Une pa­ti­noi­re à tout prix

La Valais Arena à Sierre

L’écoquartier VIVA, qui abritera la future patinoire Valais Arena à Sierre, est aujourd'hui validé, mais contesté. Issu d’une planification-test exemplaire, le projet initial a été dopé et les échelles se sont envolées à l’arrivée des investisseurs privés. 

Publikationsdatum
04-02-2025

Titanesque, surdimensionné, démesuré ou encore disproportionné: tels sont les qualificatifs employés par les détracteurs du futur quartier VIVA situé à proximité de la gare de Sierre et qui abritera la nouvelle patinoire Valais Arena. Approuvé par le Conseil général le 11 décembre dernier, le projet est contesté par une partie de la population qui demande qu’il soit soumis à votation. Entre les ambitions municipales initiales qui ont abouti à l’image directrice «Condémines 20-30» fin 2019 et l’actuel projet porté par le promoteur Urban Project, l’ensemble a été poussé à son paroxysme. Gonflé de toutes parts, l’écoquartier a vu sa densité presque doubler, les immeubles se sont épaissi et élevé, et la patinoire s’est transformée en centre sportif et commercial. 

Un premier lever de rideau l’été dernier a laissé entrevoir les contours du futur quartier. Au second acte, en décembre, l’accord-cadre conclu en 2023 entre les promoteurs et la Ville a été ratifié, amorçant la concrétisation du projet. Entre-temps, la patinoire est devenue un véritable «Cheval de Troie» – selon les propos de l’architecte-urbaniste valaisan Lucien Barras1 – dont la construction semble en réalité conditionner le développement d’un quartier au caractère hautement spéculatif.

De la patinoire au quartier

Dans la perspective d’accueillir un jour les Jeux olympiques d’hiver en Valais, la construction d’une nouvelle infrastructure avait été envisagée dès le début des années 2000 pour remplacer la patinoire vieillissante de Graben. Le projet ne sera relancé qu’en 2018 avec une planification-test visant à concevoir un nouveau quartier mixte au sud-ouest du centre-ville de Sierre. Sur des terrains appartenant aux trois-quarts à la Ville, cette première phase a rassemblé cinq équipes chargées d’évaluer, avec un cahier des charges allégé, les besoins des parties prenantes et d’esquisser les grandes lignes du futur quartier2. Près d’un an après le lancement de cette démarche saluée comme exemplaire par la majorité des parties prenantes, Raum404 est mandaté pour la suite du projet. À densité comparable, là où les équipes concurrentes ont majoritairement misé sur le prolongement du tissu avoisinant en privilégiant des espaces publics largement végétalisés, la proposition de Raum404 se distingue par une approche davantage urbaine. Elle repose sur des îlots d’habitation ouverts, une patinoire située au nord du site, en lien direct avec les voies ferrées, ainsi qu’une traversée nord-sud reliant divers programmes publics. Le projet s’affirme comme un quartier d’échelle intermédiaire, entre centre-ville et périphérie, tant par sa morphologie que par son organisation spatiale.

Genevoiseries en terres valaisannes 

C’est à partir de 2020, à la suite de la publication de l’image directrice, que le projet entre dans une phase plus opaque. D’un côté, la Ville de Sierre travaille avec Raum404 à l’élaboration du plan guide du quartier. De l’autre, elle évalue les coûts et part à la recherche de fonds privés pour développer son projet3. En 2021, une première lettre d’intention est signée avec la société Sierre-Valais Sport, désormais actionnaire majoritaire du Hockey Club de Sierre (HC Sierre) afin d’affiner le programme sportif et son financement, en sus d’une subvention attendue de la part du Canton. Son président fondateur, Chris McSorley, par ailleurs ex-entraîneur et directeur sportif du Genève-Servette Hockey Club, mise sur le retour du HC Sierre en première division. Ses ambitions conduisent à l’augmentation de la capacité de la patinoire, portée de 5000 à 6500 places, et paraissent catalyser le changement d’échelle du projet urbain. En 2022, le groupe de projet Valais Arena se forme autour des investisseurs et du promoteur également genevois, Urban Project, qui s’est fait connaître notamment avec la réalisation du quartier ultradense de l’Étang à Vernier pour le compte du milliardaire français Claude Berda4. Un accord-cadre est conclu en 2023 entre la Ville de Sierre et les partenaires privés, liés entre eux par des structures économiques ad hoc. Un partenariat qui fait peser des risques sur la Commune, placée en position minoritaire et en infériorité financière. À l’été 2024, le projet réapparaît publiquement, dopé par ce qui s’apparente à une belle perspective spéculative. 

