Le con­trat d’ar­chi­tecte dans la pra­tique : iden­ti­fier les pièges – Né­go­cier ac­ti­ve­ment  les con­di­tions

Les architectes sont sans cesse confrontés à des mandants qui usent de manœuvres déloyales. Que faut-il surveiller tout particulièrement lors de négociations contractuelles et de contrats ?

 

Date de publication
31-08-2015
Revision
13-01-2016

Toute personne qui subvient à ses besoins en proposant des prestations intellectuelles sait combien il est difficile de décrire à l’avance cette prestation avec suffisamment de précision et de calculer une rémunération adéquate. Les règlements SIA 102 et suivants aident les deux parties prenantes d’un mandat à préciser des règles du jeu reconnues et à définir ainsi une mécanique exacte, c’est-à-dire une formule de prestation et de rémunération entre les parties contractantes.

A tous les niveaux de l’organigramme (politique, législation, société, commanditaire, bureau d’études, etc.), différentes conditions cadres influent depuis longtemps sur cet héritage de la SIA. Mais ces derniers temps, les modèles de contrat sont de plus en plus soumis à des pressions. Par exemple, la jurisprudence a changé sur ce qui doit être réglementé dans la relation de mandat et selon la législation sur le contrat d’entreprise. Dans la pratique, les opérateurs du marché tirent souvent très fort sur la corde, mais malheureusement pas toujours ensemble ni dans la même direction.

Le contrat

La signature d’un contrat écrit comportant la description de la prestation fournie permet d’assurer un avenir plus prévisible pour les deux parties contractantes. Elle engendre diverses opportunités et divers risques commerciaux, en partie diamétralement opposés, qui, dans l’idéal, peuvent être discutés et négociés en partenariat, ouvertement et en toute transparence.

Le contrat de l’architecte décrit les droits et les obligations des deux parties : il définit notamment les éléments du contrat, les prestations et les rémunérations correspondantes, la formule permettant de déterminer le temps employé et les honoraires, règlemente les frais accessoires et fixe les délais et les dates.

L’expérience m’a appris que les meilleurs contrats sont ceux qui ont été parfaitement formulés du point de vue technique, juridique et du contenu, puis, dans le meilleur des cas, ont été mis de côté durant toute la collaboration. Mais comment sont négociés des contrats de ce genre ?

La négociation du contrat

Par négociation du contrat, on entend la phase débouchant sur l’accord des parties et la déclaration d’intention mutuelle associée, c’est-à-dire la phase courant jusqu’à la signature du contrat. En tant que mandataire, on a tout intérêt à aborder ces discussions en visant une situation de gagnant-gagnant. Il faudrait donc réussir à convaincre le client de nos compétences afin qu’il soit prêt à régler des honoraires appropriés pour la prestation. Il aura compris, grâce aux arguments fournis, qu’il peut, en mandatant un bureau d’études expérimenté, réaliser des économies considérables dans la phase de construction et d’exploitation qui suit.

Concrètement, on distingue les phases de négociation contractuelle suivantes :

1. Manifestation d’intérêt réciproque
2. Pondération des arguments
3. Mise en balance commune des intérêts
4. Recherche d’un compromis (et mieux encore, consensus)
5. Signature du contrat

Coût d’ouvrage déterminant le temps nécessaire

La notion de « coût d’ouvrage déterminant le temps nécessaire » intervient dans une large part des contrats actuellement négociés.

On part du principe que le volume, la complexité et autres facteurs d’un projet déterminent le temps nécessaire en heures, des éléments qui sont par ailleurs recueillis chaque année par le Centre de recherches conjoncturelles de l’EPF (KOF). Chaque bureau inclut dans le calcul le taux horaire nécessaire dont il sait par expérience qu’il a besoin pour réaliser décemment les travaux à fournir. Avec ces honoraires, le bureau d’études doit pouvoir ensuite s’en sortir. La question des compétences, de l’expérience et de l’efficacité déployées pour la réalisation relève du secret d’entreprise. L’important est de bien être conscient qu’il s’agit ici d’un modèle d’approche reposant sur des données statistiques empiriques et qu’il ne reflètera donc jamais la réalité avec une précision totale. 

On pourrait opposer avec raison à ce taux déterminant le temps nécessaire un modèle de tarif horaire également décrit par la SIA, tel que nous le connaissons par exemple pour les avocats. Une heure commandée entraîne dans un rapport 1:1 des coûts pour une heure au taux correspondant. Ce serait, dans le cas des prestations des bureaux d’études aussi, une méthode transparente et équitable, obéissant au principe de causalité. Toutefois, elle n’est pratiquement utilisée que pour de petits mandats. Personnellement, j’aimerais travailler plus souvent avec ce modèle. Outre les coûts et le tarif horaire, il en existe d’autres, comme le système de bonus-malus, des honoraires forfaitaires ou une combinaison de ces modèles. Aucun d’entre eux n’a, à ce jour, pu s’imposer de manière éclatante. Un contrat forfaitaire ou global sera pertinent si les prestations à fournir peuvent être décrites avec précision et suffisamment tôt. Mais souvent, cela n’est possible et pertinent qu’après le devis par exemple. A quoi les architectes doivent-ils veiller si l’avant-projet de contrat ébauché par le mandant adopte le modèle du coût d’ouvrage déterminant le temps nécessaire ? Les manœuvres que nous énumérons ici sont particulièrement prisées et répandues parmi les commanditaires ou mandants.

