La Ri­ponne, du mar­ché au fo­rum

L’histoire de la place lausannoise de la Riponne est relativement récente. A l’exemple de la place de la Vieille-Ville de Prague, elle fait partie de ces espaces – souvent surdimensionnés – qui ont initialement été le lieu de contact entre la campagne et la ville.

Date de publication
20-10-2015
Revision
14-10-2017

C’est en 18111 que le nom de Riponne apparaît, probablement hérité de la famille Rippon qui habitait ce vallon étroit planté de vigne, situé hors des murs de la ville, où s’écoulait la Louve. 

C’est également au début du 19e siècle que les édiles lausannois s’y intéressent pour établir le marché aux grains et le poids public, alors sis à la place Saint-François devenue trop exiguë. Le comblement se fit progressivement jusqu’en 1830, rythmé par des projets de développement trop onéreux pour voir le jour. En 1834, un grand concours est ouvert par les autorités pour l’aménagement de la place de la Riponne. Une seule proposition sera rendue : celle du municipal et architecte Henri Fraisse. L’objectif du projet d’Henri Fraisse est « de centraliser les échanges ville-campagne sur une grande place du chef-lieu et de donner à Lausanne le caractère d’une grande capitale »2. Il propose un espace carré – occupant environ le tiers sud de la place actuelle – structuré par des bâtiments dont seule la halle aux grains – la Grenette – sera réalisée. En octobre 1840, le premier marché est organisé sur la place de la Riponne. 

La présence de la Riponne dans les archives du Bulletin technique correspond à deux périodes historiques de son développement : celle où elle acquiert une fonction touristique et culturelle (début du 20e siècle) et celle de sa transformation selon les principes du rationalisme (1930-1940).

Du marché aux arts


Les premiers articles faisant référence à la Riponne sont liés au choix de l’emplacement pour le Palais de Rumine – construit entre 1890 et 1906 pour accueillir le service général de l’Académie, les sociétés savantes, la Faculté technique – et à son concours d’architecture. 

En 1888, Benjamin Recordon, architecte et enseignant – bâtisseur notamment de l’ancien Tribunal fédéral de Lausanne – se fait le porte-parole de la Société vaudoise des ingénieurs et des architectes pour émettre ses doutes quant à la manière dont a été choisi l’emplacement du Palais de Rumine : « Cependant il est à remarquer que les conclusions de la Commission du legs de Rumine, ainsi qu’elle le dit dans son rapport, ont été prises avant toute étude technique ; il est donc permis de se demander si ses conclusions auraient été aussi positives si elle avait déjà été renseignée au sujet des dimensions considérables du mastodonte qu’il s’agit de caser. »3 Dans le même article, il préjuge de l’impossible cohabitation entre la Grenette et le futur édifice.

La construction du Palais de Rumine par l’architecte lyonnais Gaspard André change l’affectation de la place. D’une place dédiée au marché et au commerce, elle acquiert, avec le Palais de Rumine, un caractère représentatif et prestigieux à l’heure où Lausanne investit dans le secteur touristique par la construction de plusieurs grands hôtels. Ce bâtiment redimensionne la place et condamne le très bel ouvrage de Fraisse, la Grenette : « D’autre part, en utilisant le terrain dans toute sa longueur, on transportait l’axe principal des constructions en dehors de la place actuelle, tranchant ainsi, en quelque sorte, la question d’un agrandissement futur de la place vers le nord et celle de l’enlèvement, dans un avenir plus ou moins rapproché, de l’ancien marché aux grains la Grenette, édifice d’ailleurs sans caractère monumental et sans grande utilité depuis l’abandon de la culture des céréales dans la région. »4 

Rationalisme et automobile


Entre le début du 20e siècle et les années 1930, la question de la Riponne disparaît du Bulletin technique. C’est avec le développement de l’usage de l’automobile et d’une nouvelle perception de la manière de faire la ville que l’aménagement de la place est rediscuté : « La place de la Riponne ne répond plus aux exigences de l’urbanisme moderne. Ses accès, ses dégagements, sa capacité même, son devenus insuffisants. L’aspect général qu’elle présente n’est point heureux. Or, c’est au fond la seule vraie place lausannoise. (…) L’édifice de Rumine, terminé en 1908, n’est certes pas sans mérites propres, mais on peut dire, sans faire tort à nos devanciers, que son style est surtout son implantation sont en tout cas discutables. Seulement, le Palais de Rumine existe bel et bien et on doit carrément en tenir compte en prévoyant l’aménagement futur de la place et de ses abords. »5

Dès lors, les articles qui suivent entre 1936 et 1942 ne cesseront de mettre en évidence les difficultés urbanistiques posées aux planificateurs lausannois par cet espace. Ils réprouvent tous unanimement le Palais de Rumine et la destruction de la Grenette et cherchent une solution dans l’aménagement rationnel guidé par les paramètres modernes de circulation. Paramètres qui trouveront leurs applications urbaines quelques années plus tard avec la construction en 1961 du bâtiment administratif au nord de la place et du parking souterrain en 1972.

Des arts au forum


Aujourd’hui encore, la place de la Riponne continue de questionner les autorités lausannoises. Serpent de mer de l’urbanisme de la capitale vaudoise auquel les quelque 60 projets imaginés depuis sa création n’ont toujours pas donné de réponse. 

La qualité première de la Riponne repose peut-être dans sa capacité à résister à toute affectation précise. La voie choisie depuis une année par les autorités lausannoises semble accepter cet état de fait et permet timidement à la civitas de s’approprier l’urbs. En réinvestissant la place par des activités quotidiennes et des événements éphémères qui ponctuent la vie culturelle de Lausanne sans en chasser les damnés qui l’ont investie depuis quelques années, la municipalité transforme très doucement la place en véritable forum, objectif fixé par Henri Fraisse dans le tout premier projet d’aménagement.

 

Notes

1 Direction des travaux de la Ville, « Urbanisme lausannois : l’aménagement futur de la Riponne », Bulletin technique de la Suisse Romande, 1942, n° 21, pp. 249-250.
2 Etienne Corbaz, « La Riponne : une place de capitale » in : Mémoire vive, 1994. 
3 Benjamin Recordon, « L’organisation des concours d’architecture et l’emplacement de l’édifice de Rumine », Bulletin de la Société vaudoise des ingénieurs et des architectes, 1888, n° 4, p. 94.
4 Melley Ch., « Le palais de Rumine, à Lausanne », Bulletin technique de la Suisse Romande, 1906, n° 23, p. 266.
5 Direction des travaux de la Ville, « Urbanisme lausannois : l’aménagement futur de la Riponne », Bulletin technique de la Suisse Romande, 1942, n° 21, pp. 249-250.

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