SIA: «Qui pen­se ville doit pen­ser coll­ec­tif»

Propos recueillis par Nicole Schick, secrétaire générale de la SIA Vaud

Ariane Widmer Pham a été élue au comité de la SIA lors de la dernière assemblée des délégués. Architecte et urbaniste, elle dirige le Schéma directeur de l’Ouest lausannois (SDOL). Rompue aux questions d’aménagement du territoire, elle porte un regard sensible et pointu sur cette Suisse qui s’urbanise et les enjeux qui en découlent.

Publikationsdatum
09-07-2014
Revision
05-11-2015

Quels thèmes souhaitez-vous approfondir, en tant que membre du comité de la SIA?
Je pense que la SIA doit s’investir fortement dans la question de l’aménagement du territoire et de l’urbain. A ce titre, j’espère, au sein du comité, pouvoir contribuer aux réflexions et actions concernant les agglomérations et les transformations territoriales en cours. 
La Suisse est dans une situation de forte mutation, due à la poussée démographique et à la pression qui s’ensuit sur le territoire. Je suis convaincue que nous devons prendre la mesure de cette urbanisation de la Suisse. Pour moi, cette transformation doit se faire de manière interdisciplinaire, hors des logiques sectorielles. Dans ce processus, les architectes et ingénieurs ont un rôle majeur à jouer. Ils doivent collaborer entre eux et avec les autres acteurs impliqués dans une démarche intégrative. Qui pense ville doit penser collectif. Il s’agit de revenir à l’idée de la forme et du sens de l’urbain.  
Nous ne sommes plus dans une logique d’extension territoriale, mais de reconquête de lieux déjà entamés qui permet de préserver des territoires non bâtis. 

Pensez-vous que tous les acteurs, qu’il s’agissent des mandataires, des politiques, des citoyens, sont prêts à travailler de cette façon ? Et par quels moyens peut-on favoriser le travail interdisciplinaire?Bonne question… Une façon de créer un contexte favorable, c’est de se mettre dans une logique de projet. Il s’agit de concevoir le projet comme une chose plus large, de le considérer dans le temps et à des échelles multiples. Qui dit projet, dit processus, pilote, équipe, but commun et structure politico-technique qui prennent la mesure de sa complexité. Il est indispensable qu’on en revienne à faire du projet dans toutes ses dimensions et que l’on sorte de la logique unique de l’affectation.

Vous êtes architecte et urbaniste, vous plaidez pour le vide comme pour le plein. Au sein du comité dela SIA vous représentez le groupe professionnel environnement (BGU). Cela vous convient-il?
Je me suis posé la question si, en tant qu’architecte urbaniste, j’étais en mesure de représenter le BGU. Oui, le professionnel qui travaille dans la dimension territoriale prend forcément en compte les notions de vide et de plein. Le paysage est tantôt naturel, tantôt construit. Le tout doit être en équilibre. De plus, la ville dense et mixte, soignant les transitions avec les paysages alentours, permet de préserver et de diminuer les impacts sur l’espace non bâti.

Deux femmes rejoignent les rangs du comité de la SIA qui a fait de la question du genre un thème d’importance. Quelle est la place de la femme dans la planification aujourd’hui? 
La présence des femmes est importante. Je constate que dans les domaines de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, les femmes sont nombreuses. Mais je dirais avant tout que pour réussir un projet il s’agit de travailler en équipe.

Comment l’aménagement du territoire peut-il influencer la conciliation travail-famille? 
Dans la façon de fabriquer de la ville et d’aménager le territoire, une dimension nouvelle apparaît, qui va selon moi en se renforçant. C’est l’idée de la proximité associée à une certaine densité et à une mixité, fonctionnelle, sociale et intergénérationnelle. Plus précisément, si nous sommes capables de faire des «morceaux» de ville dans lesquels l’offre de logements est variée, les équipements nombreux, la vie de la population s’en trouvera facilitée et enrichie. 
L’évolution et les tendances montrent que plus l’espace périurbain se densifie par le développement de nouveaux quartiers mixtes et animés, plus les relations internes à cette entité se démultiplient, et plus les mouvements vers le centre-ville diminuent. Si, aujourd’hui, on ne peut remplir certaines fonctions qu’au centre-ville, intensifier la vie en périphérie permettra d’y accroître la proximité. On peut dire qu’il y a une sorte de rééquilibrage.

