«Lo­gique éco­no­mique et du­ra­bi­lité peu­vent al­ler de pair»

Quels sont les objectifs du Plan d’action pour le climat, l’énergie et les ressources de la SIA? Quel est le principal levier de la réduction de gaz à effet de serre? Comment conjuguer construction durable et performance économique? Barbara Sintzel, à la tête de la Commission SIA des normes relatives à l’environnement et au développement durable, nous répond en entretien.

Date de publication
19-11-2024

SIA: Madame Sintzel, vous êtes issue d’une famille d’ingénieurs. Enfant, vous accompagniez occasionnellement votre père sur ses chantiers. Est-ce dans ces visites que se trouvent les sources de votre engagement pour la durabilité et la protection du climat dans le secteur de la construction?
Barbara Sintzel: La construction a effectivement marqué mon enfance. Mon père était ingénieur civil et il m’emmenait parfois sur ses chantiers – un spectacle qui me captivait, en particulier le manège des immenses engins. Le temps passant, j’ai découvert les effets néfastes de cette industrie. Dans mon village, j’ai vu les vergers où je jouais, enfant, disparaître sous le béton à la fin des années 1980 et jusque dans les années 1990. L’expérience de cette perte, la destruction de toute cette beauté naturelle et de cette biodiversité m’a poussée à étudier les sciences de l’environnement et à me consacrer aux questions de la préservation des ressources et de la protection du climat – deux enjeux qui n’ont cessé de gagner en importance depuis les années 1990.

Qu’entend-on exactement par construction durable?
Cette approche repose sur les principes du développement durable, qui consiste en une démarche réfléchie d’équilibrage entre différentes exigences – sociétales, économiques, écologiques. Ce dernier aspect a gagné en importance, la réduction des gaz à effet de serre et l’utilisation plus efficiente des ressources – entre autres – devenant de plus en plus urgentes. Les facteurs sociaux également jouent un rôle clef, par exemple la garantie d’une rémunération équitable dans les pays de provenance des matériaux de construction. On parle aussi de plus en souvent du modèle de primauté de la durabilité, qui veut que des aspects environnementaux soient priorisés par rapport à d’autres critères, économiques notamment.

Quand avez-vous pris les rênes de la Commission SIA des normes relatives à l’environnement et au développement durable? Quelles sont ses tâches?
J’ai rejoint la KNU en 2014. Il était devenu nécessaire de créer une commission sectorielle qui s’occupe de développer et de gérer les normes relatives à l’environnement et à la durabilité. Parmi elles, je citerais en exemple la norme SIA 112/1 «Construction durable – Bâtiment» ou encore la norme SIA 430, connue aujourd’hui sous le titre de «Limitation et gestion des déchets de chantier». La KNU veille au développement continu de son portefeuille, et cherche par ailleurs à identifier le potentiel des normes SIA existantes afin de faire de ce cadre un levier de durabilité encore plus effectif, par exemple en accordant plus de poids aux rénovations par rapport aux constructions neuves. Dans le domaine des émissions indirectes de gaz à effet de serre, elle collabore étroitement avec la Commission des normes relatives aux installations du bâtiment et à l’énergie (KGE), qui travaille sur le bilan énergétique global de la construction.

Qu’a accompli la KNU jusqu’à présent?
Nous avons mis au point une stratégie afin de repérer les domaines dans lesquels notre action peut avoir le plus d’effets. Ce faisant, nous avons trouvé des failles significatives dans les normes relatives à la durabilité et à l’environnement. Pour y remédier, nous avons mis à disposition des commissions normatives une checklist qui les aide à s’orienter. Nous sommes par ailleurs en passe de publier le cahier technique 2066 «Planifier, construire et entretenir durablement les espaces libres» qui éclaire les possibilités que recèlent les alentours, notamment en matière de mesures de réduction de la chaleur et de préservation de la biodiversité. Un autre cahier technique sur la réutilisation de matériaux de construction est en cours d’élaboration. La KNU est toujours en quête de solutions constructives plus durables, sachant que la sécurité des bâtiments reste un aspect essentiel de notre approche de la durabilité.

