Les pal­planches

La plage n°1, journal de chantier

Plus de 2‘500 mètres linéaires : c’est la longueur approximative des rideaux de palplanches nécessaires à la réalisation du Port et de la Plage publique des Eaux-Vives et au réaménagement du Port de la Nautique. En nombre de pièces, compte tenu de leur largeur de 60 cm, cela correspond à environ 4‘500 profilés qui doivent être mis en place. De ces impressionnantes parois, dont la hauteur varie entre 8,5 et 14 mètres, on ne percevra pourtant que la faible partie émergeante durant le chantier, presque rien une fois les nouvelles installations en fonction. Faisons un peu mieux connaissance avec ces discrètes palplanches, dont le nom résulte de la combinaison des mots pal (pieu) et planches.

Date de publication
21-02-2019
Revision
21-02-2019
Jacques Perret
Ingénieur en génie civil EPFL, Dr ès sc. EPFL et correspondant pour TRACÉS.

 La majorité des palplanches mises en place durant le chantier permet de créer des batardeaux qui, selon la définition du Larousse, constituent «un barrage provisoire , établi en site aquatique pour mettre à sec la base d’une construction que l’on veut réparer ou l’emplacement sur lequel on veut élever un ouvrage».

Des batardeaux sont ainsi créés pour isoler et remblayer la zone de détente, mais aussi pour réaliser des surfaces dédiées à la logistique, notamment une piste de chantier le long de la promenade plage, avec des zones de rebroussement pour les camions livrant les matériaux de remblayage (en rouge sur le plan, p.35). À noter que la mise à sec de la zone de détente a aussi fourni l’occasion d’effectuer des fouilles archéologiques d’un site palafittique.

Utilisation définitive ou provisoire

Au stade définitif, le batardeau de la promenade plage sera partiellement démonté et seul le rideau du côté du large sera maintenu. Il sera arasé au niveau des hautes eaux normales, de manière à conserver une limite physique entre les matériaux de remblayage morainiques et la plage en gravier. Côté jardin d’eau, les profilés métalliques seront eux aussi majoritairement retirés lorsque les enrochements assureront l’épaulement du remblai. Pour le Môle, les palplanches seront en revanche laissées en place à l’issue des travaux pour servir de support au quai du port, à la culée de la passerelle, au seuil de la buvette et au mur de soutènement de la plage. Des palplanches seront aussi maintenues pour les aménagements paysagers dans certains secteurs à l’extrémité aval du jardin d’eau (voir plan p.45).

Les trois digues Ouest sont elles aussi réalisées à partir de batardeaux remplis de gravier sans assèchement préalable. Leur couronnement sera complété par des enrochements brises vagues et des aménagements favorables aux oiseaux, sous la forme de zones en gravier. Orientées dans le sens de propagation des vagues de Bise, ces digues ne reprendront pas frontalement l’impact du déferlement des vagues, mais fonctionneront plus comme des «glissières».

Pour l’extension du port de la Nautique, en plus de celles des digues de protection, des palplanches sont aussi utilisées pour le quai de l’esplanade, du côté des nouvelles places d’amarrage, et pour l’enceinte de fouille des citernes à essence.

Processus de mise en place

Produites au Luxembourg, seul lieu de fabrication en Europe, et préassemblées par paires, les quelque 4’500 palplanches sont acheminées par camion vers les Eaux-Vives. Chaque convoi transporte une dizaine de paires, ce qui correspond à une longueur de rideau de 12 mètres linéaires et à un poids d’une vingtaine de tonnes. Compte tenu de la surface réduite à disposition sur le chantier, elles sont livrées en flux tendu, pour être directement foncées dans le lac. Lors de leur livraison sur le chantier, elles sont déchargées du camion, puis entreposées sur une zone de dépôt provisoire. Elles sont ensuite chargées sur une barge de transport qu’un bateau pousseur achemine vers leur lieu de mise en place.

Pour être à même de suivre le contour des palplanches sur le lac, lesateliers de battage sont eux aussi installés sur des plateformes flottantes résultant de l’assemblage de caissons. Sorte de mini-chantiers flottants, chacune d’entre elles (quatre au total) accueille une impressionnante grue sur chenilles de 60 tonnes, ainsi que les instruments nécessaires au vibrofonçage des palplanches, soit principalement le marteau-vibrateur et le puissant moteur servant à son activation. La surface de travail comprend aussi une place de stockage pour les profilés attendant d’être mis en place ainsi qu’un petit atelier mécanique et de soudage. Un machiniste et deux ouvriers spécialisés suffisent pour faire fonctionner l’ensemble de l’installation.

La mise en place de chaque paire de palplanches commence par le soulèvement des profilés avec la grue, afin de les glisser délicatement dans la clé de la dernière palplanche du rideau déjà construit. De l’autre côté, l’orientation générale est garantie par un guide de montage fixé au fond du lac, dans le prolongement théorique du rideau.

Installé préalablement, ce guide permet l’alignement d’une dizaine de paires de palplanches sur une longueur de 12 mètres, ce qui correspond à la livraison d’un camion.

Une fois la paire de palplanches posée sur le fond du lac, la grue soulève le marteau-vibrateur pour le fixer sur la tête du profilé situé du côté du rideau existant. Le marteau, dont le poids est de 5 ou 8 tonnes selon les conditions géologiques, est alors mis en action par un moteur dégageant une puissance de 500 CV et la palplanche s’enfonce régulièrement dans le sol argileux du lac, rendu meuble par les vibrations. Si le positionnement en plan des poutres du guide de montage se fait à l’aide d’un GPS, la verticalité du rideau est contrôlée au fil à plomb. En cas de déviation par rapport à la verticale, le machiniste doit alors adapter la position de la tête de sa grue à partir des instructions de l’ouvrier travaillant avec le fil à plomb. En cas de déviation excessive, le profilé est retiré afin de corriger sa verticalité. La précision exigée pour la pose est de +/- 5 cm horizontalement et de +/- 1 cm verticalement.