Vous êtes cheffe de projet pour la mise en œuvre du Schéma directeur de l’Ouest lausannois. L’aménagement et la mise en valeur de cette portion de territoire, de manière concertée entre les huit communes qui le composent, s’inscrit dans la projet d’agglomération Lausanne-Morges. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience et des transpositions sont-elles possibles à d’autres régions ?
Le SDOL est né au moment où débutait la politique nationale sur les agglomérations au début des années 2000. Il a posé, en précurseur, la question de l’intercommunalité dans les projets d’agglomération. Si, dans le cadre du SDOL, cette question s’est réglée par la création d’un bureau chargé de mettre en œuvre les orientations de développement décidées par les politiques, ailleurs elle a pris des formes différentes. Il y a clairement d’autres exemples et façons de faire, mais le SDOL a eu un rôle pilote. Aujourd’hui, les réflexions évoluent et les expériences s’alimentent les unes les autres, au travers notamment des échanges initiés par la Office fédéral du développement territorial et l’ASPAN. Le SDOL a proposé dès le départ une vision et un processus. Aujourd’hui le projet s’est complexifié, les tâches ont évolué. La question de la mobilité reste néamoins centrale, la dimension environnementale a pris de l’ampleur, le domaine du patrimoine naturel et bâti a été introduit. 
Enfin, la remise du Prix Wakker en 2011 récompensant la démarche entreprise par les communes de l’Ouest lausannois a été un encouragement pour continuer dans cette voie.

Quelle est la valeur patrimoniale d’un territoire tel que celui-là, composé de nombreuses friches?
Le territoire de l’Ouest Lausannois possède des visages multiples. Il a souvent été malmené. Comme dans d’autres espaces périurbains, il existe un patrimoine qu’on n’a pas l’habitude d’apprécier – des témoins du passé industriel, des grands ensembles de logements, des maisonnettes ouvrières. Ces lieux méritent que l’on y pose un autre regard. Il y a aussi le bien commun qu’est le paysage, un élément patrimonial très fort que l’on doit aussi revaloriser. Plus généralement, pour faire un bon projet urbain, pour intervenir sur un territoire, il faut l’aimer. Et dans l’Ouest lausannois comme ailleurs, il y a quantité de trésors cachés. La démarche entreprise par les communes de l’Ouest lausannois avec le SDOL est transposable à de nombreuses autres périphéries de Suisse.

Il est question de regard. Celui des professionnels, mais aussi celui du grand public. Comment donner au citoyen des clés de lecture qui favorisent sa compréhension de l’environnement naturel et construit?
Le citoyen est exigeant, il devient un acteur toujours plus important qui, d’ailleurs, peut donner un coup d’arrêt à un projet. La transformation de notre environnement concerne tout le monde. En parler, en débattre, permet de se forger une opinion, de la faire évoluer, de se doter d’une culture partagée. Les démarches participatives, dans le cadre des projets, constituent un autre moyen d’action. L’attitude de la population face aux transformations n’est pas figée, elle grandit, évolue au gré des expériences et des échanges. Je suis convaincue qu’il convient également d’agir au plan culturel en thématisant cette Suisse en devenir.

Vous appuyez donc le travail de la SIA pour défendre la culture du bâti contemporain au niveau du Message culture de la Confédération? 
Je soutiens clairement le Message culture que défend la SIA auprès de la Confédération. Là aussi on entre dans des démarches transdisciplinaires et intégrées. Un axe thématique consacré à la culture du bâti, tant du passé que du futur, doit être dégagé dans ce message.

Vous jonglez entre les différentes échelles  : architecture / urbanisme / projet / vision / local / national / vie professionnelle / vie familiale. Quel est votre moteur?
Travailler à plusieurs niveaux simultanément me passionne. Considérer le projet à plusieurs échelles, c’est prendre la mesure de sa dimension temporelle, donc du processus. C’est lui donner le plus de chances de réussites.

Sur quelles étapes de votre parcours vous retournez-vous volontiers?
Mon parcours est marqué par 10 ans de pratique dans l’architecture, 5 ans d’expérience dans l’aménagement du territoire, 5 ans dans la gestion de grands projets complexes à Expo.02. Le travail que je réalise aujourd’hui au sein du bureau du SDOL intègre toutes ces dimensions. Il me permet de m’investir pleinement dans ma fonction en valorisant mes expériences précédentes dans un contexte qui demande un travail d’anticipation et de création, et de surcroît un travail en équipe.

Et la SIA?
La SIA est garante de professionnalisme, de qualité et d’éthique de la profession. Je m’y investis aujourd’hui pour contribuer à cet engagement et je suis heureuse de pouvoir élargir mon champ d’action au niveau national. Je constate que la SIA rompt avec les logiques sectorielles et adopte une vision complexe du bâti et du territoire. Elle favorise une démarche intégrative de tous les acteurs de l’aménagement du territoire et développe une dimension politique, qui en fait un acteur essentiel au niveau suisse. 

Verwandte Beiträge