Mettre en lu­mière le fonc­tion­ne­ment de si­los à sel

L’installation de l’artiste belge Pieter Vermeersch a été inaugurée fin janvier à Genève

Date de publication
13-02-2014
Revision
10-11-2015

Souligner la fonction utilitaire d’une structure industrielle par le truchement de l’art. C’est en substance l’objet du concours d’art public lancé en 2011 par le Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève, à la demande de la Direction du patrimoine bâti. Cinq artistes, dont trois Genevois, ont été invités à soumettre un projet destiné à enrichir plastiquement la structure quadriangulaire abritant les silos à sel de la voirie de la Ville. Quatre ont répondu présents ; c’est finalement le travail de l’artiste belge Pieter Vermeersch qui a été plébiscité par le jury. Son œuvre a été inaugurée le 31 janvier dernier.

Les réservoirs à sel sont situés dans la bande d’équipements publics au bord de l’Arve, au cœur du secteur Praille-Acacias-Vernets, en mutation. Le concours exhortait les artistes à examiner soigneusement les qualités architecturales du bâtiment et son implantation . Le choix des matériaux et de la technique étaient libres. Pieter Vermeersch a opté pour des panneaux de plexiglas, installés derrière la façade translucide et éclairés par des LED1. Une couleur différente est utilisée pour mettre en lumière chacun des quatre réservoirs – blanc, rose violacé, bleu et orange. Pour définir sa palette chromatique, le Belge s’est inspiré des différentes teintes prises par le sel présent dans certains lacs et déserts. Même si la technique utilisée se distancie de la peinture, les 60 panneaux luminescents de l’artiste évoquent les aplats de couleurs du courant pictural américain de l’après-guerre, Color Field (littéralement «champ de couleur»).

L’œuvre, Sans titre, de Pieter Vermeersch instaure un dialogue silencieux entre l’espace urbain et celui de la voirie, réservé d’ordinaire aux employés de ce service ; entre la fonction des silos – stocker le sel utilisé en hiver pour déneiger la chaussée – et ce qui n’en a pas de clairement définie, l’art. Son installation crée de plus un lien entre le niveau de sel stocké dans les réservoirs et l’intensité lumineuse des plaques de plexiglas. Des capteurs industriels de mesure permettent de quantifier le niveau de sel présent dans les quatre silos. Ces capteurs sont liés à un système informatique qui convertit le volume donné en intensité lumineuse: plus un silo est plein, plus l’éclairage des plaques de plexigas est intense. Cette méthode de mesure des silos est précisément celle employée par la voirie pour connaître la quantité de sel encore à disposition dans les réservoirs.

Greffée dans la structure qui enveloppe les silos, l’installation lui attribue un nouveau rôle, celui de signal. Implanté le long de la rue François-Dussaud, donc visible depuis l’artère, le bâtiment se métamorphose de nuit et jette une lumière nouvelle sur le site de la voirie, composé d’ateliers d’entretien, de dépôts, de bâtiments administratifs et des silos, encadrant une vaste cour rectangulaire.

Les nouveaux silos à sel ont été construits en 2010 par la Direction du patrimoine bâti, à l’époque Service des bâtiments. La nouvelle structure remplace l’ancien bâtiment, édifié au milieu des années 1960 par l’architecte genevois François Maurice, également auteur de la patinoire et de la piscine couverte des Vernets, ainsi que du centre de la voirie, qui accueille l’édifice. Pour préserver la volumétrie originelle de l’ensemble du site de la voirie, la nouvelle structure arbore le même gabarit que l’ancienne.

A l’origine, l’ancien bâtiment en béton armé a été construit pour servir de stockage au gravier. Une décennie après son édification, des silos en aluminium y ont été intégrés pour entreposer du sel. La vétusté de l’édifice – béton carbonaté, acier corrodé, capacité insuffisante, hauteur inadaptée à l’accueil des camions de nouvelle génération – a conduit la Ville à opter pour la destruction plutôt que pour la rénovation. Hormis le gabarit et les fondations, le bâtiment a radicalement changé d’aspect. L’opacité du béton a fait place à la translucidité. Les nouveaux silos en bois, d’une capacité de 500 m3 au total, reposent sur une structure métallique alors que l’ensemble est enveloppé d’une peau en polycarbonate, qui laisse entrapercevoir les réservoirs.

L’intervention de Pieter Vermeersch poursuit cette impulsion de l’intérieur vers l’extérieur et pratique une sorte de radiographie permettant l’observation du fonctionnement interne de la structure. Le bâtiment qui abrite les silos à sel devient un organisme vivant, fonctionnant selon deux modes. En hiver, la lumière traduit la quantité de sel présente dans les réservoirs. En été, l’édifice, inutilisé, hiberne. L’intensité lumineuse reflète alors cet état de corps endormi, variant comme une lente respiration.

 

Note

1. L’entreprise Vimi-Néon Champendal, qui s’est notamment chargée de la réalisation des neuf œuvres en néons qui bordent la plaine de Plainpalais, a conçu l’installation de Pieter Vermeersch de manière à ce que la lumière se diffuse uniformément.

Magazine

Sur ce sujet