Dé­mo­lir?

Article de cadrage du dossier de janvier 2025 de la revue TRACÉS

Date de publication
13-01-2025
Isabel Concheiro
Architecte, maître d’enseignement et responsable adjointe du Joint Master of Architecture, HEIA-Fribourg, et éditrice de la plateforme TRANSFER

Quand on regarde la manière dont certains projets de démolition-reconstruction sont présentés par leurs promoteurs, tant privés que d’utilité publique, deux choses nous interpellent : la disparition de toute référence aux quartiers d’origine, et le fait de présenter la démolition comme une opportunité permettant de les «améliorer». On pourrait en déduire soit que la ville n’est pas encore «construite»1, soit qu’elle est constituée d’éléments qui n’ont pas de valeur.

Pourtant, la ville n’est pas seulement «construite», elle est aussi habitée. Or les processus de démolition aveugles semblent remettre cette affirmation en question et ne tiennent pas suffisamment compte des conséquences de l’effacement d’un patrimoine architectural et paysager de qualité, pas plus que de l’énergie grise cumulée, ni de l’impact sur les habitants, en particulier ceux des quartiers de logements abordables, généralement forcés à quitter leur lieu de vie. Ce constat invite à la réflexion et à opérer une réorientation vers un modèle économique basé sur la rénovation, la transformation et la maintenance, permettant de sortir du cercle vicieux de la démolition-reconstruction, dans lequel tous les acteurs impliqués – architectes, entreprises, maîtres d’ouvrage, investisseurs, assurances… – semblent enfermés.

Démolition? Le point d’interrogation du titre de ce dossier est important, car il s’agit avant tout de remettre l’idée en question, d’en évaluer les conséquences, de changer le regard sur l’existant, de proposer des projets alternatifs, de créer des espaces de discussion dans le débat public, et enfin d’inciter juridiquement la transformation de l’existant, à l’aide de dispositifs réglementaires et fiscaux. Des évolutions sont en cours, orientées vers la valorisation des architectures de l’après-guerre ou l’établissement d’un bilan carbone. Parallèlement, de nombreux projets démontrent le potentiel de transformation de ce qui est déjà bâti tandis que les mobilisations d’habitants et de professionnels, dont les architectes, se multiplient.

Dans son texte «Une manière différente de bâtir l’architecture»2, l’architecte et curatrice Giovanna Borasi affirmait que « pour trouver une autre façon de faire de l’architecture, nous devons être prêts à élargir notre manière d’envisager la nature et les fonctions de l’architecture». L’implication des architectes pour questionner les processus de démolition et travailler à partir de la «ville construite» et habitée ouvre de nouvelles voies d’engagement dans la pratique, présentant un intérêt disciplinaire et une pertinence sociale de premier ordre. Empruntons-les.

Notes

 

1. Ursula Koch, conseillère municipale zurichoise PS, «Die Stadt ist gebaut» («La ville est construite»), déclaration lors de l’assemblée générale de la SIA section Zurich, 16.03.1988.

 

2. Dans Giovanna Borasi (ed.), The Other Architect: Another Way of Building Architecture, CCA, Montréal, 2015

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