Le Pavillon Sicli devient un centre de mémoire
La Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture (HEPIA) ouvre un nouveau lieu qui héberge les fonds des archives d’architectures de Genève et offre un espace de réflexion et d’études sur les architectures aux différent·e·s actrices et acteurs du territoire genevois. Les archives sont désormais installées au Pavillon Sicli, bâtiment emblématique, qui leur confère une nouvelle visibilité.
espazium.ch: Le 3 mai dernier la Haute école du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève (HEPIA) a inauguré dans les sous-sols du Pavillon Sicli un nouvel espace d'archivage et de consultation dédié aux architectures. Pourquoi ce déménagement?
Catherine Maudet: En fait c'est plus qu'un déménagement. Ces archives, créées en 1997 par l'Institut d'Architecture de l'Université de Genève (IAUG - lire notre numéro consacré à l'Ecole de Genève), dépendent depuis 2016 d'HEPIA de la HES-SO Genève. Jusqu'à aujourd'hui, elles étaient réparties entre deux sites – deux caves de bâtiments différents, l'un à Battelle et l'autre au quai du Seujet. Les conditions de consultations n'étaient vraiment pas idéales. Après plusieurs années de transition, nous avons enfin un lieu adéquat pour les valoriser. C'est un nouveau départ pour ces archives et pour l'occasion, nous nous sommes dotés d'un nouveau nom "Archives Architectures Genève", d'un nouveau logo et d'un nouveau système d'inventaire.
Que contiennent-elles?
En termes quantitatifs, plus de 100'000 documents graphiques et 60'000 diapositives sont accessibles dans notre inventaire. En termes qualitatifs, ce sont des archives patrimoniales, provenant de fonds privés d'architectes, d'urbanistes, d'ingénieurs et d'entreprises de construction. Elles contiennent des plans, des dessins, des photos, des carnets, des comptes, des microfiches et des microfilms. Certains architectes et ingénieurs nous ont aussi légué leur bibliothèque.
Quels sont vos critères d'acquisition?
Les décisions d'acquisition sont prises par un comité scientifique formé d'architectes, d'ingénieurs et de professeurs d'HEPIA. Nous acceptons principalement des fonds qui documentent et enrichissent notre connaissance de l'histoire constructive et architecturale de Genève. Nous sommes des archives régionales et donc le lien ténu avec ce territoire est primordial. Les fonds que nous archivons doivent également pouvoir donner la généalogie du projet, de la première idée née de l'esprit de l'architecte ou de l'ingénieur jusqu'au projet final qu'il ait été construit ou non. C'est pourquoi nous acceptons principalement des fonds d'architectes ou d'ingénieurs qui ont été maîtres d'ouvrage. Nous avons ainsi une grande partie de l'histoire du Musée d'art et d'histoire de Genève avec le fonds Camoletti, du Palais de la Société des Nations avec le fonds de l'entreprise Zschokke – notre plus grand fonds. L'historien ou l'architecte qui s'intéresse à l'histoire de l'Union internationale des télécommunications pourra retracer les étapes successives de construction avec les fonds Bordigoni et Oberson. Le fonds Arnold Hoechel recèle des documents incroyables sur la Cité-jardins d'Aïre construite entre 1920 et 1923 pour la Société Coopérative d'Habitation. La période des "Trente glorieuses" est également bien couverte avec les fonds Saugey bien évidemment, ou Bordigoni et de Saussure.
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Vous avez aussi des fonds plus atypiques comme ceux de Venturi Scott-Brown, Reverdin ou Reichlin?
C'est vrai, ce sont des fonds qui ne répondent pas directement à nos critères. Le fonds Reverdin, qui renferme principalement des archives administratives du temps où Raymond Reverdin était directeur de l'Institut d'architecture de l'Université de Genève, est une pépite pour celui qui voudra se pencher sur l'histoire de l'Institut. Le fonds Venturi Scott-Brown nous a été légué par la fille de Denise Scott-Brown qui habitait Genève. Il est principalement composé des livres annotés. Quant à Bruno Reichlin, il nous a mis à disposition plus de 50'000 diapositives numérisées.
