L’application réussie des principes du modernisme
Casablanca et Chandigarh, bilans d’une modernisation
Deux villes géographiquement et historiquement éloignées, mais qui ont toutes deux joué un rôle fondamental dans l’imaginaire de la ville moderne : Casablanca et Chandigarh. La première est une ville ancienne dont l’histoire est marquée par l’occupation, alors que la seconde a été bâtie ex nihilo en deux ans et demi pour devenir la nouvelle capitale de l’Etat indien du Penjab. Elles sont, chacune à leur manière, des produits de la décolonisation et leurs bâtisseurs y ont appliqué les grands préceptes du modernisme. C’est cette mise en application, qu’ils estiment plus réussie et durable que dans la plupart des villes européennes, que veulent mettre en évidence Tom Avermaete et Maristella Casciato dans leur ouvrage Casablanca Chandigarh, bilans d’une modernisation.
Les auteurs montrent comment ces deux villes non-alignées ont adopté les principes du modernisme comme une forme de réponse à l’oubli durant des décennies de deux peuples colonisés. Au Maroc, c’est la puissance colonisatrice, la France, qui incite au modernisme ; l’architecte et urbaniste parisien Michel Ecochard est nommé chef du Service de l’urbanisme de Casablanca et met en œuvre une trame de 8 x 8 mètres qui correspond à une habitation de base avec patio pour organiser les logements, les routes et les espaces verts. En Inde, c’est la nation colonisée qui promeut le modernisme comme symbole de libération d’avec son passé colonial, sous l’impulsion du premier ministre Jawaharlal Nehru ; Le Corbusier y concrétise la « règle des 7 V », un système de conception d’infrastructures fondé sur une hiérarchisation en sept niveaux de circulation, de l’axe central de la ville aux voies piétonnières. La modernisation de ces deux villes a fonctionné : « L’urbanisme moderne de Casablanca et Chandigarh ne constitue pas une recette universelle appliquée à des sites particuliers, mais se révèle plutôt comme le résultat de rencontres, d’échanges et de coopérations complexes entre divers acteurs locaux et transnationaux (constructeurs, sociologues, hommes politiques) », relèvent les auteurs.
De belles photographies accompagnent les textes et les archives lettres d’autorités publiques ou d’organisations, plans, photographies, cartes, coupures de presse et dessins. Deux photographes ont en effet été mandatés pour documenter les deux villes : Yto Barrada pose son objectif sur Casablanca, Takashi Homma sur Chandigarh. La première s’intéresse aux traces laissées par les habitants, du linge suspendu, des plantes, des enseignes et des antennes de télévisions, et aux éléments d’architectures, marquises, coursives, escaliers, moulures et ornements, portes et fenêtres. Le second s’attache aux êtres, la foule qui déambule dans les rues indiennes, les voyageurs qui attendent de nuit dans une gare routière.
L’ouvrage, qui prolonge la réflexion instiguée par l’exposition Comment les architectes, les experts, les politiciens, les agences internationales et les citoyens négocient l’urbanisme moderne : Casablanca Chandigarh qui s’est achevée en avril au Centre canadien d’architecture, s’inscrit dans le courant des études postcoloniales. Tom Avermaete et Maristella Casciato veulent penser les effets de l’histoire coloniale et de la décolonisation sur la ville, ses structures, ses habitants. Ils soulignent également le rôle d’exemple que pourraient jouer les deux villes en matière de pratique transnationale : « Les expériences urbanistiques de Casablanca et Chandigarh, établies dans un contexte de décolonisation et de guerre froide, sont de remarquables illustrations d’une époque d’expérimentation sociale et spatiale transnationale. »
Casablanca et Chandigarh, bilans d’une modernisation
Tom Avermaete et Maristella Casciato, Centre canadien d’architecture et Park Books AG,
Montréal et Zurich, 2014 / CHF 42.-