Ge­nève, pro­jet pour une mé­tro­pole trans­fron­ta­lière

Focus sur un contre-projet alternatif, progressiste et par-delà les frontières.

Date de publication
07-01-2016
Revision
07-01-2016

Le long de la rue de Genève, d’un côté et de l’autre de la douane de Moillesulaz, entre la Suisse et la France, un paysage parsemé de maisons individuelles, de supermarchés, de boutiques d’alimentation exotiques, un rond-point maintes fois décoré, des ralentisseurs routiers et un flux incessant de voitures qui devient un cauchemar pour les automobilistes aux heures de pointe. C’est le paysage ni accueillant ni repoussant, mais ordinaire, de la Genève transfrontalière. C’est dans ces territoires que le groupe de recherche et de projets sur la ville Genève 500 mètres de ville en plus pratique depuis plus de vingt ans le safari urbain comme premier instrument pour un projet territorial critique. En 2013, il publie Genève, projet pour une métropole transfrontalière, un livre consacré en grande partie à leur second outil d’action, le contre-projet. Le livre présente en détail leur proposition, ses précédents, son ancrage politique et théorique et enfin ses composantes. Au-delà, le livre se lit aussi bien comme un regard critique et sans concession sur la prééminence des enjeux marchands dans la fabrication de la métropole contemporaine. 

Le contre-projet

Genève, projet pour une métropole transfrontalière est d’abord un contre-projet aux planifications officielles de ces dernières années. Pour les auteurs, le Plan directeur cantonal de 2011 ou encore le Projet d’agglomération franco-valdo-genevois de 2012 sont des projections urbaines guidées par le modèle du « libre marché territorial » dominant depuis au moins trente ans. En se situant d’emblée dans la lignée des sociologues de la ville des années 1970, notamment Henri Lefebvre plusieurs fois évoqué dans le livre, les auteurs du contre-projet envisagent le territoire comme un espace spatialement déterminé et véhiculant des rapports de forces économiques, sociaux et culturels. A partir de ce positionnement théorique manifeste, ils distinguent d’emblée deux territoires au sein de la métropole genevoise. L’ancienne Genève, confinée dans ses « murailles vertes », est formée par la ville médiévale, les quartiers du 19e siècle et les ensembles des années 1960. En se densifiant à l’intérieur de ses limites, objets d’une protection rigoriste, elle se développe d’une façon intensive intra-muros. La nouvelle Genève est celle de la dispersion extensive des fonctions et de l’habitat de plus en plus éloigné du centre. C’est celle des zones d’activités, du pavillonnaire, des centres commerciaux : les « tiers-espaces » par-delà les frontières. Les deux dynamiques spatiales concomitantes produisent invariablement un déséquilibre entre le centre et les périphéries. Face à ce qu’ils dénoncent comme « un déni territorial », les auteurs du contre-projet proposent d’inverser le regard de la périphérie vers le centre. Ils se positionnent ainsi à l’intérieur d’une échelle de territoire qui efface les frontières nationales et n’admet que celles géographiques. Pour eux, le territoire de la métropole transfrontalière s’étend de la chaîne du Jura jusqu’au Salève et aux Voirons. 

Un projet de résistance

La seconde partie du livre détaille précisément les cinq composantes qui structurent le projet : résistance, cité linéaire, réseaux ferroviaires et routiers, parcs urbains articulés par le lac, les rivières et les montagnes et enfin le rééquilibrage des fonctions et des densités. La première composante est certainement la plus explicite de ce contre-projet. Elle se retrouve en réalité dans les quatre autres. Le contre-projet conteste la ségrégation sociale qu’implique le développement urbain concentrique et oppose des formes d’implantations tangentielles : en constatant que le développement des zones urbaines diffuses s’organise, dans le cadre de la morphologie du bassin genevois entouré de montagnes, selon un axe principal nord-est sud-ouest, ils proposent des cités linéaires structurées dans une maille urbaine qui reprend cette orientation géographique. Il s’agit encore de résistance au réseau de transport actuel lorsque le contre-projet propose un maillage de transport territorial qui diffuse les flux au lieu de les concentrer vers la ville centre. Il est aussi question de justice territoriale lorsque le projet propose d’équilibrer l’urbanisation des rives gauche et droite du lac. Les auteurs du contre-projet parlent enfin d’égalité lorsqu’ils demandent le rééquilibrage transfrontalier entre emplois et logements. 

On entrevoit les grimaces des acteurs politiques du développement territorial lorsque les auteurs du projet pour une métropole transfrontalière ont l’opportunité de présenter leur proposition. Mais un fait d’armes leur donne raison: la nouvelle gare centrale de la Praille. L’exiguïté de l’emplacement actuel de la gare Cornavin hypothèque les opportunités de son extension. Et à Genève, l’idée d’une autre gare métropolitaine sur un autre site, plus précisément dans le PAV, n’est plus taboue. Les auteurs du contre-projet l’avait proposée, il y a déjà plus de vingt ans. 

Pour ceux qui croient que le territoire est une valeur marchande, Genève, projet pour une métropole transfrontalière n’est certainement pas un projet réaliste. Mais il est un contre-projet pour le réel. Il nous rappelle à la valeur d’usage du territoire. La montée transfrontalière des votes étriqués et identitaires dans les urnes se traduit très concrètement, en matière de politique de la ville, par le rétrécissement du droit à la ville pour tous. Le contre-projet demeure une arme de résistance. 

Sur ce sujet