Hommage à Jean-Pierre Weibel, 19342013
Ingénieur civil et ingénieur en aéronautique EPFZ 1958, rédacteur en chef de TRACÉS de 1973 à 1999
L’aviation a été sa raison d’être, sa passion. Ce Genevois pure souche effectue à cinq ans un vol Genève-Lausanne-Berne-Bâle. Cointrin a été son port d’attache. C’était à l’époque la seule piste de Suisse pour avions intercontinentaux. Il se souviendra du décollage de Genève du Folker F-VII qui repose à Lucerne au Musée des transports. A 18 ans, il décide qu’il construira des avions ; il commence l’apprentissage du pilotage qui l’amène à l’expérience inoubliable du premier vol seul. A 19 ans, avec son ami de toute une vie, Léopold Pflug, plus tard professeur à l’EPFL, il s’enthousiasme à l’EPFZ pour l’aéronautique. Entré dès 1959 à la Fabrique Fédérale d’Avions à Emmen, il y devient chef du bureau des calculs puis ingénieur en chef. Licencié lui-même en vol de virtuosité, il exécute des vols d’essais sur son Morane Rallye avec le système de fusées d’appoint au décollage qu’il a calculé et construit pour les Pilatus et les Mirage III.
Il a ensuite été le maître d’œuvre de la reconstruction complète de vingt-trois C-3605 à turbo. Ingénieur jusqu’au bout des doigts, il a beaucoup étudié et expérimenté la fatigue des avions. Sa connaissance profonde, concrète de la fatigue a contribué à ce que les chasseurs militaires Venom puissent voler plus de deux mille heures, soit plus du double de ce que promettait le fabricant britannique. Mais il lui a aussi permis de dimensionner et de construire à Emmen pour l’ICOM-EPFL une très grande installation d’essais de fatigue de ponts et grues, pleinement utilisée par beaucoup de chercheurs et encore actuellement à la pointe de la recherche européenne en construction métallique.
En 1973, avec son épouse Christine, il revient en Suisse romande pour apprendre et pratiquer un tout nouveau métier : rédacteur en chef d’une revue technique pour ingénieurs et architectes. Il fut le premier rédacteur plein temps du Bulletin Technique de la Suisse Romande (BTSR), renommé plus tard IAS, puis Tracés. Fondé en 1875 par la Société Vaudoise des Ingénieurs et Architectes (SVIA), le BTSR avait quasi un siècle de tradition. L’existence d’une revue technique et scientifique de qualité, en langue française, a depuis lors joué un rôle essentiel dans le rayonnement de l’ingénierie et de l’architecture romandes. Elle contribue également à la diffusion des connaissances créées à l’EPFL, en simulant la synergie entre mondes professionnel et académique.
Jean-Pierre Weibel a, 26 ans durant, magistralement relevé le défi de publier une revue d’excellence pour une Romandie de moins de deux millions d’habitants. Grâce aux circonstances, à la qualité de son engagement et de son travail, il en a plus que doublé le tirage : de 2000 à 4200 ; et assuré plus de quatorze mille pages d’articles et de textes ! Ses talents de rédacteur en chef, sa créativité ont été mis en évidence par plus de cinq cents éditoriaux ; des éditoriaux systématiquement excellents qui ont su réunir une grande sensibilité, un brin de provocation, une prise de recul ainsi qu’un éclairage constamment original et profondément cultivé sur l’actualité. En second lieu, M. Weibel a toujours porté une conception large et synthétique de l’ingénierie.
Jean-Pierre Weibel a été un visionnaire ; c’est bien avant que cela ne soit d’actualité qu’il a perçu l’importance des problèmes environnementaux, énergétiques ou d’une politique concertée des transports. Forte personnalité et homme de profondes convictions, il n’a jamais transigé sur l’éthique professionnelle, la droiture et l’exigence de qualité, comme sur la morale de l’honnête homme. Ancien président du club de hockey sur glace de Lucerne et parlant couramment le Schwytzerdütsch, il s’est toujours battu pour maintenir une vision nationale et internationale de l’architecture et de l’ingénierie, il a su insister sur l’importance, pour la Suisse entière, d’avoir une Suisse occidentale forte et d’y posséder une ingénierie de haut niveau.
Jean-Pierre Weibel avait beaucoup de cordes à son arc. D’abord, depuis sa retraite de IAS, une douzaine d’années durant, il a défendu brillamment l’ingénierie, l’EPFL, l’aviation, les infrastructures de transport, mais aussi la droiture et la morale communautaire dans de très nombreuses lettres de lecteurs et autres textes adressés à beaucoup de nos quotidiens et hebdomadaires. Profondément cultivé, il a voué une grande attention à la musique classique, il jouait de la flûte pour sa famille.
Par ailleurs, il a siégé au comité de la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le monde et au comité de la Chambre suisse des experts judiciaires techniques et scientifiques. Que son épouse durant 43 ans, Christine, ses deux enfants et sa petite-fille trouvent ici l’expression de notre amitié profonde, de notre respect et de notre immense gratitude.
Prof. Dr h.c. Jean-Claude Badoux
Ancien Président de l’EPFL, membre du Conseil de la SEATU