L’agrivoltaïque, solution d’avenir?
L’agrivoltaique est-il compatible avec les fonctions agricoles d’un territoire? Quelles sont ses relations au paysage? Comment est-il accepté par les populations? Autant de questions explorées avec Alessandra Scognamiglio, architecte et spécialiste de la recherche sur le photovoltaïque intégré.
Francesco Frontini: En Italie, les discussions actuelles portent sur les possibilités d’intégration du photovoltaïque au-delà des bâtiments. Quelles sont-elles et y a-t-il des défis particuliers à relever?
Alessandra Scognamiglio: La question de l’utilisation du photovoltaïque dans nos centres-villes occupe toujours une place importante dans la recherche de solutions appropriées et dans le dialogue entre les différentes parties prenantes, notamment les décideurs politiques et économiques qui doivent évaluer les mêmes projets avec des points de vue et des besoins parfois contradictoires.
Dans le cas des bâtiments situés dans les centres historiques, lorsque l’utilisation du photovoltaïque n’est pas exclue, souvent pour des questions patrimoniales, la recherche de solutions appropriées passe nécessairement par des conceptions extrêmement soignées, notamment par la mise en œuvre d’éléments ponctuels caractérisés par des coûts plus élevés. Or tous les projets ne disposent pas d’un budget suffisant pour mettre en œuvre ces dispositifs. Dans le cas des bâtiments situés en zones périphériques, l’application du photovoltaïque intégré se heurte à une réalité: le faible pourcentage de constructions nouvelles. Dans ce contexte, il semble par conséquent plus facile d’utiliser les surfaces des bâtiments existants comme supports pour des composants photovoltaïques moins coûteux car plus normalisés ou disponibles immédiatement.
Il est en tout cas clair que dans un pays qui entend installer 80 GW de photovoltaïque d’ici 2030, le principe du photovoltaïque associé aux bâtiments est incontournable mais ne suffira pas. Pour cette raison, il faut réfléchir à des installations de grande envergure également situées dans des zones non urbaines, tout en répondant à un nouveau défi lié aux questions du sol agricole en tant que ressource et de la protection du paysage.
Les sols agricoles, de par leur conformation – plats et bien exposés –, sont les plus adaptés à l’installation de panneaux photovoltaïques. Mais cela crée un conflit entre la production d’énergie et l’agriculture, qui se manifeste par des oppositions dans les collectivités locales: il est évident que la soustraction de terres agricoles et la transformation incontrôlée du paysage constituent une menace ressentie par l’ensemble de la communauté.
Contrairement à l’intégration du PV aux bâtiments, la mise en place de champs photovoltaïques à grande échelle ne se heurte pas au manque d’espace – les zones appropriées, contrairement aux surfaces de construction, sont largement disponibles –, mais aux exigences des différentes phases d’autorisation et à la résistance des populations locales.
Dans le cadre de projets de qualité développés de manière transdisciplinaire par différents experts, l’intégration est une fois de plus la clé pour répondre aux besoins de la transition énergétique.
Les différentes manières d’utiliser ce que l’on appelle l’«agrivoltaïque» – c’est-à-dire la combinaison de la production d’énergie photovoltaïque et de la culture agricole sur les mêmes surfaces – sont au cœur du débat sur les énergies renouvelables en Italie. Cette approche est interprétée comme une possibilité de résoudre rapidement les conflits décrits ci-dessus, en conciliant la production d’énergie et la production agricole. Notre Piano Nazionale di Ripresa e Resilienza (Plan national de relance et de résilience, PNRR) a d’ailleurs alloué une somme importante au développement de ces solutions: 1.1 mia d’euros pour environ 1.04 GW d’énergie à réaliser d’ici 2026. Les solutions concernées sont considérées comme « innovantes » : des modules montés sur des supports fixes ou suiveurs, placés à au moins 2.1 m du sol (pour les cultures) ou 1.3 m (pour l’élevage), qui ne compromettent pas la continuité des sols agricoles et qui sont équipés de systèmes de suivi (impact du photovoltaïque sur les cultures, économie d’eau, productivité agricole, fertilité des sols, etc.).
