Lo­cal En­vi­ron­ne­ment: l’éco­cons­truc­tion comme culture

Le chantier du Local Environnement du stade des Arbères à Meyrin de FAZ Architectes raconte la démarche d’écoconstruction des deux associées. Ou comment insuffler une culture raisonnée autour des ressources disponibles.

Date de publication
14-11-2022

Avec leurs ouvrages récents, la plupart réalisés avec des maîtres d’ouvrage publics, FAZ Architectes maintient son cap: faire le plus possible avec l’existant dans une perspective d’économie circulaire. À Meyrin, les approches de réemploi et de valorisation des savoir-faire artisans activent l’histoire d’un territoire genevois en mutation. Les matières à réemployer se font l’écho du «préexistant»1, à la fois philosophie et concept opérationnel de toutes les phases du projet.

Retour à la proximité

En 2021, lors du réaménagement du centre scolaire à Riaz (FR), ce principe de territorialité était déjà mis en œuvre, d’abord avec les matérialités : structure et façades en bois, issu des forêts gruyériennes2. Outre la construction bois, chaque espace dispose d’un mur en briques de terre crue pour le bien-être du climat intérieur. L’usage du béton demeure ainsi le plus parcimonieux possible. «Nous avons convaincu le maître d’ouvrage de préférer un mur en briques issues de terres d’excavation du canton de Vaud, afin de privilégier la main-d’œuvre et les matériaux locaux», confie Tanya Zein, associée du bureau.

Le local à l’échelle d’un objet

Pour le Local Environnement, le maître d’ouvrage applique les principes de l’écoconstruction au gros œuvre: «sans colle, ni clous, en bois massif, un bâtiment le plus écologiquement engagé possible», mentionne le cahier des charges. Pour FAZ Architectes, le défi réside dans l’emploi des ressources du territoire: béton de réemploi, structure en bois massif, cloisons de terre crue de production locale et isolation en fibres de bois complétée par des panneaux de liège en façade.

Le programme imposait un garage et des ateliers au rez-de-chaussée, un réfectoire et des vestiaires au premier niveau. La structure d’étage repose sur des murs porteurs de bois massif, constitués de madriers verticaux maintenus entre eux par des chevilles de hêtre. Son ossature en épicéa massif valaisan est assemblée traditionnellement; les planchers et la toiture sont isolés avec de la sciure de bois insufflée, résidu valorisé de la production de la charpente. Les cloisons en terre crue renforcent l’inertie thermique de l’enveloppe3. Réalisé sur proposition de l’ingénieur civil, ce travail a exigé la collecte de «déchets» de chantiers de démolition ou de transformation, à moins de 15 km du nouveau bâtiment. Au milieu du dallage, l’«Opus Circulaire», grand disque en béton des architectes Héloïse Gailing et Marc Rickling, qui provient de la Rasude à la gare de Lausanne, a été intégré dans le cadre du pourcent culturel4. Le résultat, un bâtiment écoconstruit avec radier en béton de réemploi, n’aurait pu voir le jour sans un engagement environnemental fort de la part du maître d’ouvrage et l’intérêt des élu·es de Meyrin. «Le crédit d’investissement a été voté à l’unanimité. C’est un signe du temps!», affirme Véronique Favre.

Une attention accrue à la matérialité

Comment équilibrer financièrement ces projets de réemploi, bien souvent plus chers que du neuf? «L’économie de moyens, c’est aussi le plus faible impact en termes d’énergie, ventilation, chauffage et récupération des eaux. Notre collaboration avec le physicien du bâtiment ne s’arrête pas au calcul des techniques utilisées, nous discutons aussi de la matérialité et de la part vivante du bâtiment», précise-t-elle. Composer avec des matériaux non standardisés, comme pour le radier, suppose de travailler différemment. «Lors du chantier au Jardin botanique alpin, pour réaliser un sol en béton de réemploi, nous avons commencé par tout poser sans tri préalable. La mise en place d’éléments d’épaisseurs variées s’est avérée ardue. Lors de notre deuxième intervention, aux Arbères, nous avons décidé de moins scier et de résoudre le calepinage entre travées en jouant davantage sur la largeur des joints», explique l’architecte. La synchronisation des chantiers de démolition et de construction en flux tendu demande une grande réactivité. Posés sur une couche de grave compactée et de gravier roulés, les blocs en béton armé de réemploi, d’une épaisseur de 18 à 25 cm, ont été calepinés depuis l’intérieur du futur bâtiment.

