L’autoroute est à nous
Éditorial
Dans un appel public, plus de 350 expert·es en mobilité rejettent les six extensions autoroutières soumises à votation le 24 novembre, et devisées à 4.9 mia CHF. Celles-ci contredisent non seulement les projets de développements des agglomérations, mais également celui de la Confédération: le plan sectoriel des transports mise en priorité sur l’optimisation des infrastructures existantes et sur une diminution du trafic automobile dès 2030. Surtout, ces projets ne relèvent pas de la science et du professionnalisme, car ils ne sont pas issus d’une démarche concertée et méthodique.
Dans le cas de l’A1, a-t-on établi un véritable diagnostic, mesuré les files d’attentes, sondé les usagers pour savoir si elles sont vraiment inacceptables – plus que les embouteillages actuels dans les agglomérations? Et si c’était le cas, a-t-on analysé précisément les causes du problème: les tronçons, le manque d’alternative... ou peut-être les habitudes? C’est bien là qu’il faut agir et les spécialistes le savent: un faible report des usagers suffit en général à réduire de 30-40% la congestion d’un tronçon.
Accroître la capacité de l’A1 entre Nyon et le Vengeron est inutile, voire dangereux, explique le professeur Yves Delacrétaz (HEIG-VD), qui préconise plutôt de réaménager l’échangeur. Et surtout de regarder tout ce qu’il y a autour: le contournement de Genève va évoluer prochainement, la congestion se déplacer. Le vrai problème, c’est que l’Office fédéral des routes (OFROU) n’intègre pas les enjeux urbains dans sa vision. Il travaille dans son coin et se concentre sur «son» autoroute, comme si c’était un objet en soi.
Le vrai problème, c’est que l’Office fédéral des routes (OFROU) n’intègre pas les enjeux urbains dans sa vision. Il travaille dans son coin et se concentre sur «son» autoroute, comme si c’était un objet en soi.
Par définition, l’autoroute relie des territoires. C’est donc à partir de leurs perspectives qu’il faut travailler. Le Conseil fédéral martèle que l’objectif vise à désengorger les villes; mais en imposant sa solution, il bafoue le principe de subsidiarité qui est au fondement même du fédéralisme: ce sont les communes et les cantons qui ont la compétence d’initier des mesures qui les concernent. Or depuis 20 ans les villes mettent tout en œuvre pour diminuer les nuisances liées au trafic: les bouchons, la cacophonie, l’espace confisqué (30% des zones bâties), les atteintes à la santé, etc. Alors si le but est vraiment de s’attaquer à ce problème colossal, la bonne nouvelle est que la Confédération dispose de 4.9 milliards! De quoi réaliser un véritable projet de territoire, concerté, rigoureux et créatif.
Nous pourrions développer des solutions innovantes, comme des pistes pour gérer le stockage pendant les pics de congestion ou l’introduction d’outils d’analyse pour mieux connaître, enfin, les comportements des usagers (besoins professionnels ou confort?) Cela serait vraiment utile, dans un pays où l’on estime à 45% les trajets effectués pour des besoins professionnels. Aujourd’hui, bien qu’elle soit entièrement sponsorisée par l’État, on ne comprend pas quels intérêts l’autoroute sert exactement.
L’autoroute n’appartient pas à l’OFROU, mais à nous! Comme nos lacs et nos montagnes, c’est un commun, un gigantesque patrimoine en partage, que nous devons soigner et, surtout, faire évoluer à la hauteur des exigences actuelles et futures. Si nous investissons aujourd’hui, c’est pour résoudre les problèmes de demain. À quoi ressemblera la Suisse dans 50 ans, avec le dérèglement du climat, les nouvelles technologies et surtout les milliers de kilomètres de routes qu’il faudra protéger des dangers naturels? Serons-nous contents d’avoir investi ces milliards pour qu’un tronçon soit «fluidifié» pendant quelques années, avant de revenir au statut quo?
L’autoroute est à nous! Et nous ne voulons plus qu’elle soit pilotée par un logiciel des années 1970. Nous devons exiger une gestion rigoureuse de ce bien commun, digne des professionnel·les de l’aménagement et de la construction, qui procèdent par phases, de manière concertée et en visant un projet à long terme, au service des territoires.