Archives du bâti - entretien #1 : Het Nieuwe Instituut de Rotterdam
Premier entretien de la série «archives du bâti», nous parcourons le Het Nieuwe Instituut de Rotterdam avec Behrang Mousavi, directeur général du patrimoine et de l’action culturelle, pour y découvrir la vision d’un centre culturel européen décidément orienté vers l’avenir.
espazium.ch: quelle est l’origine du centre d’archives du Het Nieuwe Instituut?
Behrang Mousavi: les archives ont été créées au début du xxe siècle lorsque des architectes se sont regroupés pour fonder un musée du dessin d’architecture.
Dans les années 1900, à l’époque où l’on créait des musées pour conserver des œuvres d’art jugées d’importance culturelle nationale, les architectes ont également cherché à former un institut pour la préservation du patrimoine architectural hollandais. Cette volonté est intervenue à un moment où l’architecture était en train de s’organiser en profession, notamment grâce aux efforts d’architectes éminents qui avaient fondé la Maatschappij tot Bevordering der Bouwkunst (Société pour la promotion de l’architecture), et au lancement de revues consacrées à l’architecture.
La collecte d’archives a commencé au début du xxe siècle, lorsqu’un groupe d’architectes a pris l’initiative de créer un musée d’architecture. Mais comme le gouvernement de l’époque n’avait aucune intention de financer un nouveau musée, le projet avait été suspendu. Le gouvernement a toutefois décidé que, lorsque les architectes voulaient faire don de leurs archives pour la collection de ce futur musée d’architecture, il accepterait de se charger de leur gestion. En 1923, les premiers architectes ont commencé à faire don de leurs archives, et c’est ainsi qu’a débuté la constitution de ce fonds. Cependant, il n’y eut aucune autre avancée au cours des décennies qui ont suivi. C’est après la Seconde Guerre mondiale qu’un groupe d’architectes a relancé le projet d’un musée d’architecture. Ils ont également commencé à collecter des archives – ou du moins à créer un registre. Lorsque cette tâche est devenue trop importante pour eux, le gouvernement est intervenu et a financé la création du NDB (Centre de documentation d’architecture des Pays-Bas), qui est devenu un sous-département de l’Organisation publique pour le patrimoine architectural (1972).
Le NDB s’est vu confier toutes les archives qui avaient été données à l’État entre 1923 et 1970, et a également commencé à collecter de nouvelles archives. Dans les années 1980, le NDB et le « Stichting Wonen », une organisation qui recueillait de la documentation sur les conditions de vie et de logement, ont évoqué une coopération. C’est ainsi que fut créé en 1988 l’Institut néerlandais d’architecture (le NAI), financé par l’État. Le musée devait être situé à Rotterdam, et un concours fut lancé pour la conception du bâtiment. Le lauréat a été l’architecte Jo Coenen. Le NAI a continué d’enrichir son fonds d’archives et, en 2013, a fusionné avec le « Stichting Premsela » et la « Virtueel Platform » pour devenir le New Institute.
Vous possédez environ 700 fonds d’archives d’architecture. Quels sont vos critères d’acquisition de nouveaux fonds et comment ont-ils évolué au fil du temps?
Nos critères sont définis dans le cadre d’une politique d’acquisition.
Par le passé, notre collection était majoritairement biographique, et était surtout axée sur la collecte d’archives d’architectes de renom dont les travaux possèdent une valeur culturelle nationale. Nous avons récemment réorienté notre stratégie d’acquisition pour nous concentrer sur la collecte et la gestion d’informations à partir d’autres thèmes spécifiques et de sujets sociaux plus prononcés. Notre stratégie est guidée par les analyses de tendances menées par les Archives nationales, qui s’appuient la collecte de documents ayant trait aux développements sociaux actuels.
