Make Do With Now: l’architecture de la décroissance japonaise
Fini, les petites maisons kawaï. Une nouvelle génération d’architectes japonais représentée au S AM s’empare des enjeux de la décroissance qui caractérise désormais le pays en opérant une reconversion graduelle de l’existant.
Depuis 2008, après 150 ans de croissance continue, la population japonaise diminue (tout comme son PIB annuel). 13,6% des bâtiments sont vides, d’après une étude menée en 2018 – peut-être 30% d’ici 2038. Des provinces se dépeuplent et une «spongification» s’opère: des parcelles sont abandonnées de manière éparse, empêchant des regroupements. «Une nouvelle génération d’architectes choisit de se confronter sérieusement à ce problème», raconte Yuma Shinohara, commissaire de l’exposition au S AM. On est très loin de l’architecture blanche et faussement naïve de Sanaa, Fujimoto ou Ishigami. S’il faut chercher des influences, il faudrait plutôt se tourner vers l’atelier Bow-Wow, des architectes qui établissent un lien entre les gestes du quotidien, l’ergonomie et les techniques constructives. Les jeunes architectes présenté·es au S AM s’intéressent aux pratiques artisanales locales, autrefois délaissées, recomposent des communautés, réemploient, transforment, réaniment. Leurs projets n’ont pas de début ni de fin. Dot architects ont rénové Chidori Bunka, un centre d’art communautaire dans la périphérie d’Osaka, en poursuivant un travail de transformation continue opéré par des charpentiers amateurs, qui ont produit un bricolage complexe. Mio Tsuneyama (actuellement professeure invitée à l’EPFL) et Fuminori Nousaku pratiquent une architecture de l’« écologie sauvage » consistant à adapter continuellement la maison qu’ils habitent depuis cinq ans, creusant littéralement les cloisons et les murs. Pour Leo Tanishige, ces architectes pratiquent le «gradualisme»: au lieu de créer des objets hors normes, ils et elles cherchent à renforcer les structures, les systèmes et les réseaux, parfois invisibles, qui accompagnent l’architecture et les communautés qui l’habitent. Yūtarō Muraji, par exemple, a mis en place une plateforme (CHAr) qui met à disposition des idées et des « recettes » pour transformer les Mukuchin, ces appartements locatifs construits en bois, très répandus au Japon, et qui devraient être urgemment isolés.
Les maquettes et photographies des 15 projets exposés présentent un environnement du rafistolage, du ravaudage et du réemploi – un paysage pragmatique de la décroissance, qu’il est tentant de recevoir ici comme une esthétique romantique, et pas forcément adaptée à d’autres contextes. Si de nombreuses régions d’Europe sont en déprise, l’Office suisse de la statistique continue de plancher sur un scénario de croissance démographique pour les 30 années à venir, avec un pic à 10 millions vers 2040-2050. Mais si l’avenir se trompe, nous saurons où trouver de l’inspiration. Plus que les projets, ce sont les pratiques qui ouvrent une réflexion sur l’avenir d’une profession qui, où que l’on se trouve, doit valoriser la transformation, l’accompagnement et la maintenance de l’existant, et surtout de ses habitant·es.
Make Do With Now
Jusqu’au 12.03.2023
S AM Musée suisse d’architecture, Bâle