Eaux anthropiques
Bleue, grise, jaune ou brune: quelle que soit sa couleur, l’eau est une ressource précieuse dont la gestion ne peut se faire que de manière intégrée. Il est de la responsabilité de chaque acteur de regarder au-delà de son seul intérêt géographique ou sectoriel.
On appelle la Terre la planète bleue car l’eau recouvre 71 % des 510 millions de km² de la surface du globe. On estime son volume à environ 1.4 milliard de km3. 97.2 % de cette eau est salée et des 2.8 % d’eau douce, seuls 0.7 % sont disponibles, le reste étant piégé dans les glaces polaires. Le rayon de la grosse goutte qui engloberait cette eau douce disponible ne mesurerait que 132 km. Imaginons qu’on la dépose délicatement au centre de la Suisse, quelque part aux environs de Lucerne: elle dépasserait à peine nos frontières!
Déjà rare dans de nombreux points du globe, cette précieuse ressource est soumise aux pressions climatique et démographique. Elle est l’enjeu de conflits d’usage appelés à augmenter: elle irrigue les cultures, évacue nos déchets, nous chauffe ou nous refroidit, nous offre des espaces de loisirs et de détente. Jusqu’à récemment, la gestion de nos eaux s’est faite en silos sectoriels : on corrigeait un fleuve pour lutter contre ses crues… mais ce faisant, son delta n’était plus alimenté en sédiments et ses berges étaient rongées par les vagues: des terres agricoles disparaissaient, la biodiversité terrestre et aquatique s’appauvrissait. À l’embouchure de la Reuss dans le lac d’Uri, les travaux des tunnels de l’Axen et du Gothard ont été l’occasion d’imaginer une autre approche, plus globale, de la gestion des remblais que génèrent de tels chantiers.
Sur le site de bluefactory, à Fribourg, un projet de ville éponge visant une gestion intégrée de l’eau sur le site de cette ancienne brasserie est en développement: les eaux industrielles, les eaux de pluie, les eaux grises, les eaux jaunes, les eaux brunes, toutes seront traitées et valorisées sur place, sous forme d’engrais, de compost ou encore de chaleur. Après traitement, ces eaux serviront également à réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain en alimentant des bassins et des noues, ainsi qu’à arroser la végétation.
Les stations d’épuration font elles aussi davantage que traiter les eaux usées: les déchets que rejettent nos activités tant physiologiques qu’industrielles y sont valorisés, dans le souci d’en réduire l’impact sur le climat et de préserver les ressources naturelles.
Longtemps comparée à un château d’eau, la Suisse commence enfin à prendre conscience que ce cadeau de la géographie n’est pas un capital éternel dont on peut disposer, sans se soucier de lendemains – forcément abondants. Eaux bleues, grises, brunes ou jaunes: ne serait-il pas temps enfin d’arrêter ces discriminations? Et de réaliser que, quelle que soit sa couleur, l’eau est une ressource précieuse dont la gestion ne peut se faire que de manière intégrée. Il est de la responsabilité de chaque acteur de regarder au-delà de son seul intérêt géographique ou sectoriel.