Les maisons des autres
«Les maisons des autres» est un dossier qui invite les architectes au dialogue: espazium.ch a soumis à chaque participant – tous des architectes actifs au Tessin – trois maisons construites dans leur région, en leur demandant d’en choisir une et de la commenter, sans lésiner sur l’analyse et la critique. Il s’agit donc de textes d’architectes sur des architectes, qui poursuivent, dans l’espace public d’une chronique virtuelle, une réflexion sur le design au Tessin.
Constater l’absence d’échanges et de débats entre les architectes du Tessin (et probablement ailleurs) relève dorénavant presque du lieu commun. Si le thème est rebattu, il est toutefois plus rare que l’on tente d’en donner une explication. Généralement, l’auteur qui ose se lancer dans une telle tentative se demande où sont passés tous les Tita Carloni, ces personnalités qui savaient parler d’architecture en la faisant sortir du cercle fermé des professionnels, exposaient les problèmes du territoire et proposaient des solutions.1
Il y a quelque temps, une exposition proposée par la Fondazione Archivi Architetti Ticinesi2 avait livré un bel exemple de dialogue entre concepteurs. Elle montrait comment, dans les années soixante, Tita Carloni, s’était lancé, en compagnie de Luigi Snozzi et de Livio Vacchini, dans l’étude de la structure urbaine de Bellinzone en effectuant des relevés minutieux de chaque bâtiment, proposant des stratégies de développement urbain parfois un peu irrévérencieuses (comme la construction d’un parking en silo dans le rocher de Castelgrande), mais caractéristiques de la fougue et l’enthousiasme de trois jeunes architectes qui se mesuraient entre eux et avec leur ville.
C’est ce manque d’impulsions que déplorerait notre commentateur anonyme, incapable cependant d’en expliquer les causes. En feuilletant le numéro 1/2020 de la revue Archi, il trouverait cependant une brève note éclairante de Federico Tranfa sur le sujet, nichée dans sa réflexion sur les projets remarqués à l’occasion du récent Premio SIA Ticino: il observe en effet que dans un contexte urbain marqué par la spéculation immobilière et l’incapacité de la construction de masse à se mettre à l’écoute du territoire, l’architecte n'a d'autre choix, pour se démarquer de la prolifération de bâtiments construits en série, que de développer un style éclectique qui sera gage d’extraordinaire. Il en résulte un «panorama contrasté où les individualités des concepteurs revendiquent un espace singulier qui leur soit propre plutôt que de rechercher la confrontation avec leurs confrères», écrit-il. «Par ailleurs, l’absence de débat est devenu une caractéristique de notre époque. Aucune polémique ne fait en effet suite aux déclarations fortes, voire provocatrices, comme si opposer des idées était jugé inapproprié. Une sorte d’œcuménisme pacifique qui permet aux écoles d’architecture d’accueillir en leur sein des personnalités antithétiques par leur culture et leurs orientations, sans se sentir obligées de clarifier comment des méthodologies opposées peuvent être considérées aussi valables les unes que les autres.»
En attendant et espérant une évolution – et, sait-on jamais, que la diffusion des concours et des mandats d’étude parallèles n’ouvre la voie à de nouvelles confrontations –, nous cherchons à créer sur les pages virtuelles d’espazium.ch une niche qui encourage ce dialogue: s’il ne se développe pas librement «par nature», nous aimerions qu’il trouve ici au moins une «patrie artificielle» (pour emprunter à Carlo Cattaneo une définition du monde bâti).
C’est pourquoi nous avons demandé aux architectes exerçant au Tessin de commenter l’ouvrage d’un collègue (ils avaient le choix entre trois propositions), sans lésiner sur les réflexions ni les critiques. Nous avons mis l’accent sur la maison individuelle, terreau de l’urbanisation du Tessin: si elle est à l’origine de la périurbanisation que l’on connaît, elle est aussi l’unique terrain d’exercice où tous les concepteurs ont l’occasion de se mesurer, contrairement aux réalisations de grande envergure qui restent immanquablement la prérogative de quelques-uns.
Nous publions ici les premières contributions, avec l'espoir que cette série – toujours ouverte à de nouveaux écrits – se développe dans le même esprit des maîtres tessinois, capables de se démolir amicalement et respectueusement – tout en continuant à collaborer professionnellement3. (Traduction Hélène Cheminal, sur une idée originale de Sara Groisman)
Notes
1. On ne saurait que trop recommander la lecture de son Pathopolis. Cet ouvrage réunit des textes rédigés pour l’hebdomadaire «Area» sur le paysage, l’actualité et le territoire (Edizioni Casagrande, 2011). Dans la même veine, on lira ici le Diario dell'architetto publié sur «Archi» par Polo Fumagalli, rassemblé aujourd'hui dans un livre intitulé Cronache di architettura, territorio e paesaggio in Ticino (Edizioni Casagrande, 2019).
2. Fondazione Archivi Architetti Ticinesi, Storie, utopie, progetti per Bellinzona – La città di Carloni, Snozzi, Vacchini fra 1962-1970, Bellinzone, Castelgrande, 20.9.2018- 20.01.2019.
3. A l'image de Vacchini à Snozzi: «Mi complimento per il tuo nuovo edificio anche se è tutto sbagliato» (Vacchini a Snozzi) («Je te félicite pour ta nouvelle construction, même si tout est faux»)
Les maisons des autres
- Regard d'Eloisa Vacchini sur la Maison Ko de Wespi de Meuron Romeo
- Regard de Stefano Moor sur la Maison à Sonvico de Martino Pedrozzi (à venir)