Entre 1923 et 1970, la collection acceptait toutes les archives données par les architectes, sans critères relatifs à l’importance ou à la qualité des documents. En 1972, il a été convenu d’adopter une approche majoritairement monographique. Différents critères ont été introduits, tels que l’importance et la qualité des travaux de l’architecte, sa « notoriété », la présence ou non de ses réalisations dans des publications, son affiliation à une organisation architecturale, et son engagement dans l’enseignement. Dans un premier temps, ce sont surtout des archives d’architectes impliqués dans le Mouvement moderne et l’ « école d’Amsterdam » qui ont été rassemblées. Dans les années 1990, l’accent s’est déplacé vers la période d’après-guerre. Aujourd’hui, nous adoptons une approche plus ouverte. Notre objectif est de collecter des archives qui reflètent les développements significatifs aux Pays-Bas entre 1960 et 2010.
Quel est le rôle ou l’influence des archives d’architecture dans la culture architecturale contemporaine?
Il n’est pas facile de quantifier l’influence en des termes concrets.
Cependant, les concepteurs ont recours aux archives pour développer leurs idées et leurs connaissances dans leur discipline. Les archives jouent également un rôle pratique; elles recèlent des dossiers de conception qui sont consultés par des architectes engagés dans des projets de rénovation de bâtiments anciens.
- En accueillant des expositions de matériel d’archives et des publications, le HNI contribue au développement des connaissances et à la sensibilisation du public dans le domaine de la pratique architecturale contemporaine.
- En organisant des programmes de débats et de conférences qui présentent et s’articulent autour d’un matériel d’archives, les archives fonctionnent comme un miroir pour les architectes débattant de questions actuelles.
La collection d’archives d’architecture du HNI est une importante source d’inspiration et de recherche pour les architectes, les concepteurs, les étudiants, les conservateurs et les auteurs contemporains. Les archives occupent une place centrale dans les programmes de recherche et d’exposition de l’institut. Elles se sont révélées importantes non seulement pour aborder des sujets historiques, mais aussi en tant que source théorique couvrant cent cinquante ans de pensée progressiste.
Parmi vos derniers programmes de recherche, nous avons trouvé les «Open Archives», les «Surprising Finds» ou plus récemment, les «New Archives Interpretations». Quel est l’objectif de ces collections et comment fonctionnent-elles?
La série cherche à explorer les archives existantes sous de nouvelles perspectives, et à identifier des liens transversaux en jetant un regard neuf sur la façon dont les archives sont organisées.
L’objectif est le suivant: comment générer de nouveaux liens et de nouvelles significations. «Surprising Finds» correspond à une tentative de présenter le fonds de la collection dans un autre format que celui du concept standard d’exposition permanente. Cette série adoptait une nouvelle approche, chacun des thèmes ayant été sélectionné par l’un de nos archivistes, et non sur la base d’une recherche historique en architecture.
Vous êtes une institution leader dans le champ de la «culture numérique». Quelles sont les opportunités et les limites de la numérisation et/ou de l’archivage en architecture?
C’est une vaste question. Au lieu d’essayer d’y répondre, je vais exposer les facteurs dont il faut tenir compte pour répondre à cette question:
Dans l’archivage d’architecture, les opportunités et les limites de la numérisation sont abyssales, mais ce sont relativement les mêmes que dans les autres formes d’archivage. La numérisation a un impact énorme sur la pratique de l’architecture, ainsi que sur toute la chaîne de production. À bien des égards, elle est similaire aux autres pratiques de conception.
Trois aspects fondamentaux doivent être pris en compte plus ou moins séparément:
1. La numérisation des archives non-numériques
- Aide à préserver le contenu.
- Facilite l’accès au contenu (accès non local, plus de copies)
2. La numérisation du processus de création de l’architecture (conduisant à «un contenu archivable d’origine numérique»)
Impacts sur tous les aspects du processus d’architecture.
- Les questions et les requêtes acquièrent des champs de données. Les solutions peuvent être simulées à la fois visuellement et en termes de flux de personnes, de matériaux et de finances.
- L’infrastructure numérique fait partie de la mission.
- La recherche: les aspects physiques, sociétaux, politiques et financiers de la requête peuvent tous faire l’objet d’une recherche en ligne, et même, la plupart du temps, à partir d’autres lieux. Un traitement automatisé peut être inclus dans la recherche.
- Toutes les phases du développement utilisent les mêmes interfaces (écran + clavier).
- Conception: la souplesse du contenu numérique signifie que toutes les phases antérieures aux processus de conception sont également accessibles et facilement réutilisées et recombinées dans de nouveaux processus de conception.
