Made in Zurich
Depuis quelques années, le bureau genevois Made in fait parler de lui. Il s’est fait connaître par son apport théorique sur l’urbanisation de l’Arc lémanique et par ses propositions, parfois absconses et impudentes, toujours pertinentes mais jamais victorieuses, lors d’importants concours d’architecture. Il vient de conjurer le sort en remportant en début d’année le concours pour la construction de deux bâtiments de bureaux à l’entrée de la gare de Zurich. L’occasion de revenir sur sa vision rigoureuse, politique et intellectuelle de l'architecture qui tend parfois à l'élitisme
En 2004, face à l’inertie des autorités politiques en matière de logement, la section genevoise de la FAS lance le concours d’idée «Genève 2020». Il s’agissait d’imaginer le réaménagement complet du secteur Praille Acacias Vernets. Le second prix proposait, dans un présentation particulièrement soignée, une excavation de 3 millions de m2 permettant ainsi de définir des périmètres d’intervention prioritaires. Cette proposition, visionnaire pour certains, surréaliste pour d’autres, était le fruit du bureau Made in, une jeune structure créée en 2003 par Patrick Heiz et François Charbonnet.
En 2004, le think tank Avenir Suisse1 leur commande des images pour illustrer la Métropole lémanique. Par une série de montages photographiques, les deux architectes suppriment le lac Léman, montrant ainsi que l’élément géographique fondateur de cet espace fonctionnel est également celui qui l’empêche de se penser comme région métropolitaine.
Ces deux projets forment probablement les fondements de leur démarche, qui tire parti de l’image non pas pour représenter un état futur figé, mais pour suggérer une idée, soutenir une critique ou illustrer de manière informative un projet architectural en devenir. Diplomés en 1999 à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich auprès du professeur Hans Kollhoff et formés chez Herzog & de Meuron et Rem Koolhaas, les deux architectes vont, tout au long des nombreux concours auxquels ils ont été primés sans jamais être lauréats, cultiver une posture critique et de libres-prenseurs les deux architectes ont décliné l’invitation de la FAS à faire partie des leurs soutenue par une idée très précise de ce que doit être le métier d’architecte.
Architecture performative
Pour Made in, la qualité d’un objet architectural ne se mesure pas uniquement à sa forme et à la manière dont il répond à un programme donné, mais à son «aspect performatif». Au-delà de son esthétique, qu’est-ce que l’objet architectural peut produire dans le système urbain dans lequel il s’implante? Cette vision politique et parfois opportuniste de la proposition architecturale est parfaitement évoquée dans le projet que le bureau a présenté lors du concours pour la passerelle piétonne du Mont-Blanc à Genève, lancé en 2012 par la Ville et remporté par Pierre-Alain Dupraz architectes. Ne souhaitant pas simplement ajouter une passerelle à un environnement qui en compte déjà deux (pont des Bergues et pont de la Machine), les architectes genevois ont proposé une véritable infrastructure urbaine dépassant de loin le programme donné (image et image). Leur projet exploite toute la largeur du périmètre à disposition, 35 m, pour offrir un nouveau morceau de territoire qui achève la promenade des quais initiée au 19e siècle, s’inscrivant ainsi dans l’histoire urbaine de Genève. Ils étendent le programme à une infrastructure touristique, symbolique et événementielle. Par le détournement d’un dispositif technique et historique, la roue à eau (image), ils dessinent une esplanade d’où observer la rade, un espace public multifionctionnel et offrent à Genève un objet iconique, le pendant horizontal du jet d’eau de Genève (image). En produisant de l’électricité pour l’éclairage public, en protégeant du vent les cyclistes et en créant une barrière phonique, le projet se voulait également performatif pour le pont du Mont-Blanc.
Le concours comme acte critique
Sûr de son art, le duo genevois n’hésite pas, dans ses rendus de concours, à questionner la pertinence du programme et son intitulé, et à critiquer certains aspects de l’architecture contemporaine.