Les enjeux de l’agrivoltaïque sont nombreux. L’intégration du photovoltaïque y est beaucoup plus complexe que pour le patrimoine bâti : une partie du système – la culture – est vivante, il est donc difficile de modéliser et de prévoir son comportement. Les acteurs amenés à collaborer entre eux (entreprises agricoles et énergétiques) sont par ailleurs très divers et tout le dispositif entourant la mise en œuvre de l’agrivoltaïque est à construire. Enfin, la relation avec le paysage, si le sujet n’est pas nouveau, n’a jamais été suffisamment abordée : on parle encore d’«installations» et non de « projets paysagers » lorsqu’il s’agit de photovoltaïque à grande échelle.
Ces dernières années, vous avez dirigé un groupe de travail de l’Agenzia nazionale per le nuove tecnologie, l’energia e lo sviluppo economico sostenibile (ENEA) sur l’agrivoltaïque durable et vous êtes également présidente de l’Associazione italiana per l’agrivoltaico sostenibile (AIAS). Quels sont les projets que vous menez?
En 2021, l’agrivoltaïque est apparu comme un thème prometteur pour le développement des énergies renouvelables dans une optique de décarbonisation. Cependant, l’approche de cette opportunité était complexe dès le départ car elle nécessitait l’intégration de différentes connaissances et le développement d’un nouveau modèle. En d’autres termes, il n’y avait pas de solutions toutes faites. L’ENEA, qui a le potentiel de couvrir transversalement tous les domaines nécessaires pour remplir cette mission, a décidé de relever le défi en apportant son expertise à la fois sur les technologies énergétiques renouvelables et sur la durabilité des systèmes de production et des territoires. En combinant ces compétences, elle a donc voulu créer une « boîte à outils » qui produit des connaissances et une vision adéquates en vue d’un développement harmonieux de l’agrivoltaïque.
La principale raison du groupe de travail Agrivoltaico Sostenibile de l’ENEA est d’accompagner son développement en Italie, depuis sa phase initiale, caractérisée par des incertitudes d’interprétation et des lacunes réglementaires, jusqu’à en faire l’un des ingrédients de la transition énergétique nationale. Depuis sa création, il a mené diverses activités et s’est toujours engagé dans la diffusion du savoir-faire, contribuant à façonner ce qui n’existait pas encore: une culture de l’agrivoltaïque, déclinée selon ses différentes facettes techniques.
Parmi ses activités, citons sa participation au projet européen Symbiosyst, dont l’objectif est de combiner des systèmes photovoltaïques de pointe, des systèmes de modélisation avancés et des activités agricoles afin d’augmenter la production à partir de sources renouvelables sans consommer plus de terres, avec des avantages en termes d’économie et de protection du paysage, conformément aux objectifs européens de neutralité climatique à l’horizon 2050.
L’ENEA intervient sur ces deux questions cruciales. Outre le développement de méthodologies et d’outils innovants pour la conception de systèmes agrivoltaïques durables capables d’optimiser la production agricole et énergétique, elle est engagée dans la réalisation de solutions pour soutenir les systèmes d’information basés sur les systèmes d’information géographique (SIG), centrés sur l’intégration de connaissances multidisciplinaires, mais aussi sur l’implication des parties prenantes dans les actions de formation.
La vision qui sous-tend la contribution de l’ENEA au projet est celle de l’agrivoltaïque comme une solution sur mesure, qui répond à une vision systémique des différents sous-systèmes impliqués et qui adapte une méthodologie générale à des contextes territoriaux spécifiques, c’est-à-dire à des paysages, des communautés et des systèmes économiques différents. En ce sens, la complexité du projet doit être préservée des tentatives de simplification de son évaluation par le développement de systèmes d’aide à la décision, tant dans la phase de conception que dans la phase postérieure à l’autorisation. Dans ce contexte, des lignes directrices pour l’intégration paysagère et un catalogue de plantes de démonstration et de meilleures pratiques seront également réalisés.
L’expertise acquise au sein du groupe de travail a aussi soutenu le développement de plusieurs lignes de recherche liées visant à concevoir et à mettre en œuvre de nouvelles solutions pour l’intégration du photovoltaïque dans les bâtiments et pour combiner la production d’électricité et l’agriculture (agrivoltaïque).