- Design: esthétique logicielle BIS (Maya, Max, etc. ) Le processus de construction et de planification peut être simulé.
- Construction: fabrication additive, pratiques de construction robotisées, fraisage numérique. Ici aussi, les processus automatisés sont en net développement.
3. La mise en réseau des processus numériques à la connexion de machines numériques dans un réseau de communication.
- Tous les aspects du processus architectural peuvent être rendus publics – pas seulement le bâtiment fini.
- Les pratiques Open source – Open data – Open content sont possibles à toutes les étapes du processus.
- Une circulation importante et rapide de l’image : architecture Instagram, architecture de logo ; (le discours devient visuel)
Il existe de nombreuses archives d’architecture dans le monde comme le CCA à Montréal, le Getty Research Institute à Los Angeles ou les archives GTA ici en Suisse. Avez-vous des liens avec des archives d’architecture nationales et internationales?
Oui, nous collaborons dans plusieurs domaines, tels que le partage des connaissances, la coordination des stratégies d’acquisition (bien que cela ne soit qu’accessoire, lorsque le besoin se manifeste), en tant que prêteur, et, à l’occasion, en tant que commissaire d’exposition associé.
Le Het Nieuwe Instituut est plus qu’un simple centre d’archives. Quelles sont les missions et les visions du HNI aujourd’hui?
Outre le fonds d’archives public, le Het Nieuwe Instituut est aussi un musée, une agence et un institut de recherche. Dans son rôle de musée, le HNI organise des expositions, des événements et un programme pédagogique. Ensuite, le HNI a créé l’agence pour soutenir les professionnels de la conception par le biais d’une représentation internationale et un programme international d’invités. Enfin, le pôle Recherche et développement est le principal moteur de l’organisation et comprend un programme de bourses et des programmes de recherche pluriannuels sur des questions telles que les paysages automatisés, le Burn-Out, l’architecture de l’appropriation ; se pose aussi la question de la relation entre l’innovation et la conception, et sur la façon dont elle s’exprime dans les différentes disciplines de la conception – en d’autres termes, comment elle affecte un domaine beaucoup plus vaste que l’architecture seule.
En résumé, le Het Nieuwe Instituut établit des passerelles entre le passé et les défis d’aujourd’hui et de demain.
Réponses de:
Behrang Mousavi (Directeur général du patrimoine et de l'action culturelle)
Avec la contribution de :
M. Klaas Kuitenbrouwer (Service R&D), M. Frans Neggers & Mme Suzanne Mulder (Service du patrimoine) et M. Taco de Neef (Directeur général de l’activité et du développement).
À propos de :
Behrang Mousavi (1969) a été nommé Directeur général du patrimoine et de l’action culturelle au Het Nieuwe Instituut (anciennement Institut d’Architectural des Pays-Bas) en 2017. Depuis 2010, il occupait le poste de Directeur des collections de l’Institut d’Architecture des Pays-Bas. Avant de rejoindre le NAI, il était conservateur en chef du département des estampes et des dessins des Archives municipales de La Haye, puis conseiller municipal de La Haye pour les musées.
Il est muséologue, spécialiste du patrimoine, consultant, conseiller et collectionneur. Dans les années 1990, il a étudié la muséologie à l’Académie Reinwardt d’Amsterdam, puis l’histoire de l’art à l’Université de Leyde. Au cours des vingt-trois dernières années, il a donné de nombreuses conférences et a travaillé comme conservateur et auteur sur des projets nationaux et internationaux. En 2019, il a été «consultant général» de l’exposition «Gloss and Happiness» au Musée d’art de La Haye.
Il est également l’auteur de nombreux essais et articles, notamment kunst als bindmiddel, Boekman no. 69, Voor de eeuwigheid? «Onzichtbaar maar niet verloren», Nederlandse architectuur in 250 topstukken, Keuzes maken, De toekomst van digitale duurzaamheid, et d’une collection de livres pour enfants «Hoi, ik ben een lijn» / «Hi, I’m a Line».
Dossier: « Archives du bâti »
Du rôle des archives et de leur absence - Éditorial de Yony Santos & Cedric van der Poel, novembre 2020