Le portrait: Roger Nauer
La plage n°1, journal de chantier
Jeune contremaître de 33 ans au sein du consortium d’entreprises ISK qui réunit Induni, Scrasa et Kibag, Roger Nauer est responsable des travaux lacustres pour le projet Port et Plage publique des Eaux-Vives à Genève.
Jacques Perret: existe-t-il un parcours spécifique pour devenir le chef d’un chantier de construction de palplanches?
Roger Nauer: Non. La pose de palplanches fait partie de ce qu’on appelle les «Travaux spéciaux» dans la construction, pour lesquels il n’existe pas de formation spécifique, comme c’est par exemple le cas pour les maçons ou les machinistes. Personnellement, j’ai commencé par acquérir une formation de trois ans comme constructeur de routes, puis ai exercé cette profession durant cinq ans comme chef d’équipe dans une entreprise de génie civil. J’ai ensuite été aspirant militaire professionnel durant deux ans et demi dans les troupes du génie, plus précisément à l’école d’officier de Bremgarten, avant de rejoindre il y a maintenant cinq ans, l’entreprise Kibag, basée à Schwyz. J’y ai d’abord travaillé au sein du département terrassements et démolition, une période durant laquelle j’ai suivi l’école de contremaître à Sursee, toujours dans le domaine des routes. Depuis une année, j’appartiens à la division des travaux spéciaux et lacustres. Le chantier du PPEV est le plus important dont j’ai eu la charge à ce jour.
Comment êtes-vous passé du domaine des routes à celui des travaux spéciaux?
C’est d’abord le besoin de changement, l’envie d’apprendre et découvrir de nouvelles choses. Ce que j’aime dans les travaux spéciaux, c’est que l’on acquiert et utilise quotidiennement des savoirs variés. Comme je l’ai déjà dit, nous sommes des ouvriers spécialisés pour lesquels il n’existe paradoxalement pas de formation spécifique. J’aime beaucoup la notion anglaise de « Learning by doing », qui est essentielle et fait sans cesse appel à l’intelligence pratique.
Malgré l’ampleur des moyens mécaniques utilisés, l’ambiance sur les plateformes de battage est très calme : comment expliquez-vous cela?
Ce qui fait la particularité des travaux spéciaux, c’est qu’il y a une très forte mécanisation et que la logistique y est très importante. En me comptant, nous ne sommes que neuf personnes sur le chantier. Pour que les choses fonctionnent bien, il faut que chaque ouvrier maîtrise parfaitement non seulement ses propres tâches, mais qu’il connaisse aussi celles des personnes avec lesquelles il travaille. Pour chaque poste de mise en place de palplanches, il y a un mécanicien pour piloter la pelle et deux aides, dont un qui est capable d’effectuer des travaux de soudure. Chacun sachant ce qu’il a à faire, ces trois personnes n’ont que peu besoin de parler pour se comprendre et elles communiquent souvent par de simples signes. Comme contremaître, je ne me considère pas vraiment comme un chef, mais plutôt comme un superviseur dont la tâche est de s’assurer que tout se passe bien : je pose des questions à des ouvriers qui connaissent par- faitement leur sujet et je les guide en fonction de leurs réponses. La situation présente dans laquelle je ne suis que contremaître est d’ailleurs plutôt exceptionnelle car, d’habitude, je participe aussi activement aux travaux, comme machiniste.
D’où vous vient la passion que vous éprouvez pour votre métier?
Tout d’abord, j’apprécie la confiance qu’on me fait et j’aime les responsabilités qui vont avec. Le technicien est présent lundi et mardi ; le reste du temps, le chantier de palplanches est sous ma seule responsabilité. Je suis en charge de la livraison des palplanches, de l’avancement des travaux et de la coordination avec les autres entreprises du consortium. Je dois aussi gérer la situation en cas de panne des machines : réparer soi-même sur le chantier lorsque c’est possible, faire appel à un atelier local pour certaines interventions mineures ou alors contacter notre atelier central à Bäch dans le canton de Schwyz, pour décider de la meilleure façon de procéder. Ensuite, j’aime mon métier parce qu’il me permet sans cesse d’apprendre des choses nouvelles, parce qu’il m’oblige à m’adapter rapidement à des situations imprévues, parce que je dois sans cesse me remettre en question et trouver des solutions intelligentes.
Que retiendrez-vous de particulier de ce chantier?
Son ampleur, puisqu’il n’est pas commun d’avoir à mettre autant de palplanches en place. Pour Kibag, c’est le premier chantier sur la Lac Léman et nous sommes heureux de venir travailler en Suisse romande. Pour l’équipe, cela signifie aussi un rythme de vie qui sort de l’ordinaire, puisque nous dormons du lundi au vendredi à Genève : nous partons de notre siège de Bäch chaque lundi à trois heures du matin et quittons le chantier chaque vendredi à midi. À titre plus personnel, ce chantier est exactement le genre de mission qui me motive : du nouveau, des responsabilités, de la diversité. Je suis vraiment heureux.
Et comment expliquez-vous qu’on vous ait confié un chantier aussi important alors que vous n’êtes dans le domaine que depuis un an?
C’est en fait assez simple : parce que je parle le français. Ensuite, je suppose aussi que mes chefs me jugeaient capable de relever le défi ...
Le journal "La plage"
Le journal "La plage" retrace toutes les étapes du chantier de la plage publique des Eaux-Vives à Genève. Tiré à 3000 exemplaires et gratuit, il est publié tous les quatre mois. Cette pubilcation offre un témoignage précieux et régulier sur le rythme du chantier. Avant les plaisirs de la baignade estivale, le journal veut d’abord relater et donner à lire un autre plaisir doublé d’une expérience unique : le chantier. Le projet éditorial de La plage ne cherche pas tant à décrire le futur projet qu’à témoigner des réalités des hommes et des femmes qui y sont à l’œuvre. Afin de diffuser le plus largement possible ce projet éditorial sur l'art du chantier, espazium.ch diffuse une sélection d’articles issus de chaque numéro du journal La plage. Nous remercions chaleureusement toute l'équipe oeuvrant sur le projet ainsi que Jacques Perret, responsable éditorial des journaux. Bonne lecture.
La plage n°1, journal de chantier
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