En plus d’accroître la capacité de la patinoire, les nouveaux porteurs de projet ont en effet estimé qu’il était nécessaire de proposer des activités annexes pour animer le site en dehors des matchs (sports indoor, commerces, restauration). L’opération de rentabilisation passe aussi par la densification de la partie résidentielle du projet. Si la trame urbaine proposée par Raum404 reste peu ou prou la même en plan, l’accord-cadre offre aux investisseurs les moyens de maximiser les surfaces5

Ainsi, établi entre 0.7 et 1.2 lors de la planification-test, l’indice brut d’utilisation des sols (IBUS) est désormais susceptible d’atteindre 2.5 à certains endroits (à titre de comparaison, la zone de forte densité selon le RCCZ actuel de la Ville de Sierre a un indice IBUS de 1,3). Plus, les droits à bâtir affectés aux espaces publics en mains de la Ville de Sierre (car la totalité des parcelles est en zone à bâtir) peuvent être reportés sur les surfaces vendues aux investisseurs en compensation de leur aménagement. Mais surtout, la cohabitation entre complexe sportif et habitations relève d’une machinerie complexe éloignée de l’aménagement durable dont se réclament les développeurs: bétonisation des sous-sols pour répondre aux pics de fréquentation (1050 places de parking au total), charge énergétique décuplée par les activités annexes à la patinoire, etc. Tout comme au quartier de l’Étang à Vernier, le label écologique SNBS-Quartier mis en avant relève d’une stratégie de communication qui capitalise avant tout sur l’attente par la population d’une patinoire depuis plus de 20 ans.

Quand la Ville cire le banc

Reconnaissable par la profusion d’images de synthèse, plans et schémas en tout genre, l’approche marketing du projet de la Valais Arena et de l’écoquartier VIVA semble offrir à la Ville de Sierre les garanties d’une réponse urbaine clé en main. Alors que le projet a pu accuser un certain retard à la suite des études-tests, l’arrivée d’un unique promoteur accompagné d’une équipe de mandataires couvrant l’entièreté des domaines requis, jusqu’à la mise en service du quartier et la régie immobilière, séduit. Mais leur entrée en jeu signe la fermeture des espaces de discussion, emportant l’ensemble des décisions sur le terrain de la négociation. L’assurance de la mise en fonction de la patinoire dans les meilleurs délais se paye au prix fort, avec notamment la mise à disposition des terrains appartenant à la Ville, qui plus est à des conditions avantageuses. Concédé par les termes de l’accord-cadre, le quasi-monopole du groupe Valais Arena sur les près de neuf hectares du quartier semble cantonner l’action de la Ville et de ses mandataires à des aménagements extérieurs étroitement régis par le programme sportif et la densité résidentielle.

            Peut-on alors parler de hold-up? Malgré son assise foncière conséquente, une situation attractive, un programme porteur et un départ de projet prometteur, la Commune s’est défaite de ses terrains et, par la même occasion, de la maîtrise du projet. Comme d’autres communes suisses, la Ville de Sierre se révèle démunie en termes d’outils face à la complexité de l’entreprise. Elle a ainsi opté pour un projet figé plutôt que pour une solution plus souple avec une pluralité d’acteurs et un phasage visant à prévenir d’éventuels blocages, pouvant mener – au pire des cas – à la friche urbaine. Elle relègue par la même occasion les possibilités d’influer sur le cours du projet à des stratégies politiques et légales, qu’elles émanent d’une opposition citoyenne et/ou d’une prise de position de la part du Canton. C’est le cas actuellement avec la plainte contre la Ville de Sierre et le recours contre la décision du Conseil général du 11 décembre 2024 déposés par l’association Condemines.info auprès du Conseil d’État6. L’association a par ailleurs lancé une récolte de signatures pour que le projet soit soumis à la votation et propose un contre-projet pour la patinoireD’autres dispositions pourraient également permettre d’adoucir la surdensité du quartier comme le conditionnement des subventions du Canton pour la patinoire ou un changement en bout de ligne dans la révision du PAZ/RCCZ qui sera mis à l’enquête publique au printemps prochain. 

