Im­pres­si­ons

Effectuer un aller et retour entre l’Oberland bernois et la vallée du Rhône, en empruntant l’un après l’autre les deux ouvrages majeurs de nos axes ferroviaires, les tunnels de base et de faîte du Lötschberg, constitue une occasion inédite d’évoquer l’évolution des chemins de fer dans notre pays au cours du siècle qui sépare la construction et la mise en service des deux lignes. Un périple qu’il vaut la peine d’agrémenter d’une visite du tunnel de base à Frutigen

Publikationsdatum
19-08-2013
Revision
23-10-2015
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

Le premier – et probablement le plus visible – des éléments de l’évolution de la technique ferroviaire concerne évidemment les temps actuels de déplacement, selon que l’on emprunte l’un ou l’autre des tunnels (tableau); un domaine dans lequel la réduction de près de 50% du temps de liaison entre Berne et Viège est sans doute l’exemple le plus frappant. Au niveau des chiffres, cet accroissement de l’efficacité de la liaison apparaît aussi lorsqu’on compare la vitesse et le nombre de trains qui fréquentent quotidiennement les deux tracés. Un changement qui serait sans doute plus spectaculaire encore si la comparaison des chiffres actuels se faisait avec ceux valables lorsque le tunnel de faîte fut mis en service; mais qui, paradoxalement, semble dérisoire au regard du progrès en matière de liaison à travers la Suisse qu’engendra l’ouverture de la ligne de faîte il y a un siècle de cela.
Spectaculaires dans les chiffres, ces différences de performance sont aussi perceptibles sur le terrain. En effet, le parcours «historique» par le tunnel de faîte offre l’opportunité d’exercer une vertu qui se perd de nos jours, celle de profiter du temps de voyage. Pour peu qu’on ait la chance de bénéficier d’une météo clémente, ce parcours est un petit régal. Que ce soit en quittant ou en rejoignant la vallée du Rhône du côté de Brigue en franchissant moult ponts et tunnels ou alors en suivant les lacets dessinés par la ligne sur le versant bernois, le voyageur ressent physiquement le franchissement du massif alpin, tout en profitant d’une variété d’angles de vue d’une richesse rarement égalée sur ce dernier. Des éléments qui tendent à transformer en promenade la liaison entre l’Oberland bernois et le Haut-Valais, une impression de villégiature renforcée encore par le fait que certains des arrêts jalonnant la ligne ne fonctionnent que sur demande. Des sensations qui contrastent aussi fortement avec la nature de celles qu’on peut ressentir, pendant un petit quart d’heure, lorsqu’on se trouve dans un train insonorisé, lancé à près de 200 km/h à travers un tunnel obscur, quasi-rectiligne, d’une distance de quelque 34 km.
Abordé ci-dessus d’abord d’un point de vue temporel, le contraste entre les deux parcours transparaît aussi au niveau des caractéristiques déjà évoquées de leurs tracés respectifs: d’un côté un cheminement sinueux dans des reliefs montagneux, sur lequel se répartissent un nombre incalculable de ponts et de tunnels ; de l’autre, un tunnel unique, marqué par des rectilignes omniprésentes et quelques imperceptibles changements de direction ou d’altitude. Cette opposition trouve encore un écho dans le dessin des éléments architecturaux qui caractérisent les deux lignes. Dans ce domaine, le revêtement lisse et aseptisé du nouveau tunnel de base s’oppose à l’état brut et l’apparence artisanale des ouvrages d’art à l’intérieur desquels ou sur lesquels les voies ferrées cheminent vers le tunnel centenaire. Une distinction qui n’est pas sans similitude avec celle qu’on peut observer pour les bâtiments et qui imprime nettement dans les éléments construits des deux ouvrages l’espace temporel et historique qui les sépare. Un espace encore souligné par le fait qu’à l’époque du projet pour le tunnel de faîte, le débat pour le choix du tracé à réaliser était conditionné par une question technique qui fait référence aux origines du chemin de fer: celle de savoir si la nouvelle ligne serait desservie par des locomotives à vapeur ou par des engins électrifiés.
L’extrémité nord du trajet ayant servi de fil conducteur aux réflexions ci-dessus se situe à Frutigen. S’il ne semble pas impératif de s’attarder sur l’architecture de ce lieu, il est en revanche possible de recommander la visite du tunnel de base organisée par le BLS. En effet, les personnes curieuses des problématiques liées à la construction et à l’exploitation d’un tunnel moderne y trouveront une foule d’informations pertinentes. Elles y apprendront par exemple que le tunnel et les installations ferroviaires sont inspectés une fois par semaine pendant la nuit de dimanche à lundi, alors que le tunnel est entièrement fermé.
Commençant par la découverte des trains de secours qui seraient engagés en cas d’accident, se poursuivant par un rappel concernant la récente construction du tunnel de base autour d’une maquette, la visite comprend comme point fort la possibilité de se rendre à l’intérieur même du tunnel de base. L’accès se fait à partir de la centrale d’exploitation de Mitholz et le parcours sera rythmé par les communications entre le guide et celui qu’il appelle Théo: acteur quelque peu inattendu dans cet espace souterrain, le Tunnel Operator joue pour ainsi dire le rôle de concierge du tunnel. C’est notamment lui qui allumera puis éteindra les lumières près de la fenêtre à partir de laquelle les visiteurs auront la possibilité de voir l’intérieur du tunnel en exploitation, avec comme point culminant le passage furtif d’un train lancé à près de 200 km/h: quelques secondes de fureur, puis à nouveau rien...

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