Repenser la sauvegarde du patrimoine moderne
Editorial du 05-06/2016
A Paris, des architectes ont pris le parti radical de défigurer un édifice – le Centre Espoir, dessiné à la fin des années 1970 par Georges Candilis et Philippe Verrey – pour en épargner un autre – la Cité de Refuge de Le Corbusier, livrée en 19331. A Ollon, le Château de la Roche, classé monument historique en 1976, a fait l’objet d’une restauration évocatoire : alors qu’il se trouvait avant travaux dans un stade avancé de dégradation, on a choisi de subordonner les nouveaux standards, normes et fonctionnalités «aux capacités de l’édifice à les intégrer sans atteinte à sa matérialité»2. Les solives de la salle des chevaliers, en mauvais état, ont ainsi été conservées telles quelles.
D’un côté, on écorche un bâtiment en travestissant sa façade, au nom notamment de la mise aux normes énergétiques. De l’autre, on muséifie, poussant le raisonnement patrimonial au point où il entre en contradiction avec ses propres impératifs. La réhabilitation du patrimoine, moderne ou plus ancien, monumental ou banal, est une tâche délicate qui doit donner lieu à une réflexion nourrie, à une minutieuse pesée des intérêts en jeu. On ne peut nier les progrès techniques et les nouvelles exigences de durabilité, mais il est indispensable de ne pas basculer dans le tout-énergétique, aux mépris de la valeur architecturale et mémorielle d’une construction. L’architecture et le génie civil du 20e siècle, longtemps dépréciés, donnent, au même titre qu’un patrimoine plus ancien, forme à la ville.
Pour une réhabilitation respectueuse de ce patrimoine, il est essentiel de se baser sur l’objet construit, d’investiguer sur lui. Depuis dix ans, le Laboratoire des techniques et de la sauvegarde de l’architecture moderne de l’EPFL (TSAM) joue, en tant qu’observatoire du bâti du 20e siècle, un rôle essentiel dans sa protection. Partant de l’existant, de ses spécificités constructives et matérielles, il fournit des outils pour le réhabiliter au mieux. Lors de chaque étude de bâtiment, d’ouvrage ou d’ensemble bâti, le TSAM en fait l’anamnèse, pose un diagnostic et met en place des instruments appropriés pour une sauvegarde qui concilie enjeux patrimoniaux et impératifs énergétiques. A cet égard, l’étude portant sur le mur-rideau de la Cité du Lignon, qui montre que le remplacement des façades ne constitue pas le meilleur moyen d’obtenir d’importants gains énergétiques, est emblématique du travail du TSAM.
A travers ce numéro élaboré par Franz Graf et Giulia Marino pour TRACÉS, le TSAM démontre que le projet de sauvegarde n’est pas une pratique de conservation rétrograde, mais une discipline qui élargit le champ de l’architecture contemporaine et mériterait d’être plus largement enseignée dans les écoles.
Notes
1. La réhabilitation de la Cité de Refuge de Le Corbusier, menée par François Chatillon, vient de s’achever à Paris. Son annexe, le Centre Espoir, a elle aussi été réhabilitée deux ans auparavant, sous la houlette de Opéra Architectes. Ensemble, les architectes ont fait le choix radical de faire porter au Centre Espoir un maximum de contraintes, afin de minimiser les interventions sur la Cité de Refuge et favoriser ainsi sa restauration. Au final, l’intervention sur le bâtiment de Le Corbusier est elle aussi considérable, contrairement à ce que les architectes avaient initialement laissé penser. A ce sujet, lire l’article détaillé et critique (sur la réhabilitation de la Cité de Refuge et du Centre Espoir) publié sur espazium.ch
2. Patrimonial, n° 1, 2015, pp. 35-37.