À Si­vi­riez: l’EMS hors les murs?

Au sud du district de la Glâne, une soixantaine de résident·es ont emménagé à la fin de l’été dans le nouvel établissement médico-social (EMS) de Siviriez, réalisé par le bureau zurichois Atelier Prati Zwartbol (APZ) à l’issue d’un concours en procédure ouverte SIA 142. Pour l’architecte Lea Prati, l’un des enjeux du concours en 2018 était de «réussir à insérer ce bâtiment imposant dans le village de Siviriez, en évitant le piège d’un urbanisme au lancer de dés, où la forme prime sur l’intégration au contexte» comme on a pu le voir dans la série de projets basés sur des plans en forme de 8.¹ La critique du formalisme associé aux EMS récents trouve ses racines dans la nature même d’un programme introverti, destiné avant tout à assurer la sécurité des personnes âgées et matérialisé par une architecture de la série – celle des chambres – articulée autour d’une ou deux cours. Au fil du temps, les EMS sont devenus une typologie à part entière dont les contraintes sont telles qu’elles limiteraient la liberté architecturale à une distorsion volumétrique. S’il en respecte les codes architecturaux, celui de Siviriez se distingue par une approche davantage contextuelle et particulièrement ajustée à la réalité de l’EMS dans les communes rurales.

L’EMS, un bâtiment communal

Sur la même parcelle, le nouvel EMS de Siviriez remplace un bâtiment existant – autrefois une école, agrandie par plusieurs extensions, dont une des années 1990 – qui sera démoli prochainement. Lors du concours, le projet d’APZ s’est démarqué par la radicalité et la simplicité de son plan: une structure carrée autour d’une cour orthogonale, agrémentée de trois pignons– chaque front étant en lien avec son contexte immédiat. Le long de la route de Romont, l’entrée du foyer de jour s’inscrit dans une série de façades légèrement en retrait par rapport à l’axe majeur de la commune. L’entrée principale de l’EMS de Siviriez donne sur la route de l’Église, perpendiculaire à la précédente, et bien plus calme. De ce côté, l’EMS s’intègre dans une succession de bâtiments publics modestes et éloignés de la voirie: auberge, hall de gym, bâtiment communal, et leurs espaces de stationnement attenants. Vers l’intérieur de la parcelle, le troisième pignon permet de délimiter une large terrasse avec vue sur l’église de la commune, et son cimetière.

Le jeu mesuré des pignons – qui marquent les entrées tout en ancrant l’EMS dans son environnement – est complété par un choix de façade assez sage. L’ensemble réinterprète le langage de l’architecture vernaculaire locale : vus de face, les pignons font écho à la volumétrie des fermes de la Glâne tout comme la tripartition entre le rez-de-chaussée minéral en béton préfabriqué, les étages en bardage bois, et la toiture à deux pans. En plus des pignons qui séquencent l’enveloppe, quelques exceptions créent la variation, comme l’entrée du foyer de jour, entièrement en béton préfabriqué, et son balcon situé au niveau du repli de l’enveloppe. Ailleurs, les fenêtres à la française des chambres instaurent un rythme et des proportions distincts des autres ouvertures. La contemporanéité se manifeste également à travers les teintes grisonnantes des matériaux et l’épure des lignes, qui s’étendent sans interruption de la verticale des façades jusqu’au faîte de la toiture. Le thème de la toiture en pente à 18° sera par ailleurs inlassablement repris et répété à l’extérieur comme à l’intérieur du bâtiment, du pli de l’auvent qui couvre l’entrée des livraisons au détail des poignées de placards; des garde-corps à la signalétique générale de l’établissement.