L’AIAS a été créée en septembre 2022, suite à l’expérience de l’ENEA avec le Réseau national agrivoltaïque durable, lancé par la même agence avec le soutien de l’ETA Florence Renewable Energies, un réseau italien ouvert aux entreprises, institutions, universités et associations professionnelles pour promouvoir l’agrivoltaïque durable. Après un peu plus d’un an, le réseau comptait environ 1 200 membres, ce qui témoigne du grand intérêt suscité par le sujet. Depuis novembre 2022, l’ENEA assure la présidence de l’AIAS par mon intermédiaire.
L’AIAS vise à promouvoir le développement vertueux de l’agrivoltaïque en soutenant des projets qui améliorent son potentiel de production également grâce à des solutions technologiques avancées. L’association compte parmi ses membres des représentants de divers domaines d’intérêt, notamment des opérateurs du secteur de l’énergie et de l’agriculture, du secteur de la recherche, de l’éducation et du conseil, ainsi que du secteur juridique et financier. Parmi les objectifs de l’AIAS figure le soutien à des projets éthiques capables d’améliorer la production agricole, l’environnement et le paysage, tout en respectant et en améliorant la biodiversité et les qualités de l’écosystème des sites en faveur des populations locales.
Existe-t-il en Italie des projets qui questionnent les habitants sur leur cadre de vie?
Absolument, il existe des projets qui font de la beauté – entendue au sens de «modèle qui relie» selon la définition de l’anthropologue et psychologue américain Gregory Bateson – leur centre. Par exemple, en 2022, l’ENEA, en collaboration avec InArch et avec le soutien de la société NeoruraleHub (aujourd’hui Simbiosi), a lancé un concours d’aménagement paysager intitulé «Agrivoltaics for Noah’s Ark». La thèse du concours – qui prévoyait l’attribution du mandat au lauréat du premier prix – était que la réalisation de systèmes agrivoltaïques pouvait constituer, en dépassant le point de vue purement technique pour aller vers une dimension de design complexe, une opportunité de faire de la transition énergétique une transition écologique, à travers le développement de visions articulées, capables d’expérimenter de nouvelles approches.
Le concours a stimulé la recherche dans la conception de systèmes agrivoltaïques en tant que partie intégrante du paysage, conçus pour que la population d’un certain territoire puisse participer à la transformation durable de son habitat. Dans ce cadre méthodologique, le concours avait un double objectif. Le premier consistait à construire un système agrivoltaïque d’une taille approximative de 1 MWc sur une surface totale de 6 ha, susceptible d’être intégré à la culture du riz. Le second était de concevoir le système agrivoltaïque comme un élément du paysage. Cela signifie qu’il fallait mettre en relation le système technologique avec la texture structurelle et sémantique du paysage lui-même, envisagés comme deux éléments d’un même écosystème, dans la recherche d’une amélioration des qualités intrinsèques du site d’intervention.
Le concept du concours inclut également la valeur du vide, c’est-à-dire de cet espace techniquement considéré comme une sorte de déchet, mais qui est le lieu où des fonctions complémentaires peuvent produire de nouvelles relations, par rapport à la seule fonction primaire exploitant intensivement l’espace disponible (par exemple, des installations photovoltaïques très denses ou une agriculture intensive).
Un exemple de la valeur du vide est le paysage dans lequel s’inscrit le projet de concours : un paysage de restitution créé par les commanditaires eux-mêmes. Là où l’action humaine, en domestiquant la nature pour en faire une monoculture, avait réduit de manière drastique le nombre d’espèces animales et végétales présentes et limité le champ visuel au seul plan horizontal, une action de renaturation a été menée, remplaçant le plein de la monoculture par le vide de la nature.
Dans la pratique de NeoruraleHub, les espaces vides sont les lisières de champs à vocation environnementale (Environment Field Margins), où la végétation est laissée libre de pousser autour des zones de culture du riz. Ce sont précisément ces espaces vides qui constituent des zones de biodiversité soutenant les zones cultivées en agissant comme des barrières contre les invasions d’insectes et de ravageurs et en évitant ainsi l’utilisation d’insecticides tout au long du processus de culture.
En transposant cette approche – qui attribue une valeur de restitution au vide conçu et soutenu par des connaissances et des savoir-faire scientifiques et techniques – à l’objet spécifique du concours (un jardin agrivoltaïque), l’«espace poreux», dont le vide entre et sous les modules photovoltaïques, revêt une importance particulière. Dans les intentions du concours, il s’agit de l’espace de relation, dans lequel coexistent non seulement la culture du riz, mais aussi la faune, la flore et les personnes elles-mêmes. Ainsi, du point de vue du projet, le vide constitue une valeur.