Le projet réalisé pour le concours des pavillons de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) en est un bel exemple2. Peu satisfaits de la définition du programme, les architectes ont reconsidéré l’étymologie même du mot pavillon un bâtiment secondaire mais dont le rayonnement et l’influence dépassent le site d’implantation et la raison d’être de l’école. Les architectes ont alors cherché à dessiner des pavillons qui n’entrent pas en concurrence avec le Rolex Learning Center et qui ne puissent être réalisés sans l’apport scientifique de l’EPFL. Le pavillon Welkom (image et image) prend la forme d’une véritable porte d’entrée où sont exposés les hauts faits de l’école. Le pavillon du Montreux Jazz Lab (image et image) est pensé comme un véritable laboratoire de recherche acoustique et comme une scène de concert sans musiciens, suggérant que l’objet se suffit à lui-même et égratignant ainsi la tendance iconique que prend l’architecture sur le campus de l’EPFL. Critique réitérée par l’emplacement du Pavillon des arts, placé au cœur même du Rolex Learning Center, venant ainsi souligner la dimension purement artistique de l’œuvre des architectes japonais (image et image). En créant non seulement un espace d’exposition mais également un promontoire pour contempler la vague japonaise, Made in met en évidence la prouesse technique et la réussite architecturale de SANAA, tout en insistant sur les dysfonctionnements du bâtiment, le réduisant ainsi à une pure fonction contemplative et de représentation. Ils désacralisent dans le même temps la signature individuelle de l’objet architectural.
L’âge de la raison?
Ironie du sort, c’est par une proposition tout aussi rigoureuse dans l’approche formelle et technique, mais moins conceptuelle et critique dans l’approche programmative et dans la manière dont le projet a été présenté, que les architectes remportent leur premier concours. Ce dernier, lancé en mars 2013 par les CFF, portait sur deux bâtiments de bureaux et de commerces le long de la Zollstrasse, à l’entrée de la gare principale de Zurich. Le programme du concours laissant peu de choix quant à la coupe et aux volumes, les architectes genevois ont misé sur l’intégration des deux bâtiments à la gare centrale et sur un geste architectural fort : une façade sud de 130 mètres de long qui épouse la courbe des quais et qui, à l’extrémité ouest, forme un auvent qui se résorbe tout au long de la construction (image et image). De ce côté, l’inclinaison de la façade est la même que celle des poteaux de la réalisation du couvert réalisé par le bureau de Marcel Meili et Markus Peter en 1997. Afin d’assurer cette double courbure, longitudinale et verticale, la façade se décline en plus de 8000 petits carreaux de verre. Côté nord, la façade adopte le langage et l’échelle industriels du Kreis 5 (image). Si l’exigence de rentabilité des CFF ne vient pas altérer l’évolution du projet, l’esthétique de la face sud des deux bâtiments imaginés par Made in pourrait bien en faire des objets iconiques
.
A l’heure où la contextualisation et la durabilité sont vendues à chaque concours, où les rendus n’ont plus le choix que de n’être que de simples variantes des études de faisabilité, l’approche de Made in, aussi prétentieuse puisse-t-elle paraître, n’en est pas moins salutaire. Par leur travail persévérant sur les images, ils s’éloignent du monde « illustratif et univoque des représentations synthétiques » pour entrer dans celui des figurations incertaines, débordantes et vagues. En cela, ils réintroduisent l’imaginaire, le doute, le questionnement, l’indétermination et assument ouvertement ce qui fait la beauté de l’architecture: son processus.
Zollstrasse Ost. Dienstleistung
Mandats d’étude parallèles en trois tours avec présélection
Objets : 13 000 m2 de bureaux et de commerces répartis en deux bâtiments
Maître d’ouvrage : SBB-CFF Immobilien
Lauréat :
Made in Sàrl, Genève
Participants :
agps architecture ltd. studio Zurich,
Armon Semadeni Architekten GmbH, Zurich
Michael Meier und Marius Hug Architekten AG, Zurich
Baumschlager Eberle Zurich,
Burkard Meyer Architekten BSA AG, Baden
Fiechter & Salzmann Architekten GmbH, Zurich
Kuehn Malvezzi Architects, Berlin
:mlzd, Bienne
Atelier Kempe Thill, Rotterdam