La cour, un salon commun

L’harmonisation de l’EMS de Siviriez avec son contexte et son identité propre en font un lieu reconnaissable dont la cour agit comme une force centrifuge. Le dessin des façades intérieures et des avant-toits, les couleurs et les transparences, mais aussi la générosité de l’aménagement paysager apportent une certaine effervescence à cette cour, qui contraste avec l’extérieur du bâtiment. Prérequis pour de nombreux EMS, le bâtiment sur cour est aussi plébiscité pour ses vertus thérapeutiques. Il permet d’éviter l’effet de couloir – qui rappelle trop les constructions hospitalières – tout en offrant un espace de déambulation intérieur sécurisé et balisé. Afin d’éviter le circuit en boucle, uniquement rythmé par les portes des chambres, des percées visuelles vers l’extérieur au niveau des têtes de bâtiment ainsi que des petits salons aménagés permettent aux résident·es de se repérer. Mais c’est le fait de voir et d’être vu qui revêt une importance toute particulière dans l’EMS de Siviriez. Les architectes sont parvenus à préserver les cages d’escalier vitrées donnant sur la cour – contrairement aux recommandations du jury – afin d’intégrer le mouvement du personnel à la vie de l’EMS. Ils ont également défendu le maintien des vitrages toute hauteur – malgré les recherches d’économies du maître d’ouvrage – pour permettre aux résident·es de pleinement prendre part aux animations de la cour, depuis les espaces de «séjours d’unité», sortes de salons communs.

Si l’on retrouve dans les chambres, séjours et recoins intimistes des étages, du mobilier et des matériaux se rapprochant d’une approche domiciliaire de l’EMS, deux espaces majeurs sont traités comme de véritables lieux d’activité ouverts sur l’extérieur. Par leurs boiseries, mais aussi dans le soin apporté à un aménagement séquencé par le mobilier, la cafétéria et la salle à manger se rapprochent d’un bar-restaurant. Avec son vitrail caractéristique de la région, la salle polyvalente / chapelle s’apparente à une petite salle communale – le mobilier liturgique ayant également été conçu par les architectes. Cour et espaces communs sont dans l’ensemble finement dimensionnés et détaillés pour à la fois permettre l’intimité et accueillir les événements collectifs, communaux ou même les rencontres avec d’autres EMS. Dans une réalisation au plan radical et structuré, il est finalement possible de trouver une grande fluidité d’usages grâce à une conception qui se fait de bout en bout par une équipe de mandataires attentive – et écoutée.    

L’EMS en milieu rural a cette fantastique capacité à décloisonner une conception médicalisée du grand âge. Dans un environnement moins tumultueux que celui de la ville, il peut se faire une place parmi les infrastructures ouvertes au public, en mettant en oeuvre la transgénérationnalité à l’échelle des petites communes. L’EMS de Siviriez, par son implantation contextuelle et ses qualités architecturales, indique qu’il ne manque qu’un pas supplémentaire pour que ce programme ne soit plus pensé – ou ressenti – comme un lieu d’enfermement autour d’une cour mais comme une structure ouverte vers l’extérieur. À quelques mètres, des logements adaptés pour les personnes âgées sont prévus sur la même parcelle. Il serait souhaitable d’y inclure des activités favorisant des synergies, non seulement avec l’EMS, mais aussi avec les autres lieux de rencontre de la commune. Pourtant, cette approche progressive ne fait pas le poids contre la tabula rasa. En face du nouvel EMS, l’ancienne résidence sera bientôt démolie malgré les protestations des architectes et les nombreuses possibilités de transformation partielle offertes par une construction ni trop ancienne structurellement, ni trop problématique sur le plan urbanistique.

Note

 

1. Voir «Pourquoi tant de plans d’EMS ressemblent-ils à des 8?», Mounir Ayoub, TRACÉS, 27 novembre 2020.

Établissement médico-social, Siviriez (FR)

 

Maîtrise d’ouvrage: Réseau Santé Glâne

 

Architecte: Atelier Prati Zwartbol

 

Direction des travaux: Deillon Delley architectes

 

Architecte-paysagiste: studio boden

 

Ingénieur civil: Bosson ingénieurs

 

Ingénieur électricien: J. Piller

 

Ingénieur CVS: Energie Concept

 

Physique et acoustique: CSD Ingénieurs

 

Concours: 2018 (voir tous les projets primés sur competitions.espazium.ch)

 

Réalisation: 2018-2024

 

Surface brute de plancher: 6270 m²

 

Surface des aménagements extérieurs: 9050 m²

 

Coût des travaux: 24.5 mio CHF