Les manœuvres typiques du commanditaire

– Le coût d’ouvrage déterminant le temps nécessaire est ajusté à la baisse ou amputé par des abattements injustifiés, et ce, souvent sans que les motifs soient clairement établis. Malheureusement, la méthode est monnaie courante de la part de nombreux grands maîtres d’ouvrage, si bien que cette mauvaise habitude/pratique fait de nombreux émules.
– La catégorie d’ouvrage « n » est revue à la baisse (p. ex. dans la question des logements locatifs face aux propriétés par étages).
– Les différents facteurs (facteur d’ajustement r, facteur de groupe i et facteur pour prestations spéciales s) sont revus à la baisse sans justification plausible ni équitable.
– Les frais accessoires sont considérés comme étant inclus.
– On use du terme mal compris de « participation aux risques » pour reporter notablement, c’est-à-dire de plusieurs mois, des délais de paiement échus. On profite aussi d’événements sur lesquels l’architecte n’a aucune influence décisive (p. ex. l’autorisation de commencement des travaux par rapport à des recours des voisins ou le maintien d’investisseurs par rapport à la fixation des prix) pour le versement d’une tranche d’honoraires. Si le résultat voulu n’est pas atteint, le montant dû de toute manière depuis longtemps ne sera jamais versé. Pour que tout cela ne soit pas à sens unique, on devrait, dans un tel cas, parler aussi de « participation aux chances ».
– On impose des honoraires forfaitaires sans pouvoir indiquer de manière détaillée au préalable, dans le sens d’une compétence professionnelle du commanditaire, les tâches, l’architecture, le produit, les groupes cibles, etc. Ce qui est souvent très dérangeant, c’est qu’un forfait soit exigé, mais que l’on avance que les délais serrés du fait d’étapes trop rapprochées seront insuffisants pour accomplir les heures calculées. C’est oublier que, dans le cadre d’un contrat forfaitaire en principe possible, ce point particulier ne regarde en rien le mandant. N’est-ce pas un risque ou plutôt une chance, pour le concepteur, de fournir des prestations plus rapidement que le prévoit le modèle de calcul grâce à des processus souples et innovants ? Cette façon de vouloir le beurre et l’argent du beurre est choquante !
– Souvent, le commanditaire argumente en position de force (« ... il y a, sur le marché, de nombreux autres bureaux d’études qui ne demandent qu’à signer tout de suite... »). Dans ce genre de situation, soyez particulièrement prudent et critique et évaluez bien vos limites économiques, mais aussi émotionnelles.
– De nombreuses pages comportent des textes en petits caractères (CGV), en complète contradiction avec les recommandations de la SIA. Comment les architectes et autres professionnels spécialisés peuvent-ils se protéger efficacement de toute duperie ?

Voici quelques consignes élémentaires :
– Négociez vos contrats en personne. C’est l’affaire du chef.
– Ne vendez que les compétences que vous possédez réellement.
– Dans l’idéal, procurez-vous le business plan de votre mandant et de son projet de construction afin de disposer des meilleures informations possibles. Restez concentré sur le client.
– Faites en sorte de connaître parfaitement les règlements SIA appropriés.
– Mettez toute votre intelligence émotionnelle et toute votre habileté de négociateur dans la discussion, ou faites-vous accompagner par quelqu’un qui possède ces compétences.
– Restez aimable et gardez la main durant les négociations, même dans les situations difficiles.

Les potentiels

Il serait souhaitable que les éternels détracteurs des contrats SIA suggèrent en échange une meilleure idée.

Personnellement, je trouverais formidable de développer un modèle de contrat qui reposerait davantage sur la confiance mutuelle, composerait davantage avec les capacités de gestion de l’architecte et s’alignerait encore plus sur les résultats et les chiffres effectifs. Saluons ici l’extraordinaire disponibilité et l’ouverture d’esprit d’une série de grands maîtres d’ouvrage publics, dont la Ville et le Canton de Zurich, qui discutent des contrats d’architecte avec la SIA et d’autres représentants de la Conférence des associations de bureaux d’études zurichois (KZPV). Ce dialogue très constructif se poursuit depuis trois ans et ses résultats pourraient servir d’exemples pour de nombreuses autres communes suisses, qui, en matière d’honoraires et d’adjudication, s’inspirent en partie des pratiques en cours à Zurich.

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