Un ca­bi­net afro-fu­tu­ris­te à NY

Hella à New York

Mieux vaut tard que jamais: le Metropolitan Museum de New York met en valeur l’artisanat et les aménagements domestiques des immigrants du continent africain. Ces intérieurs n’évoquent pas seulement le passé, mais esquissent aussi un possible avenir. 

Publikationsdatum
28-06-2022

Comme toutes les grandes institutions culturelles le Metropolitan Museum of Art de New York s’efforce depuis quelque temps de revoir son approche des productions artistiques de ce qu’il est convenu d’appeler les minorités. Et la richesse du fonds à disposition de l’équipe curatrice de cette nouvelle installation démontre bien que la qualité muséale de nombreux meubles et équipements de provenance africaine est incontestable.

La présente contribution ouvre notre série estivale «Hella à New York». Au coup par coup et durant trois mois, Hella Schindel, rédactrice à espazium, nous fera part de ses trouvailles au cœur de la Grosse Pomme.

Sous la forme de period rooms «afro-futuristes» – un vocable qui se veut synonyme de «regard créatif transdisciplinaire sur l’imaginaire, l’excellence et la conscience de soi des communautés noires» –, le design de mobilier et la culture domestique des populations africaines fait son entrée dans l’aile américaine du Metropolitan Museum. Un ajout qui se veut complémentaire des 34 period rooms reconstituant des intérieurs historiques iconiques, qui ont par le passé influencé l’architecture d’intérieur américaine. D’une chambre à coucher de Pompei à un séjour de Frank Llyoyd Wright l’éventail est large – pourtant, les apports évidents des premiers arrivants à Manhattan n’avaient jusqu’ici pas trouvé place dans cet ensemble. Une lacune que l’on souhaite rapidement faire oublier.

La transformation des racines

A la base de l’installation, les résultats de fouilles menées en 2011 dans Central Park tout proche. Car, avant la création du parc en 1857 et la fusion des cinq «borroughs» qui deviendront la ville de New York, le lieu abritait déjà un peuplement. Au milieu du 19e siècle, une cinquantaine de maisons y formaient le «Seneca Village», où résidait une majorité de personnes d’origine africaine sur des terrains en propriété. A l’écart de la densité déjà élevée de Lower Manhattan, elles y avaient créé leur monde propre, avec des écoles, des églises et des jardins. Pour faire place au parc et sous des prétextes hygiéniques, ces gens ont alors été expropriés et déplacés.

L’exposition est intitulée «Before yesterday we could fly» – évoquant une fable selon laquelle un groupe d’Africains de l’ouest auraient échappé à l’esclavage en s’élevant dans les airs pour un vol de retour dans leur patrie. Dans une salle dédiée, la reconstitution d’une hutte de l’époque et de ses probables transformations ultérieures invite le public à en faire le tour et à apercevoir le logis et la cuisine par les fenêtres et des parois ouvertes.

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Le plan libre doit aussi être compris comme une référence aux principes du style international cher à Mies van der Rohe. Car, à l’inverse des intérieurs précédents, la conception des locaux n’englobe pas uniquement des éléments du passé, mais aussi du présent et d’un futur imaginable. La création de certains objets est issue de commandes spécifiquement destinées à cette salle. Cet aplatissement de la temporalité fait référence à l’approche africaine de l’art, dont la rationalité ne se base pas sur des périodes ou des époques, mais demeure modifiable au gré de récits transmis oralement.

Des meubles chargés de sens

Les artefacts exposés ont été fabriqués partout où des gens d’origine africaine se sont retrouvés. Les peignes y tiennent une place particulière et représentent aujourd’hui un symbole identitaire majeur. Le soin des cheveux, si souvent maltraités ou cachés sous des perruques, est devenu l’expression de l’inclusion et de l’égalité entre morphologies dissemblables.

S’y ajoutent des prototypes de mobilier et d’ustensiles domestiques contemporains, d’origine artisanale ou industrielle, produits dans le monde entier tout en étant ancrés dans la culture africaine. A côté d’une chaise en bois courbé qui prend la forme d’un peigne (Mido Chair, 2021, noyer plaqué; designer: Jomo Tariku, Éthiopie/USA, né en 1969), on trouve différentes assises en céramique ornées de motifs traditionnels (Imbizo Stool; artiste: Chuma Maweni, Afrique du Sud, né en 1976).

L’ensemble formé d’une table ronde et de sièges réunissant les membres d’un ménage représente, autrefois comme aujourd’hui et en Afrique comme en Amérique, le centre de la convivialité domestique. Pour le séjour adjacent, Ini Archibong a créé trois pièces de mobilier. Son luminaire, fait d’éléments de verre jaune-vert rappelant des bouteilles, confère son atmosphère à la mise en scène. Les couleurs évoquent des tissus africains, mais elles sont le produit des traditionnelles techniques de soufflage de verre d’origine vénitienne.

La construction d’un siège s’inspire de la figure mythologique d’Atlas portant le poids du monde sur ses épaules – une image de peine et de responsabilité, que le designer intègre à sa représentation de la culture africaine contemporaine. La table assortie repose sur trois jambes de verre surmontées d’un plateau de marbre qui semble beaucoup trop lourd. Enfant de parents nigérians élevé en Californie et aujourd’hui installé à Neuchâtel, le concepteur emploie sciemment des matériaux luxueux pour mettre en œuvre des formes simples. Il s’inscrit ainsi dans le courant du design international. Mais en brouillant les références géographiques, culturelles et temporelles et en établissant de nouveaux liens, il le remet également en question.

Qu’est-ce qui est vrai?

Propre à l’influence culturelle africaine, ce scepticisme envers l’articulation convenue de l’histoire de l’art imprègne aussi le projet de la vidéaste Jenn Nkiru («Out/side of time»), une artiste et metteuse en scène d’origine nigériane, qui a grandi à Londres et est devenue célèbre par des vidéos pour Beyoncé: au lieu d’une table, elle a assemblé un cube fait d’écrans. Les films montrent des reconstitutions de la vie d’une famille à Seneca Village, mêlées d’archives du 19e siècle et de dérangeantes images d’une créature hurlante. L’amalgame des réalités se retrouve à la fois dans la forme du meuble – dont les éléments, bien qu’équipés de techniques dernier cri, renvoient à l’esthétique des années 1960 – que dans le propos des films projetés.

Face à cette appréhension différente de la vérité et du récit, les autres period rooms, qui sont de fait aussi composées d’éléments fictionnels et historiques, apparaissent sous un nouveau jour sans même que cela soit explicité ou thématisé.

Par la remise en question de l’approche jusqu’ici réservée aux images iconiques de la culture nationale américaine, le Metropolitan Museum apporte sa contribution au débat sur l’intégration de la population noire d’Amérique et les réparations qui lui sont dues. L’installation ne saurait effacer le traitement ignoble jadis appliqué aux personnes habitant Seneca Village, mais elle mérite d’être saluée comme un symbole d’ouverture sur ce sombre chapitre historique.

 

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