Plébiscitée par la population sierroise, la nouvelle patinoire – et son financement – est présentée par les acteurs tant privés que publics comme l’élément déclencheur du tournant pris par le projet de quartier entre 2020 et 2023. Elle est aujourd’hui au cœur d’une spirale spéculative qui impose l’intégration d’activités annexes pour garantir sa viabilité, entrainant à sa suite une maximisation du projet dans son ensemble. À l’instar d’un Christian Constantin qui, des années durant, a construit des centres commerciaux en promettant des stades de football, les promoteurs et financeurs de la Valais Arena ont su miser par opportunisme sur les besoins d’une commune. Avec la profusion de nouvelles patinoires qui émaillent le territoire, on peut se demander s’il est encore possible de créer des halles de glace sans leur accoler des galeries commerciales. À Sierre, le ticket pour le match est cher payé.  

Notes

 

1. Lucien Barras est architecte-urbaniste, fondateur de Nomad à Sion (VS). Après avoir contribué en tant qu’expert aux études-tests pour l’image directrice «Condémines 20-30», il a alerté TRACÉS sur les orientations finales du projet actuel.

 

2. Les études-tests ont rassemblé cinq équipes: Actes Collectifs (Sion), Varone Villé Architectes (Sion), Éric Papon & Partenaires (Sierre), Pont12 architectes (Chavannes-près-Renens), Raum404 (Zurich) et Tribu Architecture (Lausanne). Parmi elles, les trois dernières ont accepté de s’exprimer sur le sujet, ainsi que Laurence Salamin, cheffe du service édilité et urbanisme de la Ville de Sierre.

 

3. Les informations concernant la chronologie du projet sont présentées sur le site valais-arena.ch et la plaquette de présentation du projet disponible également en ligne (Urban Project, août 2024). 

 

4. Sur le quartier de l’Étang, voir «L’Étang à Ver­nier: de quoi le la­bel SNBS-Quartier est-il le nom?», Stéphanie Sonnette, TRACÉS n°3539, février 2024; et «Avan­chet-Parc, l’Étang: de la barre à l’îlot, de la cité au quar­tier», Marion Cruz Absi, 17.05.2023, espazium.ch

 

5. Principaux axes du partenariat public-privé (document de présentation du projet, août 2024, Urban Project) : 

  • (…) la mise à disposition par la Ville de Sierre des terrains du secteur 1 à des conditions préférentielles, accompagnée de subventions publiques pour créer les conditions de viabilité de l'investissement privé de la Valais Arena et permettre son usage public.
  • Les secteurs 2 et 3 sont mis à disposition contre juste rémunération, pour permettre à la partie privée d'assurer la viabilité à long terme de la Valais Arena.
  • (…) le secteur 1 fera l'objet d'un droit de superficie distinct et permanent (DSDP) aux modalités définies, les parcelles des secteurs 2 et 3 seront vendues aux investisseurs respectivement aux prix de CHF 800.–/m2 et 950.–/m2.
  • Les densités des secteurs 2 et 3 sont précisées. Elles peuvent atteindre un indice brut d'utilisation du sol (IBUS) maximum de 2,5 selon la qualité du projet.
  • Les espaces publics resteront en main de la Ville de Sierre et ne feront pas partie de la vente. Leur densité constructible sera transférée sur les surfaces vendues. En compensation, les parties privées financent les aménagements publics dans les secteurs 1 et 2.
  • (…) la participation de la Ville de Sierre et des collectivités à hauteur de CHF 30'000'000.– pour la construction de la Valais Arena et de CHF 1'500'000.– par an pour son exploitation. 

     

6. Toutes les informations recueillies par l’association ainsi que la plainte et le recours déposés, la proposition de contre-projet et le formulaire de récoltes sont disponibles sur condemines.info.