L'élargissement des autoroutes ne résoudra pas les problèmes de congestion
Le projet d'élargissement de six tronçons d'autoroute, soumis à votation fédérale le 24 novembre, fait l'objet de vifs débats. Dans cette tribune, des spécialistes de la mobilité avertissent que ces mesures aggraveront la congestion à moyen terme et plaident pour des solutions plus durables.
Le vote sur l'élargissement de 6 tronçons d'autoroute pour 5,8 milliards de francs suisses (y compris la protection contre le bruit et le traitement des eaux usées) fait l'objet d'un très vif débat. Bien sûr, la congestion est une question importante pour de nombreuses personnes et des réponses politiques et de planification sont nécessaires pour répondre à la situation actuelle.
Mais l'élargissement des autoroutes permettrait-il réellement d'atteindre l'objectif souhaité, à savoir réduire les embouteillages? La recherche nous a appris que non. En tant que professeurs et chercheurs dans le domaine des transports et de la mobilité actifs dans les universités suisses, nous souhaitons expliquer pourquoi dans les paragraphes qui suivent.
Il existe diverses raisons politiques d'être pour ou contre l'élargissement proposé des autoroutes. Cependant, certains des arguments utilisés dans le débat ne résistent pas à l’examen de preuves scientifiques bien établies. Nous publions cette tribune pour rétablir la vérité, afin que les citoyens puissent se forger une opinion et voter en toute connaissance de cause.
1. Il est scientifiquement prouvé que la création d'une nouvelle offre de transport (par des routes élargies ou nouvelles) entraîne une augmentation de la demande. Ce phénomène de trafic induit, qui s'applique à tous les modes de transport, a été observé à maintes reprises dans le monde entier ainsi qu'en Suisse. À court terme, une nouvelle infrastructure peut soulager la congestion. Cependant, les gens adaptent leur mobilité à l'infrastructure disponible en changeant leurs habitudes, en déménageant dans un autre lieu de résidence, en atteignant d'autres destinations, etc. Ces décisions peuvent être pertinentes au niveau individuel, mais lorsqu'elles sont cumulées, elles créent une demande supplémentaire.
2. L'augmentation du trafic ne provoquera pas seulement, au bout de quelques années, des encombrements aux mêmes endroits, mais elle les déplacera également vers d'autres points du réseau. Il ne faudra pas attendre longtemps avant que d'autres "goulets d'étranglement" n'apparaissent, notamment à l'entrée des villes.
3. L'augmentation de la capacité routière, malgré l'intention de réduire les embouteillages, entraînera une augmentation du nombre de personnes se déplaçant en voiture. L'élargissement des routes va donc à l'encontre du transfert modal fixé par la Confédération et les cantons (dans leurs stratégies climatiques, leurs modèles de planification, leur politique d'agglomération, leurs investissements dans les transports publics et les infrastructures cyclables, etc.). Les impacts de l'ajout de voies sont importants – perte de terres agricoles, bruit, pollution de l'air et émissions de gaz à effet de serre – et vont à l'encontre d'autres politiques nationales et d'intérêts collectifs.
4. Finalement, si l'automobile apporte de nombreux avantages en termes d'accessibilité, , elle impose des coûts importants à la société. Un récent rapport de la Confédération montre que le transport motorisé privé implique chaque année près de 19 milliards de francs de coûts externes (en raison d'effets sur l'environnement, la santé, etc.)1. Cela correspond à environ 15 centimes par passager-kilomètre parcouru.
En tant que professeurs et chercheurs dans le domaine des transports et de la mobilité, nous estimons qu'il est de notre devoir de partager cette conclusion : l'élargissement d'une autoroute non seulement ne résout pas le problème de la congestion, mais il l'exacerbe à moyen et long terme. Il s'agit d'une question importante qui appelle d'autres réponses en matière de planification et de politique.
Note
1. ARE, Externe Effekte des Verkehrs 2021 - Umwelt-, Unfall- und Gesundheitseffekte des Strassen-, Schienen-, Luft- und Schiffsverkehrs. https://www.are.admin.ch/are/de/home/mobilitaet/grundlagen-und-daten/kosten-und-nutzen-des-verkehrs.html
Prof. Michel Bierlaire, EPFL
Prof. Francesco Corman, ETHZ
Prof. Yves Delacrétaz, HEIGVD
Prof. Alexander Erath, FHNW
Prof. Olivier Gallay, UNIL
Prof. Eva Heinen, ETHZ
Prof. Vincent Kaufmann, EPFL
Dr. Anastasios Kouvelas, ETHZ
Prof. Virginie Lurkin, UNIL
Dr. Lisa Moussaoui, UNIGE
Prof. Timo Ohnmacht Timo, HSLU
Prof. Patrick Rérat, UNIL
Dr. Tiphaine Robert, UNIL
Prof. Thomas Sauter-Servaes, ZHAW
Prof. Dorothea Schaffner, FHNW
Prof. Laurent Tissot, UNINE
Prof. Kenan Zhang, EPFL