La géo­ther­mie et l'opi­nion pu­blique: l'im­por­tance du con­texte

Quelle réception de la géothermie de la part des habitants? Projet de recherche d’un laboratoire de l’EPFZ.

Date de publication
07-11-2018
Revision
27-11-2018

Le projet de recherche «Territorialiser la géothermie à Genève» (TeGéGE) mené par le Laboratoire Transdisciplinaire du Département des Systèmes Environ-nementaux de l’EPF à Zurich depuis 2016 – et financé par le Canton de Genève et les Services Industriels – vise à comprendre la réception sociale de la géothermie. Il étudie le caractère volatil et dynamique aussi bien de la technologie que du public. L’étude démontre l’importance cruciale d’une information ciblée.

Même si la Suisse est championne du monde en termes de densité de pompes à chaleur, le développement de la géothermie plus profonde reste lent et hésitant. Il y a peu d’exemples concrets sur lesquels s’appuyer pour se faire une opinion sur cette technologie : seuls les deux grands projets géothermiques de Bâle et Saint-Gall qui ont échoué dans le passé sont restés dans la mémoire collective1. Par ailleurs, étant une technologie en sous-sol et donc invisible, la géothermie est moins facilement saisissable que d’autres énergies renouvelables, comme le solaire ou l’éolien. Il est néanmoins crucial d’étudier sa perception par la population, car celle-ci est la première concernée et peut avoir une influence directe sur le développement des projets concrets. Qu’est-ce que cela implique pour les initiateurs d’un projet géothermique ? Comment prendre en compte à la fois le caractère émergent de la géothermie et le public et ses attentes ?

Au lieu de se focaliser sur un seul projet, le programme cantonal genevois, GEothermie20202, vise à développer la géothermie sur l’ensemble de son territoire en fonction des spécificités locales du sous-sol. La communication et l’inclusion des parties prenantes font partie intégrante du programme. Dans notre projet de recherche, nous analysons le contexte institutionnel, la perception de la population, ainsi que les modèles participatifs qui, ensemble, orientent la mise en œuvre d’un tel programme. Pour travailler sur la perception de la population, nous avons organisé six groupes de discussions dans cinq communes et un quartier genevois sur le thème de la transition énergétique et la géothermie. Cette méthode permet de mieux comprendre la façon dont les participants envisagent la transition énergétique et leurs réceptions de la géothermie.

Nous avons pu identifier plusieurs opinions partagées collectivement dans les différents lieux : la nature de l’information en lien avec la géothermie, sa connexion avec des thèmes plus quotidiens, et les risques qui lui sont liés. Il y avait aussi quelques différences, en l’occurence concernant les dynamiques de discussion et par rapport aux thèmes traités entre les différents groupes et localités.

La qualité de l’information était donc un thème qui revenait souvent. Plusieurs participants souhaitaient plus d’études et plus d’informations avant de développer une opinion. D’autres demandaient des éléments de comparaison par rapport au gaz de schiste ou à d’autres exemples de géothermie. Même si dans chaque groupe de discussion il y avait toujours au moins une personne qui s’est profilée comme un « expert » en géothermie ou énergies renouvelables, le manque d’information a été mentionné à plusieurs reprises. Le programme géothermique genevois n’ayant pas encore eu beaucoup d’interventions concrètes sur le territoire cantonal, ce manque d’information se référait rarement au programme directement, mais plutôt à la technologie de la géothermie de manière générale.

Même si les discussions étaient focalisées sur la géothermie, les participants ont préféré la mettre en relation avec des thèmes avec lesquels ils se sentaient plus à l’aise. C’est un phénomène que l’on observe souvent et qui est important pour des projets visant à inclure la population : s’il s’agit d’un thème complexe et inconnu, il est plus facile et efficace pour une participation soutenue de trouver une autre porte d’entrée basée sur les expériences vécues.

Faute d’information, des comparaisons hasardeuses


Concernant les risques liés à la géothermie, plusieurs participants dans les différentes localités ont évoqué que « le risque zéro n’existe pas ». Là aussi, l’information se révèle à nouveau nécessaire, les participants ne connaissaient pas assez bien la technologie pour donner un avis sur le niveau de risque de la géothermie, mais ils s’interrogeaient sur les risques pour les nappes phréatiques ainsi que les risques sismiques. Par contre, pour le contexte genevois, la plupart des participants faisaient confiance au Canton de Genève et aux SIG quant à leur capacité à bien évaluer ces risques.

Les groupes de discussions ont révélé des différences entre les communes et les quartiers. L’existence de grands projets d’infrastructure ou d’énergie renouvelable sur le territoire communal comme par exemple celui d’une centrale de biomasse dans une commune, peuvent expliquer pourquoi le projet est revenu plusieurs fois dans les discussions. Il était évoqué soit pour illustrer un mauvais exemple de gouvernance d’un projet d’énergie renouvelable, soit pour montrer l’engagement de la commune sur ce secteur, etc. Dans un autre contexte, la construction d’un grand projet d’infrastructure ferroviaire était un thème prépondérant. Il a donc engendré d’autres thèmes comme la mobilité ou les nuisances sonores. Une deuxième différence était due à la différence de la balance entre intérêts individuels et intérêts au niveau de la communauté entre les communes et quartiers urbains.

Comme ce bref aperçu des résultats le montre, la méthode des groupes de discussion est un outil indispensable pour comprendre les différentes perceptions d’un projet et les associations que les habitants tissent. Dans le cadre d’une étude transdisciplinaire avec les praticiens, il est possible de partager ces informations afin de rendre immédiatement visibles les enjeux autour d’une technologie et de la développer en relation directe avec les acteurs locaux.

En résumé, les groupes de discussion nous ont montré que l’opinion des habitants n’est en rien figée en ce qui concerne la géothermie. Il n’y a rien à cacher mais tout à gagner à dévoiler son fonctionnement. Une stratégie d’information réfléchie et adaptée au contexte est toujours souhaitable pour un projet émanant d’une technologie émergente comme celle-ci, afin de minimiser les blocages. En connaissant les valeurs partagées et les interrogations récurrentes, il est possible de porter un message clair qui s’adresse directement aux besoins des citoyens.

Auteur:
Franziska Ruef, MSc. en géographie humaine, est doctorante au Laboratoire Transdisciplinaire du Département des Systèmes Environnementaux de l’EPF à Zurich. Sa thèse de doctorat fait partie du projet
Territorialiser l’énergie géothermique à Genève, une collaboration transdisciplinaire avec le programme genevois GEothermie 2020.

 

 

Notes

1    A Bâle (2006), les Services industriels Industrielle Werke Basel AG (IWB) et le gouvernement de la Ville ont soutenu le projet Deep Heat Mining qui aurait dû être la première centrale géothermique pétrothermale au monde exploitée à des fins commerciales. Ce projet a déclenché un séisme de 3,6 Mw et a donc été arrêté. En 2013, un autre projet, cette fois hydrothermal, mis en œuvre par la compagnie d’électricité St. Galler Stadtwerke (SGSW) et les autorités de la Ville de Saint-Gall a provoqué un séisme de 3,4 Mw après un forage inattendu dans un gisement de gaz naturel. Bien que les opérations de forage aient repris après le séisme, le projet a été arrêté en raison d’un manque de flux d’eau chaude.

2    Site web du programme genevois pour le développement de la géothermie sur le canton :GEothermie2020.ch

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