Construire en zone de glissement: un guide pratique
Menée de façon inappropriée, une intervention en zone de glissement peut entraîner des dégâts et des coûts importants. Un guide pratique paru récemment démontre comment des mesures réfléchies en matière d’aménagement du territoire, d’étude et de réalisation de projets peuvent contribuer à identifier et prévenir les risques.
Quelque 6% de la superficie totale de la Suisse (1) sont soumis à des glissements permanents (y compris les glissements inactifs). Sur de tels versants, même de petites activités de construction peuvent déstabiliser toute une zone, bien au-delà de la fosse d’excavation. Les coûts entraînés se montent souvent à un multiple des dépenses nécessaires à une conception de projet adéquate et à la stabilisation de la pente. Dans ces zones, de nombreux sinistres pourraient être évités grâce à des mesures de sensibilisation adaptées, portant sur la conception et la réalisation de projets de construction.
Dans cette optique, et en vue de faire prendre conscience des risques à un public non expert en dangers naturels, comme les autorités responsables de constructions, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) a chargé inggeol.ch d'élaborer une aide praitque. Publié à l’automne 2023, le guide «Bauen im Rutschgebiet» (2) (construire en zone de glissement, disponible seulement en allemand) ne traite toutefois pas des glissements spontanés.
Les limites de la carte des dangers
Les glissements permanents correspondent à des mouvements de pente plus ou moins continus (2), pouvant même se produire en terrain plat. Les caractéristiques du glissement sont déterminées par les conditions géologiques et hydrogéologiques. Les projets de construction peuvent perturber l’équilibre d’une zone de glissement permanent et ainsi réactiver des glissements inactifs depuis des décennies. Le mécanisme et les causes des glissements permanents sont souvent complexes, ce qui complique fortement l’évaluation des processus ainsi que l’élaboration de modèles de glissement.
Les cartes des dangers naturels classent les glissements en trois catégories (1) et s’appuient sur des critères tels que les déplacements annuels moyens, le potentiel de réactivation, les mouvements différentiels et la profondeur de la surface de glissement. Ces cartes représentent l’état naturel et intact des glissements, mais n’informent pas sur leur stabilité en cas de construction. Les glissements apparemment stables ou qui ne se déplacent que lentement sont souvent catégorisés comme zones de faible danger. Ces zones n’étant en principe pas soumises à des contraintes réglementaires, les risques liés à un projet de construction sont souvent sous-estimés. En effet, aucune indication n’est donnée au sujet des changements futurs qui pourraient survenir, qu’ils soient d’origine naturelle ou occasionnés par l’action humaine. C’est pourquoi la carte des dangers ne saurait suffire en tant que base pour la planification de projets de construction. Des études géologiques et géotechniques spécifiques à chaque projet sont indispensables.
Attention aux glissements inactifs
En modifiant l’état d’un glissement, des travaux de construction peuvent le réactiver. La plupart du temps, l’impact ne se limite pas à la zone d’excavation, mais touche aussi les surfaces adjacentes, voire l’ensemble du glissement. La stabilisation d’un glissement réactivé est une entreprise à la fois complexe et coûteuse. Une intervention peut déclencher une réactivation de diverses manières: décharge en pied consécutive à une excavation, surcharge due au dépôt de matériel d’excavation, modification des voies d’écoulement de l’eau par un compactage étendu, ou encore drainage insuffisant de l’eau de pluie.
La réactivation d'un glissement de terrain peut entraîner de nombreux dommages: déplacements verticaux et horizontaux ainsi que formation de fissures dans les routes, les canalisations et les bâtiments pouvant être de nature structurelle ou seulement visuelle. Ces glissements peuvent aussi provoquer des basculements massifs de bâtiments et les rendre inhabitables. Les dommages non visibles, comme la formation de cavités ou les fuites d’eau, sont particulièrement dangereux, car ils peuvent causer des effondrements soudains ou des glissements spontanés.
Les démarches juridiques en cas de dommages sont souvent laborieuses, dans la mesure où il est difficile de faire la part entre les causes naturelles d’un glissement et une réactivation due aux travaux. Pour clarifier la situation, un monitoring basé sur de longues séries de données, une analyse approfondie des risques et un descriptif précis des risques acceptables sont nécessaires.
La conception de projet, garante de stabilité
Planifiée avec minutie, une intervention n’impactera pas nécessairement la stabilité d’un terrain et peut même l’améliorer. À cet effet, le règlement relatif aux constructions et aux plans de zones des autorités peut comporter des prescriptions spécifiques aux glissements. Celles-ci devraient par exemple exiger des analyses de stabilité durant la construction et à l’état final, de même qu’un journal de contrôle et de surveillance pendant les travaux, incluant les valeurs seuils fixées, les responsabilités définies et les mesures prises. Un exemple est présenté dans le guide pratique «Bauen im Rutschgebiet».
Par ailleurs, tant les maîtres d’ouvrage que leurs mandataires doivent veiller à la bonne conduite du projet, en faisant appel à des professionnels expérimentés, en appliquant des concepts et dimensionnements éprouvés et en maintenant une surveillance de chantier adéquate. À cet effet, une connaissance approfondie du sol de fondation est indispensable, sur la base d’études géologiques et géotechniques pertinentes. Pendant la phase de réalisation, il conviendra également de définir clairement les rôles et responsabilités des parties prenantes, c’est-à-dire les maîtres d’ouvrage, les responsables de projet ainsi que d’autres spécialistes impliqués, tels que les géologues et les géotechniciens. Selon la situation, il est recommandé de poursuivre le monitoring pendant la phase d’exploitation. Des exemples concrets sont également donnés dans le guide pratique.
L’indispensable analyse des risques
Les processus de glissement sont complexes, leur évaluation comporte une part d’incertitude. Une analyse des risques s’avère donc indispensable à la bonne conduite des projets de construction : cet examen doit nommer les risques généraux ainsi que les risques résiduels liés à la construction et indiquer les mesures susceptibles de les réduire. Une base de projet et une convention d’utilisation doivent préciser les contraintes acceptées par le maître d’ouvrage. Il est recommandé d’impliquer le plus tôt possible la compagnie d’assurance au projet et à l’analyse des risques afin d’éviter des lacunes ultérieures, d’ordre juridique ou assurantiel.
Références
(1) OFEV (2016) Protection contre les dangers dus aux mouvements de terrain. Aide à l’exécution concernant la gestion des dangers dus aux glissements de terrain, aux chutes de pierres et aux coulées de boue, 100 p.
(2) AGN (2023) Guide pratique « Bauen im Rutschgebiet », 38 pages (en allemand). Source : www.inggeol.ch/publications
Norme applicable:
(3) Norme SIA 261/1, Actions sur les structures porteuses – Spécifications complémentaires
Pour joindre les auteur·trices
Rachel Riner, géologue, GEOTEST AG, rachel.riner [at] geotest.ch (rachel[dot]riner[at]geotest[dot]ch)
Giovanni Pedrozzi, géotechnicien, Studio di geologia Ing. Pedrozzi & Associati SA, g.pedrozzi [at] geologiapedrozzi.ch (g[dot]pedrozzi[at]geologiapedrozzi[dot]ch)