De la forme à la structure ou vice-versa?
L’IBOIS, le laboratoire de construction en bois de l’EPFL (Lausanne) a conçu, dimensionné et réalisé l’automne dernier un pavillon en bois tout en courbes. Temporaire, l’innovant prototype, présenté dans les jardins de l’Accademia di architettura (note 1) à Mendrisio en parallèle de l’exposition Timber Project (note 2), démontre l’utilisation des panneaux courbes en bois contrecollé d’une finesse jamais atteinte jusque-là.
L'origine de la forme repose-t-elle en l’architecte ? Il y est pour quelque chose pourrait-on dire. Comment l’architecte arrive-t-il à se situer par rapport à un dessin subjectif ? ( ) De ces questions émerge la recherche d’un canevas d’outils ’ objectifs ’. ( ) Le concept architectural peut-il être déduit d’une interaction entre les technologies et leurs effets ? »3 Telles sont les réflexions auxquelles se livre le professeur Yves Weinand, directeur du laboratoire de construction en bois de l’EPFL (IBOIS). L’une des recherches actuellement menées par l’IBOIS s’intéresse aux géométries complexes applicables au bois et, plus particulièrement, à ses possibilités de courbure. C’est précisément pour explorer ces questions qu’un pavillon-prototype en bois a été réalisé l’automne dernier à Mendrisio.
De la polyligne en zigzag à la ligne courbe
Christopher Robeller et Sina Nabaei, assistants-doctorants en charge de cette étude, expliquent que « l’exploration systématique du bois repousse au plus loin la connaissance de ses propriétés et en révèle de nouvelles. Cette matière, de plus en plus employée, se réfère à l’idée de nature. Aborder la question de ce matériau par le biais des nouvelles performances constructives est un enjeu. Les structures présentées sont autant de formes inédites et troublantes. Loin des assemblages traditionnels, ces structures en bois nous rappellent tantôt le pliage ou l’origami japonais, tantôt le tressage ou la sculpture »4. Ces propos font directement écho au doctorat soutenu par Hani Buri en 20105. Au cours de sa recherche, ce dernier a effectivement constaté que la transposition de l’art du pliage japonais aux plis courbés (schéma 1 et 2) offre des potentiels pour les structures en bois : d’une part, de nouvelles surfaces peuvent être créées à partir de lignes arrondies ; d’autre part, le bois travaille mal en double-courbure. Les doctorants lui ayant succédé ont démontré qu’en remplaçant deux polylignes en zigzag éléments de la recherche de Hani Buri par deux lignes ondulées (schéma), de nouveaux types de formes applicables à la construction en bois pouvaient être générés.
Pour mener leur étude, la paire de chercheurs a utilisé un outil informatique permettant de développer des structures déformées ou pré-déformées. Grâce à cet outil, l’observation de différents paramètres, tels que le rayon de courbure, les dimensions ou le nombre de connexions, a permis une large compréhension de la géométrie. Les mesures variées relevées au moyen de simulations informatiques lors de la modélisation des processus de déformations causées par les forces naturelles, comme le vent ou la gravité, ont quant à elles offert un panel de variantes pour le dimensionnement de la forme.
Modifier la géométrie peut avoir des effets sur la résistance. Conscients de ce dernier aspect, Yves Weinand et ses collaborateurs ont avant d’étudier les panneaux courbés en bois mené une recherche sur les poutres courbées. Cette étude a montré que ces dernières s’avèrent plus rigides que les poutres droites classiques, car elles résistent mieux au fléchissement latéral. Cette réflexion a ensuite été transposée aux panneaux qui sont eux aussi plus résistants courbés que droits.
Monde numérique VS monde physique
« Dans ses moments les plus lucides, lorsqu’elle ne se contente pas de rechercher l’effet de surprise et le spectaculaire, l’architecture numérique a conscience de ce que l’une de ses missions essentielles consiste à explorer la frontière mouvante qui sépare et relie les mondes physique et électronique »6 mentionne Antoine Picon. Se confronter à la réalité fait ici partie intégrante de l’expérience.
Au cours de la conception du pavillon, une maquette à l’échelle 1:5 (image) a été réalisée afin de mieux saisir les enjeux techniques. Les joints à queue d’arondes (image) permettent d’obtenir une connexion précise entre les éléments courbes sans utiliser de pièces métalliques. La géométrie des courbes est dessinée par ordinateur et induit celle des joints. Une collaboration étroite entre l’IBOIS et l’entreprise de construction Merk en Allemagne a repoussé les limites de la technologie : d’une part, le laboratoire de recherche s’est engagé à prouver le résultat par les calculs et les simulations numériques (schéma) ; d’autre part, l’entreprise a apporté la confirmation de la faisabilité dans la réalité. La numérisation de la géométrie permet de dessiner des formes déclinables à l’infini ; dans la pratique, les limites sont données ensuite par le matériau.
