Et pour­tant il dé­bor­de!

Les récentes crues en Valais remettent en cause la décision du Conseil d’État valaisan de revoir le projet de la troisième correction du Rhône, jugé «disproportionné» par un rapport d’experts en immobilier de mars dernier. Philippe Morel, rédacteur en chef adjoint de la revue Tracés, réagit dans l’éditorial du numéro de juillet.

Publikationsdatum
01-07-2024

Le 28 mai dernier, lors d’une conférence de presse, le Conseil d’État valaisan confirmait ce que les bruits de couloir et le courroux des autorités vaudoises laissaient présager: la 3e correction du Rhône (R3), mise sur pause, sera réévaluée. Ceci à la suite des conclusions sans équivoque d’un rapport d’expert mandaté par l’État du Valais et rédigé par un bureau spécialisé… dans le développement immobilier. (lire l’analyse du projet réalisée par E-AS SA et rendue au Conseil d'État valaisan en mars dernier)

Ce rapport délivre un zéro pointé aux travaux réalisés durant vingt ans par des dizaines d’ingénieurs, validés par des autorités tant cantonales que fédérales, et même par le peuple valaisan à l’occasion du référendum sur le décret de financement pour le projet Rhône 3 du 14 juin 2015. 

Si la presse a surtout titré sur la colère du Conseil d’État vaudois et les prises de position des Vert-e-s Valais, il a fallu tendre l’oreille pour entendre la voix d’une génération d’ingénieurs ainsi désavouée en place publique, bien muette hormis quelques courageux Winkelried1

Fin juin, c’est malheureusement le Rhône qui a fini par donner de la voix. Une première fois en grondant, puis une deuxième en rugissant, montrant par là même toute sa puissance sans pour autant tout ravager sur son passage, comme s’il ne s’agissait là que d’un avertissement, lourd de menaces.

Que le projet R3 – lancé au début des années 2000 – nécessite des ajustements, que de nouvelles problématiques (évolution de la loi fédérale sur l'aménagement des cours d'eau, découverte de sites pollués, préservation des surfaces d’assolement, etc.) voient le jour, tout le monde peut en convenir. Que des politiciens doivent faire des arbitrages entre des projets prioritaires faute de ressources financières suffisantes, on peut le comprendre. Mais alors que ces ajustements et ces arbitrages soient faits rationnellement, sur la base de conclusions partagées par la majorité des professionnels impliqués, et non pas au nom d’une idéologie ou de la défense d’intérêts sectoriels.

À l’époque de la post-vérité et des faits alternatifs, de la remise en cause de la méthode et du consensus scientifiques, de la monopolisation de la parole publique par de pseudo-experts du café du commerce (les fameux spécialistes EPF - école primaire Facebook), il est primordial que les ingénieurs et les associations qui les représentent réinvestissent le débat public et fassent entendre leurs voix. C’est aussi notre mission de journal professionnel de la leur donner, de la rapporter, d’enquêter, de pointer du doigt les incohérences. La tâche est bien souvent ingrate, elle expose les volontaires aux vociférations des réseaux sociaux et peut aussi exercer une influence négative sur l’obtention de mandats. À vous les Sisyphe qui préférez remonter votre rocher au sommet de la pente plutôt que de le voir emporté par un fleuve en furie, nos pages vous sont ouvertes!

Note

 

1. Voir par exemple l’interview de l’ingénieur hydraulicien Jürg Speerli par Canal 9