Le cahier technique SIA 2040 «La voie SIA vers l’efficacité énergétique» n’a-t-il pas démontré la difficulté de traduire des objectifs théoriques dans la pratique?
Le SIA 2040 s’est imposé comme moteur essentiel de la normalisation, en particulier en ce qui a trait à la définition de valeurs cibles pour les émissions grises. Il a servi de base à des certifications telles que Minergie-ECO ou le standard Construction durable suisse (SNBS) qui, bien qu’utilisant leurs propres méthodes de calcul, sont alignées sur ses prescriptions. J’observe toutefois la tendance, dans de nombreux projets, à ne viser que les seuils supérieurs de Minergie-ECO, sans chercher à atteindre la valeur cible fixée dans «La voie SIA vers l’efficacité énergétique». L’introduction de la norme SIA 390/1 «La voie du climat» prévue en 2025 définira un cadre plus strict et ambitieux, ce qui entraînera, avec le temps, des adaptations au niveau d’autres standards.

Pourquoi le Plan d’action pour le climat, l’énergie et les ressources a-t-il été lancé par la SIA l’année dernière alors que la KNU s’attache déjà à inscrire la durabilité dans les normes SIA?
Même si le développement continu des normes est essentiel, le plan d’action de la SIA est un outil qui permet d’orienter les processus de planification et de conception de manière à en faire des vecteurs de durabilité. De plus, les normes sans portée sécuritaire ne doivent pas nécessairement être respectées à la lettre. Par exemple, pour des rénovations, il est toujours possible de convenir de s’en écarter pour faciliter la réalisation. Nous devons en outre travailler sur les pratiques d’adjudication et proposer une logique de conception respectueuse du climat et favorisant une utilisation efficiente des ressources. En résumé, le plan d’action de la SIA identifie et développe des mesures qui peuvent contribuer à rendre le secteur de la construction plus durable.

Voyez-vous des synergies entre la mission de la KNU et le plan d’action de la SIA?
Oui, car leurs objectifs sont étroitement liés. Tous deux visent à dégager des pistes pour réduire les émissions de CO2 des bâtiments et à faire émerger des procédures simplifiées ou des solutions flexibles qui offrent une certaine marge de manœuvre aux concepteurs, leur permettant de dévier des normes dans certains cas particuliers.

La construction durable peut-elle être intéressante d’un point de vue économique également?
Lorsqu’on veut mettre en place des solutions pionnières, la conception est souvent complexifiée, ce qui peut entraîner des surcoûts. Les modes de construction durables déjà éprouvés ne sont en revanche pas plus onéreux. Le modèle du cycle de vie nous aide à comprendre comment des investissements initiaux plus élevés se répercutent sur le long terme. Si l’on mise sur des projets simples et clairs dès le départ, par exemple en limitant les surfaces vitrées à 40 % ou en réduisant au minimum les sous-sols, il est possible de de diminuer les coûts de construction effectifs. Ces exemples illustrent le fait que logique économique et durabilité peuvent aller de pair: miser sur la sobriété au niveau des matériaux est bon pour le portefeuille et bon pour l’environnement.

Le Plan d’action pour le climat, l’énergie et les ressources de la SIA est né d’une initiative du groupe professionnel Architecture (BGA) et les travaux ont débuté à l’automne 2023. Ce plan d’action a pour objectif de visibiliser les actions existantes afin de promouvoir la durabilité dans les secteurs de l’architecture, de l’ingénierie et de la construction en Suisse et, partant, de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Conjointement avec des spécialistes actifs au sein de la SIA et sur le terrain, mais aussi des acteurs issus des offices fédéraux, des milieux politiques et de la recherche, l’équipe de projet du plan d’action développe également de nouvelles mesures visant à renforcer l’engagement de l’association en faveur du climat, de l’énergie et des ressources. Le plan d’action de la SIA sera présenté à l’Assemblée des délégués en mai 2025, à la suite de quoi, s’il est adopté, la mise en œuvre des mesures débutera immédiatement.

Pour écrire aux auteur·trices

 

Christer Joho: christer.joho@sia et Hana Buterin: hana.buterin [at] sia.ch (hana[dot]buterin[at]sia[dot]ch)

Sur ce sujet