Dans les structures voûtées de l’architecture traditionnelle, par exemple, l’angle n’existe pas. Il a dû être rajouté dans le cas du pavillon, car l’épaisseur du bois ne permet pas le croisement de trois plans en un point. Si l’angle est discutable en termes de pureté formelle, il ne l’est pas d’un point de vue technique : il a dû être ajouté pour assurer la stabilité de l’ensemble. La génération numérique du pavillon selon différents paramètres (types de joints, angle de courbures, portée) et sa confrontation à la réalité (transport, limites du matériau) ont abouti à une forme finale, qui pourrait être considérée comme « un arrêt sur image obtenu en figeant une géométrie mouvante »7. L’évolution de la construction en bois, d’abord artisanale, puis industrielle, débouche aujourd’hui sur la conception et la fabrication numérisées, ce qui permet du sur-mesure pour un investissement avantageux.
Une mise en œuvre économique et toute en finesse
Dans le cadre de la réalisation du pavillon, une courbure unique a été utilisée afin d’optimiser les coûts en ne fabriquant qu’un seul moule (image). Des planches de 15,4 millimètres ont été vissées sur ce moule pour qu’elles adoptent la forme de la courbe, puis successivement posées cinq fois de suite les unes sur les autres, dans un sens, puis dans l’autre, pour former des panneaux de 77 millimètres d’épaisseur. Cette méthode du bois courbé passif réduit à néant l’élasticité de la forme qui aurait tendance à revenir à une forme plate d’origine. L’essence utilisée, l’épicéa, a été choisie pour son coût économique ; il s’agit en effet d’un prototype structurel brut, et non, d’un objet de menuiserie « soigné ».
D’une longueur de 13,5 mètres, pour une épaisseur de 77 millimètres seulement, le pavillon démontre que les structures en bois peuvent être mises en œuvre avec des panneaux extrêmement fins. La résistance et la légèreté gagnées grâce à sa courbure permettent d’atteindre une limite record. Cette prouesse technique ouvre la porte à de nouvelles formes d’architecture. Selon les chercheurs de l’IBOIS, le développement de nouvelles technologies bâtit l’avenir de la construction en bois.
Une nouvelle esthétique
La couleur claire du bois du pavillon, ses rondeurs et son odeur renforcée par l’humidité ambiante lorsqu’il a plu créent une atmosphère chaleureuse dans laquelle il est plaisant de s’attarder. En termes d’acoustique, le fort écho créé par ce contenant courbe, lorsqu’on se trouve sous le couvert (image), participe à cette ambiance particulière qui fait écho avec l’humain. Le bois évoque la chaleur, il invite au toucher. L’appel des sens éveillé par le bois en a fait depuis toujours le matériau le plus vivant et le plus proche de l’homme. Les recherches contemporaines lui promettent un bel éventail de diversifications, dont le potentiel s’exprime dans ce prototype.
Par son caractère d’abri et sa forme plus longue que large, le pavillon incarne davantage un couvert qu’un contenant, bien qu’il délimite clairement les contours d’un espace. Le prototype permet le contrôle technique et offre une variété de possibilités pour des programmes architecturaux précis ; par exemple, lors de concours dont les projets pourraient bénéficier de l’expérience de l’IBOIS.
Il est en effet aisé d’imaginer différentes applications architecturales pour des abribus, des couverts ou encore des pavillons de jardin, mais également pour des programmes de plus grande envergure comme des parlements ou des infrastructures sportives. « Si le bois est aujourd’hui très apprécié des architectes et maîtres d’ouvrage, le potentiel de ce matériau renouvelable reste largement inexploité dans le domaine des structures de grandes dimensions. C’est précisément dans ce créneau que le professeur Yves Weinand et l’équipe du laboratoire de construction en bois (IBOIS) de l’EPFL innovent. »8 Pour lui, il n’existe pas de limite d’échelle. De belles possibilités se dessinent pour les toitures (grandes portées) et l’utilisation de la lumière naturelle de manière poétique (image) : une nouvelle esthétique est en train de voir le jour. Le professeur y voit des potentialités pour le design également.
Si l’objectif de cette surprenante performance réside dans la création de systèmes structurels innovants qui combinent des qualités esthétiques, spatiales et structurelles, le pari est gagné. L’élégance et l’aspect élancé qui en découlent produisent une esthétique contrôlée, qui prend tout son sens dans la cohérence entre la forme et la structure, maîtrisées toutes deux dans leurs paramètres géométriques. La forme induit-elle la structure ou vice-versa ? Ici, une élégance de la forme, liée à la compréhension structurelle, s’est créée.
Marielle Savoyat est architecte EPFL. Elle travaille dans la communication d’architecture et est assistante scientifique à l’IBOIS.
Notes
1. Universita della Svizzera Italiana
2. Exposition présentée à Mendrisio du 20 septembre au 27 octobre 2013
3. Yves Weinand, « Des géométries complexes entre l’ingénieur et l’architecte », in matières, n° 8, 2006, pp. 14-15
4. Christopher Robeller, Sina Nabaei, L’exposition timber project à L’Accademia di architettura Mendrisio, www.actu.epfl.ch, 17.09.2013
5 Voir les articles parus sur les précédentes recherches menées à l’IBOIS, in Tracés, n° 17, 2006 et Tracés, n° 17, 2008
6 Antoine Picon, Culture numérique et architecture : une introduction, Birkhäuser, Bâle, 2010, p. 57
7 Ibid., p. 75
8 Léo Biétry, « Vers une nouvelle génération de structures en bois », VISO, n° 29, 3/2011, p. 31