caractérisés par une harmonie du bâti et des aménagements extérieurs, bien qu’aucun bâtiment ne soit classé (certains bâtiments sont en note 3 et 4);
  • les «contenus superposés», qui se rajoutent aux règles des zones: secteur de protection du site bâti, de protection de la nature et du paysage, de la végétation, protection contre les risques, etc.;
  • les notes issues du recensement architectural: note 2 – Remarquable (règles fixées par le Canton), notes 3 – Intéressant et 4 – Bien intégré (règles fixées par la commune).

En réponse aux enjeux de biodiversité et de changement climatique, le patrimoine paysager est lui aussi valorisé et renforcé pour créer un maillage vert continu à l’échelle de la commune. Le PACom intègre des zones de verdure, des aires de végétation, un indice de surface verte important (70 % en zone villas) et propose en annexe un plan des bandes urbaines paysagères.

En matière de logement, la Municipalité exigera désormais 50 % de logements d’utilité publique (LUP) dans toutes les nouvelles constructions, les agrandissements (dont surélévations) et les changements de destination de plus de quatre logements8.

Quatrième point, la densité, concentrée sur les deux secteurs de Malley-Gazomètre et Pallettes. Ailleurs, la Ville privilégie le maintien du bâti existant et limitera les constructions nouvelles. En zone de faible densité, les droits à bâtir existants sont conservés et n’augmentent pas; l’indice d’occupation du sol (IOS) en zone de faible densité et en zone de moyenne densité A reste identique. Les zones de moyennes densité et la zone centrale peuvent faire l’objet de densification sur certains secteurs.

Enfin, en matière de stationnement, l’offre sur le domaine public est drastiquement réduite, comme le nombre de places par logement (norme VSS). Des parkings de quartier seront créés pour libérer l’espace public pour d’autres usages. En zone de moyenne densité et en zone centrale, les parkings seront souterrains pour limiter les places en extérieur.

La zone villa épargnée

Densifier ou non la zone villa? Vieux débat. Pour certains, c’est un gisement de droits à bâtir qu’il faut exploiter au nom du développement vers l’intérieur. Pour d’autres, c’est une réserve de biodiversité précieuse pour lutter contre le changement climatique, qui ne doit pas être sacrifiée sur l’autel de la densification. Si ce second argument est valable, il sert trop souvent d’alibi aux associations de défense des intérêts de propriétaires immobiliers individuels9 pour s’opposer à tout projet de construction (dans leur jardin!).

Renens, qui atteint déjà les objectifs de densification exigés par le Canton avec ses plans de quartier et où se pose donc moins que dans d’autres communes sous tension la question de la densification de la zone villa, a fait le choix de la considérer comme une ressource «verte» plutôt que comme un gisement «gris». «Poche de verdure», «poumon vert», la zone villa (zone d’habitation de faible densité A et B: quartiers-jardins) est elle aussi protégée: elle continuera ainsi à être régie par le règlement de 1947 qui limite les droits à bâtir. Si la question s’est posée d’appliquer les mesures du plan directeur cantonal, qui exigent d’atteindre un indice d’utilisation du sol (IUS) de 0.625 lorsqu’on modifie une zone d’affectation, la Municipalité a estimé que l’indice était trop élevé au regard de l’actuel (0.2) et risquait de générer une trop grande transformation de l’existant. Des évolutions resteront néanmoins possibles: dans le cas où tous les droits à bâtir n’ont pas été utilisés, et sous forme de petite densification par la mitoyenneté et/ou la contiguïté, autorisée par le règlement de 1947.

Ainsi, le PACom vient affiner la granulométrie des zones du plan de 1947, y introduire des subtilités et des règles ponctuellement beaucoup plus strictes. Proche du territoire tel qu’il est, le futur plan acte l’existant dans ses singularités, reconnaît et protége ses qualités urbaines et paysagères, en identifiant notamment les espaces verts publics, les zones forestières et les espaces publics collectifs (qui n’étaient pas repérés dans le plan de 1947). Il met en place un arsenal d’outils de protection au service d’une vision politique assumée d’un développement mesuré en dehors des plans de quartier, qui veut préserver ce qui peut encore l’être dans une perspective à la fois sociale, patrimoniale et environnementale. Si les règles sont sévères, conduisant à une forme de statu quo, le contexte de forte pression immobilière s’avère finalement favorable pour les imposer aux opérateurs privés et les contraindre à penser transformation-rénovation plutôt que démolition-reconstruction.

Notes
 

1 Le SDOL, initialement Schéma directeur de l’Ouest lausannois, a été publié en 2003, puis remplacé depuis 2021 par le Plan directeur intercommunal de l’Ouest lausannois (PDi-OL). Il regroupe les communes de Bussigny, Chavannes-près-Renens, Crissier, Ecublens, Prilly Renens, Saint Sulpice, Villars-Sainte-Croix. Le PALM – projet d’agglomération Lausanne-Morges – a été lancé en 2007 dans le cadre de la politique fédérale des agglomérations.

 

2 L’Ouest lausannois s’est transformé récemment en un vaste chantier: voir la carte interactive des projets et chantiers établie par le journal 24 heures: 24heures.ch/carte-interactive-tous-les-chantiers-et-les-projets-de-louest-lausannois-128357776476

 

3 À Vevey, le règlement sur les constructions datait de 1952 (mis à jour en 1964), il est en cours de révision. À Montreux, le plan de zones de 1972 est de nouveau en vigueur après l’annulation du Plan général d’affectation (PGA) en juin 2020 par le Tribunal fédéral.

 

4 Le plan directeur cantonal fixe une croissance totale pour l’agglomération Lausanne-Morges (périmètre compact) de + 75 810 nouveaux habitants de 2015 à 2030 et + 42 600 pour la période 2031-2040. Cette perspective de croissance retenue pour le PALM est supérieure à la moyenne cantonale. Le taux de croissance annuel de la population de l’Ouest lausannois devrait donc passer, selon les perspectives démographiques de 2016, à 3.1 % en moyenne jusqu’à l’horizon 2030 (entre 1.5 % et 6.3 % selon les communes), soit + 36 735 habitants. (Plan Directeur intercommunal de l’Ouest lausannois Vision 2040, juin 2021)

 

5 Voir l’édito de Stéphanie Sonnette, «Limiter les constructions neuves, une idée de droite ou de gauche?», TRACÉS 9/2023

 

6 7100 habitants au km2 en 2022, densité la plus élevée du canton derrière Vevey (8200)

 

7 La Ville de Renens vient cependant de déclarer ce site en zone réservée (gel des constructions pendant 5 ans) le temps d’élaborer un plan de quartier en phase avec les objectifs municipaux (Batimag, 02.02.2024, «Renens gèle un projet de construction de logements pendant 5 ans»)

 

8 Dans toutes les zones hormis la zone villa – où seulement deux logements par parcelle sont autorisés – qui n’est donc pas concernée par la mesure LUP.

 

9 À l’image de l’association Pic-Vert à Genève et Vaud

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