Marcel Breuer en Haute-Savoie
Flaine en Haute Savoie est un ensemble archétype de la modernité alpine. Une exposition à l’îlot-S à Annecy et un ouvrage du CAUE de Haute-Savoie en font le récit.
Sur une carte subjective s’efforçant de situer l'idéal architectural helvétique, «l’authentique» se situerait plutôt à l’est de la Suisse romande et «la copie» plutôt au sud-ouest, en France voisine. Dans cette hiérarchie plus inconsciente que raisonnée, Flaine en Haute-Savoie fait figure d'exception. Dans cette station de ski des années 1960, le mimétisme architectural n'est plus d'actualité. Loin de l’immobilier d’Annemasse qui enrobe les nouvelles constructions d’un style genèvois discount, ce grand ensemble alpin renverse l'ordre des choses. Flaine de Marcel Breuer est de ces projets qui incitent à franchir la frontière pour explorer des variantes qualitatives de la modernité alpine française. L’exposition qui se tient au CAUE de Haute-Savoie à Annecy est déjà un bon point de départ qui mérite les 90 minutes de train pour s’y rendre depuis Genève. On y découvre l’admirable ensemble du maître du Bauhaus, photographié par Myr Muraret.
L’exposition parvient à traduire l’extrême justesse qui caractérise ce joyau du fonctionnalisme, dans ses efforts d’intégration dans un environnement naturel d’exception. Le complexe en béton au cœur des sommets enneigés est la manifestation la plus ajustée d’une activité humaine consubstantielle au lieu. Les barres, aussi volumineuses soient-elles, sont cristallines. Elles fusionnent avec le lieu car elles sont l’expression la plus rudimentaire de leur fonction. On peut sourire aujourd'hui d'aborder les choses de cette façon, mais c’est à peu de choses près l'esprit dans lequel Flaine a été édifié. La société des loisirs qui se met en place en Europe après la dévastation de la Seconde Guerre mondiale investit tous les terrains. Des cités historiques ravagées aux plages de Méditerranée, sans oublier les vallons encaissés alpins. L’architecture est toujours la même, pas besoin de l’adapter - elle est générique et de fait «invisible». Vous pouvez placer un parallélépipède moderniste au coeur de Venise (Bauer Palazzo), à Andros (Xenia de Kostantinidis ) ou sur le massif du Giffre, il y trouve sa place.
La station incarne cet idéal d’aboutissement de l’art de bâtir qui caractérise l’époque. Elle aspire à constituer un environnement bâti intemporel. Pour apprécier pleinement l'architecture de Breuer, il faut se laisser emporter par cette vision d’un modernisme qui serait l’expression d’un absolu. Retrouver ne serait-ce qu’un instant cet idéal d'une validité intempestive du moderne, qui se décline dans tous les climats et tous les modèles économiques, et qui ne sera brisé que par le post-modernisme et sa réintroduction provocatrice et ironique d'un facteur historique.
L’exposition et l’ouvrage auquel elle donne lieu abordent aussi l'épopée de l’édification et la manière dont le projet a été mis en oeuvre. D'abord comme une idée, puis comme réalité. Car pour construire à 1600 mètres d’altitude une station de cette envergure, il faut créer aussi l’infrastructure qui n’existe pas. L’usine où vont être moulés les éléments préfabriqués en béton, avec du sable de l’Arve, la rivière qui se jette dans le Rhône à Genève. C’est le transporteur qui a servi à la construction du barrage de Mauvoision en Valais qui sera rallongé et utilisé pour acheminer les matériaux. L’épopée de ce chantier doit beaucoup à cet entreprenariat familial qui était le fait de personnalités, avec des idées et des affinités, et pas de groupes d’investissement avec des stratégies et des obligations de rendement: Gérard Chervaz, André Gaillard, Éric, Sylvie et Rémi Boissonnas, Laurent Chappuis et Denys Pradelle. C’est ce dernier qui va aller chercher Breuer dans sa confortable deuxième patrie, le Connecticut, pour le faire venir en Haute-Savoie. L’architecte venait d'achever le siège de l'Unesco à Paris et a vu dans cette commande l'occasion de créer un véritable gesamtkunstwerk. Une œuvre d'art totale en béton préfabriqué, d'une grande finesse. Son projet reste une sorte de manifeste moderniste, qui, parce qu’il a été peu altéré par le temps, conserve sa pureté originelle. On a peu construit autour, et ce sont les grandes lignes de l'intégration paysagère du projet initial que l'on découvre en s'y rendant encore aujourd’hui.
A voir jusqu'au 14 avril 2023
7 esplanade Paul Grimault à Annecy
Le CAUE organise une visite de Flaine en car depuis Annecy le samedi 11 mars 2023.
Publication
Flaine . Le Bauhaus des Alpes françaises . Marcel Breuer Architecte
Myr Muratet, photographe | Bénédicte Chaljub, historienne de l'architecture | Carine Bel, journaliste
Éditions 205 & CAUE de Haute-Savoie