La possibilité d’une ville
S'emparer de la ville #4
Adopter une vision prospective de Lausanne et contrebalancer le conservatisme actuel, tel est l'enjeu majeur de la révision du Plan d'affectation communal. Épilogue de la chronique "s'emparer de la ville" proposée par les architectes Yves Dreier, Eik Frenzel, Oscar Gential et Matthieu Jaccard.
La version suisse de San Francisco ». C’est ainsi qu’est présentée Lausanne parmi les onze petites villes les plus sous-estimées d’Europe selon le Huffington Post, en 20151. Si, au-delà de l’écart de population, le rapprochement peut faire sourire, c’est que nous n’avons pas l’habitude de voir Lausanne associée à une référence aussi urbaine. Pour preuve, les illustrations de la brochure de présentation du Plan directeur communal 2030 (PDCom)2 où la ville prend des allures champêtres : des routes serpentant entres des collines sur lesquelles sont disséminés quelques monuments épars. On retrouve ici le « caractère bucolique et ouvert » de Lausanne, inscrit dans l’imaginaire collectif et dont la récente exposition PLOT3, qui s’est tenue au forum d’architectures de Lausanne, montrait ce qu’il doit à la difficulté chronique des responsables de son développement de se projeter au-delà d’une certaine échelle architecturale et urbanistique.
Le Plan général d’affectation (PGA) en vigueur, qui donne un cadre au développement de la ville en définissant les modes d’occupation du sol ainsi que les règles de construction, date de 2006 et doit être révisé jusqu’en 2022. Même s’il a permis l’homogénéisation d’une myriade de plans spéciaux qui recouvraient le territoire lausannois, son contenu et son efficacité ont fait l’objet d’importantes critiques des milieux professionnels. Cela concerne en particulier les gabarits de construction, pensés à partir de la géométrie de la parcelle, notamment par des distances et retraits à respecter. Ces règles favorisent un urbanisme de l’éparpillement où le plot émerge souvent comme seule option morphologique capable de répondre au cadre légal sans envisager une planification spéciale, chronophage et fastidieuse.
Les intentions affichées quant à la révision du PGA, désormais intitulé Plan d’affectation communal (PACom), reposent sur une approche sectorielle – par quartier – et sur des données collectées à la fois par des démarches participatives – l’expertise des habitants et usagers – et des inventaires – patrimoniaux, naturels et paysagers. On y lit l’envie de spécifier des règles en fonction de contextes très localisés dans le but de respecter ou d’affirmer des identités propres à chaque quartier, et ainsi d’éviter des projets en désaccord avec les prérequis esthétiques ou patrimoniaux. Cette approche sensible sur l’identité des quartiers peut être positive à petite échelle, mais elle manque de vision d’ensemble. Elle oblige à légiférer au cas par cas et dans un esprit de statu quo inquiétant, qui confine les réflexions à l’échelle de la quatrième ville de Suisse à quelques projets spécifiques, comme l’écoquartier des Plaines-du-Loup ou le pôle muséal, sans possibilité de modifier le reste du milieu urbain, qualifié de « stable ».
Sans vouloir simplifier à l’extrême une planification aussi complexe qu’un PACom, il semble déterminant de se doter de quelques règles fortes, signes d’une ambition assumée, en cohérence avec les enjeux sociétaux de notre temps et porteuse d’une dynamique résolument urbaine : définition des espaces publics par l’alignement des constructions, entrées et façades principales depuis la rue, contiguïté, abrogation des longueurs maximales, etc. De quel terreau faut-il s’inspirer, et de quel cadre légal s’équiper pour répondre aux opportunités à venir ? Quelle spécificité lausannoise est la plus résiliente ? Le nouveau PDCom fait principalement une synthèse des projets en cours de planification. Il peut néanmoins apporter des éléments de réponse. Par exemple par la reconnaissance d’une structure topographique qui a façonné la morphologie de la ville et donné à celles et ceux qui l’aménagent un modus operandi en la maîtrisant, en la façonnant ou en s’en accommodant. Cette identité lausannoise est en effet bien plus prégnante et permanente que quelques modestes spécificités architecturales. Reconnaître une telle structure permettra de penser un urbanisme de tracés plutôt que de formes bâties, de penser au territoire plutôt qu’à l’architecture.
Le défi est de contrebalancer le conservatisme actuel par une vision prospective de Lausanne. L’enjeu du PACom est de penser la ville au-delà de la camisole installée par le PDCom 2030 et des considérations électoralistes. La possibilité de concevoir Lausanne comme une vraie ville – avec ses visions, ses contraintes et ses débats – est une chance à saisir, la laisser s’éloigner nous rendra impuissants à contrôler ses contours et ses possibles.
Notes
1. « Europe’s 11 Most Underrated Small Cities », huffpost.com, 30 avril 2015.
2. Ce document, essentiel pour l’avenir de la ville, a récemment été soumis à la consultation publique. Voir la page dédiée à la révision du PDCom lausanne.ch/officiel/grands-projets/lausanne-2030/revision-du-pdcom.html.
3. PLOT, atlas d’une particularité lausannoise,19.09-20.10.19, f’ar (forum d’architectures), Lausanne, archi-far.ch. Voir également le reportage de La Télé sur l’exposition du 17 octobre 2019, latele.ch.
Lire les trois premières chroniques
Lausanne ou la stratégie de l’entre-deux
Une belle paysanne qui néglige ses humanités