Une fois la première des deux palplanches enfoncée, le marteau est déplacé sur la seconde pour la vibrer à son tour. Le processus global se poursuit alors avec le soulèvement de la paire suivante. Dans de bonnes conditions, la mise en place d’une paire de palplanches ne prend guère plus d’une quinzaine de minutes. Globalement, la vitesse d’avancement de la pose des palplanches dépend toutefois surtout de la météo, puisque le chantier doit être interrompu lorsque le lac est trop agité. 

La plateforme de montage doit naturellement être déplacée au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Contrairement à ce que la taille des installations laisse supposer, ce déplacement se fait très simplement. La grue commence par retirer, avec le marteau-vibrateur, le dispositif de guidage à proximité du rideau. Les deux pieux de fixation situés à l’arrière de la plateforme sont ensuite retirés selon le même principe, rendant ainsi la plateforme libre de se déplacer sur le lac.

Elle peut alors être aisément manœuvrée, à l’aide du simple petit bateau que les ouvriers utilisent pour rejoindre leur poste de travail flottant, le long du futur rideau pour être à nouveau fixée au fond du lac au droit du secteur de pose suivant. Le guide est à nouveau installé, en commençant par planter approximativement un support en T selon l’alignement du rideau construit. Deux poutres métalliques devant servir au guidage horizontal des palplanches sont ensuite fixées sur le support en T et sur le rideau existant. La fixation des deux poutres de guidage sur le T se fait cette fois-ci très précisément, sur la base de coordonnées GPS. Si tout se déroule bien, en moins d’une heure, le poste de fonçage est à nouveau prêt à fonctionner.

Si la mise en place des palplanches requiert des moyens mécaniques imposants, le travail se déroule en revanche très sereinement, selon un cérémonial parfaitement rôdé : en raison du bruit des machines, la communication se fait surtout visuellement, la zone de travail est très ordonnée, chacun des trois ouvriers connaît parfaitement son rôle. Il se dégage un sentiment de force tranquille : les rideaux progressent régulièrement, dessinant provisoirement le contour de l’ensemble des futures installations.

Sollicitations et dimensionnements des palplanches

Les sollicitations des palplanches sont multiples et varient selon les phases de travaux. Lors de chaque étape, les profilés doivent reprendre et transmettre au sol les différents efforts provoqués par la poussées des terres ou les forces de vagues ou encore les pressions d’eau.

Le dimensionnement d’une telle structure consiste à définir le type de profilé à utiliser (plus les efforts sont importants, plus le profilé doit être épais et large, donc plus résistant) et la profondeur à laquelle les palplanches doivent être enfoncées dans le fond du lac (on parle de «fiche»). La fiche des palplanches sert à transmettre les efforts horizontaux au sol de fondation (poussées des terres, pressions hydrauliques, forces des vagues). Les longueurs de fiche dépendent de la hauteur de remblayage, mais aussi de la qualité des sols dans lesquels elles sont battues.

Le choix du type de palplanches et de leur épaisseur dépend des efforts de flexion générés par les pressions sur la paroi ainsi que des efforts engendrés par le vibro-fonçage ou le battage. En matière de durabilité, on a tenu compte que la corrosion génère une perte d’épaisseur de 0,1 mm tous les dix ans. Les palplanches sont également choisies de façon à limiter les déformations de mise en place et lors de l‘exploitation. Lors du remblayage à l’intérieur des caissons, la poussée des terres agit en direction du vide et tend à écarter les rideaux de palplanches. Les palplanches sont alors tenues entre elles par des tirants de façon à empêcher le mouvement vers l’extérieur.

Lors de la construction des digues de protection et des batardeaux, des rideaux de fermeture transversaux sont régulièrement installés à l’avancement du chantier entre les deux rideaux, afin de permettre le remblayage des différents compartiments. La construction des digues de protection et des batardeaux est particulièrement délicate compte-tenu de l‘apparition fréquente d‘épisodes de Bise qui génèrent des vagues importantes. Au stade définitif, la stabilité globale vis-à-vis des efforts des vagues est garantie par l‘ensemble de la structure, soit les rideaux de palplanches avec les remblais.

Sur la base de ces divers critères et selon leur position par rapport au bord du lac, les palplanches utilisées sur les chantiers du port et de la plage des Eaux-Vives et sur celui de la Nautique ont des longueurs totales allant de 8,5 à 14 mètres. La partie immergée hors du sol est comprise entre 3 et 8 mètres, afin que le leur partie émergeante soit de l’ordre de 0,5 à 1 mètre.

Le journal "La plage"

 

Le journal "La plage" retrace toutes les étapes du chantier de la plage publique des Eaux-Vives à Genève. Tiré à 3000 exemplaires et gratuit, il est publié tous les quatre mois. Cette pubilcation offre un témoignage précieux et régulier sur le rythme du chantier. Avant les plaisirs de la baignade estivale, le journal veut d’abord relater et donner à lire un autre plaisir doublé d’une expérience unique : le chantier. Le projet éditorial de La plage ne cherche pas tant à décrire le futur projet qu’à témoigner des réalités des hommes et des femmes qui y sont à l’œuvre. Afin de diffuser le plus largement possible ce projet éditorial sur l'art du chantier, espazium.ch diffuse une sélection d’articles issus de chaque numéro du journal La plage. Nous remercions chaleureusement toute l'équipe oeuvrant sur le projet ainsi que Jacques Perret, responsable éditorial des journaux. Bonne lecture.

 

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