Bengal Stream
Le S AM consacre sa nouvelle exposition à l’architecture émergente du Bangladesh.
La culture architecturale du Bangladesh justifie-t-elle une exposition d’envergure au S AM ? Aussi bien Andreas Ruby, le nouveau directeur de l’institution bâloise, que Niklaus Graber, l’architecte lucernois commissaire de l’exposition, se le demandent, chacun à sa façon, dans les textes respectifs qu’ils signent dans le catalogue. Le Bangladesh fait plus souvent l’actualité pour ses inondations meurtrières, ses usines textiles qui s’effondrent sur des ouvrières exploitées, que pour sa culture du bâti. L’architecture peut-elle se développer dans un contexte de dénuement et d’instabilité environnementale liée aux crues et aux fréquents cyclones dans la région?
Contre toutes les attentes, ce grand pays fluvial de 160 millions d’habitants situé à la confluence du Gange et des grands fleuves qui dévalent l’Himalaya, présente des qualités patrimoniales surprenantes et une vraie culture tectonique moderne, liée à la prédominance du matériau le plus abondant dans la région: la brique.
Au Bangladesh, pays rural ou la métropolisation est encore à ses débuts, l’eau est omniprésente. Elle l’est dans sa façon impérieuse de déplacer des villages entiers ou de rendre incertain le réseau routier lors des fréquentes crues. Elle l’est aussi dans le potentiel inexploité en matière de transports publics. L’intérêt d’observer l’architecture et l’urbanisme dans ce contexte instable est celui de saisir la plus-value que l’eau peut ajouter : les projets d’écoles flottantes, les structures hybrides terrestres et fluviales, les villages rehaussés sur des terrils artificiels sont autant de cas d’une architecture capable de transformer une menace (l’abondance de l’eau) en qualité.
L’architecture au Bangladesh est essentiellement low-cost et, précisément pour cela, plus disposée à employer des moyens tectoniques (non technologiques) pour assurer le confort thermique. La ventilation, l’orientation, l’éclairage naturel et la protection contre le soleil sont les principaux outils à disposition des architectes et cela ne fait qu’augmenter la part de l’architecture dans leurs réalisations.
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Modernité tropicale
Le texte de Niklaus Graber fait l’éloge d’une architecture simple et adaptable, capable d’améliorer le quotidien. Son essai, qui se nourrit de son expérience pédagogique à Dhaka, a surtout le mérite de penser l’émergence de cette spécificité qu’il nomme Bengal Stream, dans un contexte postcolonial: une constellation de pratiques capables de s’approprier et de reconvertir le savoir-faire tropical colonial (britannique) pour le convertir en authentique idiome national.
Muzharul Islam est certainement l’architecte qui incarne cette évolution, d’une modernité tropicale parachutée, à la définition d’un idiome local et universel. L’exposition présente pour la première fois en Europe des documents des très beaux projets qu’il a réalisés dans la seconde moitié du 20e siècle. Doit-on rappeler, pour présenter son travail, que c’est grâce à lui que Louis Khan a pu être mandaté pour construire le parlement ? Muzharul Islam est surtout l’architecte qui parvient à nourrir une pratique éminemment moderne d’éléments traditionnels sans pour autant tomber dans le pastiche.
Quand Graber parle du Bangladesh, il parle évidement aussi de la Suisse.
Dans tous les cas, l’exposition déborde de cette audace d’une approche qui n’hésite pas à trouver dans le lointain les réponses aux questionnements qui nous sont proches. Car quand Graber parle du Bangladesh, il parle évidement aussi de la Suisse. De sa condition semi-urbaine et semi-rurale, de son écologie qui cesse de l’être à force de technicité, de cette densité qui fait progressivement son chemin et transforme nos périphéries clairsemées en morceaux de villes. Se pencher sur le Bangladesh, pour enrichir la culture du bâti Suisse? Le S AM et Niklaus Graber y croient, indéniablement.
Exposition
BENGAL STREAM. THE VIBRANT ARCHITECTURE SCENE OF BANGLADESH
Jusqu’au 6 mai 2018 au S AM, BaselPlus d'informations: S AM