Choisi par un jury international, le lauréat du concours est le Studio Alami avec le projet «A-Grid». Il s’agit d’une sorte de canopée dans laquelle des modules photovoltaïques sont accrochés à des câbles suspendus, générant un réseau dans lequel la position des différents éléments est optimisée en fonction du captage de l’énergie solaire et des besoins des cultures situées en dessous. La phase d’avant-projet de ce projet complexe est terminée et le plan financier est en cours de finalisation. Après la clôture du concours et pendant la phase contractuelle avec l’entreprise cliente, un modèle numérique paramétrique a été développé. Plusieurs itérations ont permis d’optimiser la géométrie, de la définir à la fois d’un point de vue structurel (et donc économique) et fonctionnel (rapport lumière / ombre).
Plusieurs membres de l’AIAS ont des projets agrivoltaïques dans leurs cartons, où l’esthétique et les pratiques d’implication des communautés locales sont des ingrédients significatifs du projet. Nous n’en sommes qu’au début, et malgré les difficultés et les ambiguïtés associées à ce moment de transition, et pas seulement en termes d’énergie, la bonne nouvelle est que dans les années à venir nous pourrons travailler ensemble à la recherche d’une forme désirable du futur qui trouvera son expression partagée dans le paysage.
Dans la culture actuelle, le photovoltaïque et le paysage sont deux éléments inévitablement opposés, car on n’a pas encore trouvé de réponse valable en matière de design. Quels seraient donc les éléments permettant de développer une vision qui surmonte cette opposition?
Une vision adaptée à la complexité à laquelle nous contraint la transition écologique ne peut que s’appuyer sur une compréhension multiforme et interconnectée des enjeux. La seule analyse disciplinaire, qui sépare, divise et quantifie, doit être dépassée par une vision complexe et une synthèse – et non une simplification – efficace pour produire une valeur collective et symbolique du photovoltaïque qui ne soit pas seulement celle de l’utile, mais qui transcende cette sphère en direction de la beauté. Penser un champ photovoltaïque comme un jardin, c’est retrouver le sens humain de la vie, dans laquelle cohabitent la fonction mais aussi l’esthétique comme possibilité d’expression des besoins qui ne peuvent être relégués dans le domaine de l’utilité. Il s’agit de rendre à la nature sa dimension superflue, c’est-à-dire purement contemplative, à laquelle le projet photovoltaïque lui-même contribue en offrant des occasions de contempler le paysage; une invitation à dépasser la séparation entre le sujet et l’objet, déterminée par la connaissance scientifique qui étudie le monde comme un instrument au service des fins pratiques de l’homme.
Si, dans la pratique actuelle, un parc photovoltaïque est conçu, perçu et vécu comme une soustraction au paysage et à l’Homme, il faut une action capable d’élaborer des solutions et des stratégies à travers lesquelles le champ photovoltaïque devienne une action de restitution à la Nature, mais aussi à l’Homme lui-même, qui tire le sens de son existence de sa relation avec la Nature. En transformant la surface photovoltaïque en jardin photovoltaïque, il est possible de construire un pont entre la culture de la technologie et la culture des sciences humaines, à savoir le paysage. Dans la pratique, il s’agit de concevoir les champs photovoltaïques de manière à moduler le degré d’utilité/inutilité des étendues qu’ils recouvrent, à la recherche d’un degré de relation de l’Homme avec la Nature qui satisfasse les besoins liés à la contemplation, à la présence des personnes entre elles ou dans un certain lieu, à la production.
Dans cet horizon, l’agrivoltaïque se configure comme une possibilité pertinente de décliner les thèmes de la production d’énergie, de l’alimentation et de la beauté, dans des projets de transformation durable du paysage dans lesquels les êtres humains jouent un rôle fondamental.
Alessandra Scognamiglio est une architecte spécialiste de la recherche sur le photovoltaïque intégré à l’Agenzia nazionale per le nuove tecnologie, l’energia e lo sviluppo economico sostenibile (ENEA) et elle préside actuellement l’Associazione italiana per l’agrivoltaico sostenibile (AIAS).
Article paru dans Archi 3/24. Traduction et adaptation: Philippe Morel pour TRACÉS