Une démarche expérimentale pour valoriser l’existant

«L’engagement de notre architecte cantonal en faveur de la réduction des déchets de chantier et de la valorisation de l’existant constitue un pas vers la responsabilité de toute la branche», soutient Véronique Favre. Il s’agit de repenser nos gestes bâtis et d’oublier les habitudes simplificatrices et gaspilleuses, d’oser revenir à des modes constructifs simples, valorisant les matérialités non destructrices de leur milieu. «Aujourd’hui, se questionner sur le geste structurel et le bien-fondé de chaque étape du processus ouvre de nouveaux champs d’inspiration», insiste Véronique Favre.

Dans le cadre d’une intervention artistique, les architectes sont parvenues à rendre tangible cette critique sur l’impact environnemental de l’usage non réfléchi du béton : un disque similaire à celui de l’Opus Circulaire a été hydrodémoli dans le mur d’enceinte, laissant apparaître son armature excessive. «Cette action promeut l’intelligence collective interdisciplinaire», poursuit Tanya Zein. En effet, les architectes ont besoin d’expérimenter les matériaux, les techniques. Si le chantier du Local Environnement a permis de réactiver le réseau du réemploi à Genève, à la suite de l’expérience au Jardin botanique alpin de Meyrin, il offre aussi l’opportunité de consolider des techniques constructives avec du béton de réemploi.

Faire avec l’imprévu

«Bénéficier d’un laps de temps supplémentaire pour la recherche de matériaux est la clé du réemploi. Nos expériences en flux tendus ne sont pas si faciles ; il y a des incidences sur la durée du chantier», admet Véronique Favre. En prenant un peu de hauteur avec leur pratique, le duo nourrit une réflexion plus profonde: «Qu’est-ce que nos bâtiments raconteront de nos savoir-faire dans quelques années? Un bâti de qualité est aussi lié à la préservation de son territoire d’ancrage. La délocalisation de la fabrication des matériaux et des savoir-faire engendre une pollution et crée des inégalités qui ne sont plus admissibles», interpelle Véronique Favre. L’étude d’impact environnemental de Célia Küpfer, doctorante au Structural Xploration Lab (SXL) de l’EPFL, documente la recherche d’économie d’émissions de gaz à effet de serre par la mise en place d’un dallage en éléments de béton de réemploi. Des résultats éclairants pour «les autorités publiques, architectes, ingénieur·es et maîtres de l’ouvrage sur les potentiels bénéfices environnementaux par rapport aux pratiques actuelles conventionnelles»5. Le 81% d’économie en termes d’émissions carbone à laquelle conclut l’étude vient conforter l’exercice. Désormais, l’heure est à la structuration du réseau afin d’obtenir une offre plus accessible face à une demande grandissante. «Avec la modification du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses (RCI) découlant de la décision du Grand Conseil genevois de décembre 2021, une feuille de route semble être en train de voir le jour», conclut Tanya Zein.

 

Notes

 

1. Gilles Clément, Le jardin en mouvement, Pandora, Paris, 1991

 

2. Yoni Santos, «La maison-école de FAZ Architectes à Riaz, une architecture les pieds sur terre», espazium.ch, 09.03.2021

 

3. Audanne Comment, «Une rénovation énergétique en liège apparent», TRACÉS 2/2021

 

4. Marc Frochaux, «Du désert de Mojave au chantier lausannois: artistes et architectes en bivouac», TRACÉS 10/2022

 

5. Célia Küpfer, «Analyse de l’impact environnemental de la construction d’un dallage en blocs de béton de réemploi. Étude de cas à Meyrin», 27.01.2021

Chantier Local Environnement, Meyrin (GE)

 

Maître de l’ouvrage: Commune de Meyrin

 

Architecte: FAZ Architectes

 

Ingénieur: Ingeni Genève

 

Physicien du bâtiment: Perenzia Ingénieurs

 

Ingénieur électricité: Savoy Engineering

 

Ingénieur en CVS: Conti & Associés Ingénieurs

 

Réalisation: 2019-2022

 

Surface de plancher: 290 m2

 

Crédit de réalisation: 1,8 mio CHF TTC

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