Vos archives sont-elles toutes numérisées?
Non, loin de là. Pour ce type de documents, principalement des calques, la numérisation est délicate et coûteuse. D'une manière générale nous scannons les plans sur demande ou lors de campagnes de digitalisation payées par des fondations privées et qui concernent un projet précis, comme par exemple pour les logements Miremont-le-Crêt du fonds Saugey. En parlant de numérisation, il est intéressant de noter qu'elle pose et qu'elle va poser de plus en plus de problème pour les archives. En effet, nous sommes en train de travailler sur les archives de l'architecte Laurent Chenu et nous remarquons qu'avec l'entrée de la numérisation dans la pratique architecturale, il est beaucoup plus complexe de dresser l'évolution des projets. Tous les plans ne sont pas datés, et bien évidemment toutes les esquisses et variantes des projets n'ont pas été imprimées. Les archives sont-elles condamnées à devenir d'énormes data center? On peut se poser la question.
Vos archives utilisent un nouveau système d'inventaire électronique. Qu'est-ce que cela change?
Le nouveau système AtOM a été conçu avec l'appui du conseil international des archives et facilite la recherche d'information. Alors que l'ancien système n'autorisait qu'une recherche par architecte, le nouveau permet des recherches par projet et ainsi de mettre en lumière tous les architectes et ingénieurs qui sont intervenus dans le projet et dont nous possédons le fonds.
Quels sont les liens entre les archives d'architectures en Suisse?
Il n'y a pas de collaborations sur une base nationale. Elles se font au cas par cas. Par exemple, nous avons et allons renforcer les liens avec les Archives de la construction moderne de l'EPFL (ACM), notamment parce qu'elles possèdent le fonds de l'architecte Brera qui a beaucoup construit à Genève – dont l'école Geisendorf qui est en train d'être agrandie et rénovée – et qui a souvent collaboré avec Waltenspühl dont nous possédons les archives. Mais c'est vrai qu'il serait intéressant de mettre en place une plateforme nationale des archives d'architectures afin de faciliter le travail des chercheurs et des étudiants.
Comment allez-vous valoriser les archives?
Tout d'abord nous avons la chance d'être au sein d'un bâtiment qui a marqué l'histoire de l'ingénierie en Suisse, et au coeur d'une zone qui va connaître des changements urbains considérables pour devenir une nouvelle centralité. Notre rôle de mémoire en est passablement renforcé. Ensuite, comme vous le savez, le Pavillon Sicli est géré par l'Association Pavillon Sicli qui regroupe une grande partie des acteurs de la culture du bâti à Genève. Nous allons donc chercher toutes les synergies possibles afin d'enrichir le programme culturel du Pavillon. J'aimerais également pouvoir organiser des expositions comme nous l'avons fait il y a quelques années pour le fonds Waltenspühl ou Stierlin. Cela demande des forces de travail supplémentaires et j'en profite pour dire que nous accueillons volontiers des civilistes, si possible qui étudient l'architecture, pour nous aider à renforcer la mise en valeur des archives.
Propos recueillis par Cedric van der Poel
Liste des fonds d'archives architectures Genève
Fonds Bordigoni / Fonds Camoletti / Fonds de Saussure / Fonds Hoechel / Fonds Lesemann Fonds Nierlé / Fonds Oberson / Fonds Saugey / Fonds Vicari / Fonds Vincent / Fonds Waltenspühl / Fonds Spinedi / Fonds Zschokke Construction Fonds Zschokke Entreprise / Fonds Barde Fonds Calsat / Fonds CETAH / Fonds Quincerot / Fonds Reichlin / Fonds Reverdin / Fonds Stierlin / Fonds Venturi-Scott Brown / Fonds Viaro / Fonds El-Wakil
Archives du bâti
Du rôle des archives et de leur absence - Éditorial de Yony Santos & Cedric van der Poel
Dossier "Archives du bâti" - Entretiens espazium.ch