Mu­tua­li­ser l'éner­gie pour des con­cepts in­no­vants

Concevoir à l’échelle du quartier permet la mutualisation et la centralisation des infrastructures nécessaires à la production de chaleur ou de froid, comme le montre l'exemple du projet genevois Quai Vernets et ses 1350 logements.

Date de publication
23-03-2021

Une approche globale

La concrétisation des objectifs des politiques énergétiques et climatiques, récemment renforcées par le décret de l’état d’urgence climatique énoncé par certains cantons et certaines villes, passe par la réduction des besoins en énergies et l’abandon des énergies fossiles au profit des renouvelables. Mais des changements fondamentaux se sont produits ces dernières années, et ils ont eu un impact plus fort sur la conception et l’approche de l’énergie. En effet, nous sommes passés d’une approche discrète, au cas par cas, où chaque bâtiment développait sa solution pour couvrir ses différents besoins – chaleur, froid et électricité – à une approche globale pour des quartiers entiers. Ce changement rend nécessaires des concepts globaux ainsi qu’une collaboration accrue entre le développeur du projet de construction et l’entreprise d’approvisionnement énergétique, de la planification à la réalisation du projet, pour que ceux-ci soient cohérents et économiquement viables.

Des objectifs ambitieux

Les Principes directeurs pour une Société à 2000 watts ont été révisés en 2020 pour s’adapter à la politique énergétique et climatique. Ils prennent en compte l’urgence climatique, en accélérant le calendrier à 2050, et posent trois objectifs :

  • efficacité énergétique, avec 2000 watts d’énergie primaire par personne, exprimée en puissance continue,
  • neutralité climatique, avec zéro émission de gaz à effet de serre (GES) liée à la consommation d’énergie (objectif zéro émission nette),
  • durabilité, avec la mise en œuvre de 100 % d’énergie renouvelable.

Pour la mise en œuvre, ce document propose 14 principes d’action.

Au plan régional, le Canton de Vaud a publié en 2020 son Plan climat cantonal et le Canton de Genève le Plan directeur de l’énergie 2020-2030. Chacun de ces documents se décline en près de 30 mesures stratégiques ou fiches d’action. Le domaine des bâtiments et les réseaux thermiques y figurent en bonne place.

Ce qui se fait aujourd’hui…

En ce qui concerne le domaine de l’énergie d’exploitation dans les bâtiments, les connaissances et les aspects techniques pour réduire les besoins et utiliser des énergies renouvelables sont connus et maîtrisés – isolation des bâtiments, chauffage avec une source renouvelable, pose de panneaux solaires photovoltaïques en toiture, etc. – même s’ils ne sont pas toujours mis en œuvre, en particulier dans le cadre de la rénovation des bâtiments.

D’autre part, de nombreuses entreprises d’approvisionnement énergétique (EAE) proposent déjà uniquement de l’électricité renouvelable, notamment les Services industriels de Genève (SIG) et les Services industriels de Lausanne (SIL). Elles développent de nouveaux réseaux de chauffage urbain avec des parts d’énergies renouvelables proches ou supérieures à 90 % et entreprennent la transformation de leurs réseaux urbains pour atteindre la neutralité climatique d’ici au plus tard 2050.

Cependant, les besoins en énergie d’un bâtiment sont souvent traités individuellement, avec une solution propre pour chaque besoin : production de chaleur pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire, production de froid pour le rafraîchissement et couverture des besoins en électricité par le réseau électrique, éventuellement complété par une installation solaire photovoltaïque.

… Et ce qui change

L’élargissement du périmètre du bâtiment à l’échelle du quartier a conduit à la transformation des concepts énergétiques et à leur diffusion. Ces concepts mettent en avant la mutualisation des infrastructures, grâce à des productions de chaleur ou de froid centralisées qui sont ensuite distribuées dans les différents bâtiments, voire même une mutualisation des besoins thermiques grâce à un réseau anergie.

Dans le même ordre d’idée, les EAE développent sur leur territoire toujours plus les réseaux thermiques urbains, qui permettent non seulement de mutualiser la production, mais également de rendre possible la transition énergétique de toute une portion du territoire lorsque de nouvelles productions sont mises en œuvre, par exemple la géothermie profonde. Ainsi, SIG développe son réseau GeniLac, une solution thermique innovante qui utilise l’eau du lac pour rafraîchir et chauffer les bâtiments du centre-ville de Genève. Cette solution est 100 % renouvelable lorsque les pompes à chaleur qui y sont raccordées fonctionnent avec de l’électricité qui l’est aussi.

Enfin, la démocratisation des panneaux solaires photovoltaïques et les changements des conditions cadres, notamment légales, permettent et encouragent une mutualisation des consommateurs à l’échelle du bâtiment ou, encore mieux, à l’échelle du quartier. En constituant un regroupement de consommation propre (RCP), l’autoconsommation de l’électricité solaire photovoltaïque produite sur les bâtiments ou dans le quartier est favorisée, sans passer par le réseau électrique, grâce à la création d’un micro­grid. Ainsi, seul le surplus de production d’électricité est réinjecté dans le réseau. Cette autoconsommation peut être optimisée lorsqu’il y a des pompes à chaleur dans le quartier, des possibilités de recharger des véhicules électriques, voire éventuellement des batteries de stockage.

De plus en plus d’entreprises d’approvisionnement énergétique proposent des solutions de contracting – qui consistent à sous-traiter tout ou partie de la planification, le financement, l'installation et l'exploitation d'installations de production d'énergie – que ce soit pour la production thermique mais également pour l’installation solaire photovoltaïque et la fourniture d’énergie.

Le label Site 2000 watts – un gage de qualité

Pour les quartiers, le certificat Site 2000 watts de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) se base sur le cahier technique SIA 2040 La voie SIA vers l’efficacité énergétique qui concrétise la vision de la Société à 2000 watts pour le domaine des bâtiments, neufs et rénovés (lire Tracés n° 3504 décembre 2020). Les aspects quantitatifs prennent en compte l’énergie grise pour la construction des bâtiments, l’énergie pour la mobilité quotidienne et l’énergie d’exploitation. L’obtention du label assure que le concept énergétique développé et mis en œuvre dans un quartier correspond aux objectifs énergétiques de la Société à 2000 watts.

La réflexion à l’échelle du quartier et le processus de certification et recertification, qui permet de thématiser durablement la question énergétique, sont des éléments favorables pour une mutualisation des infrastructures énergétiques et leur optimisation. La certification Site 2000 watts en exploitation, qui se base sur les consommations énergétiques effectives du quartier, offre de plus la vérification que les objectifs visés ont bien été atteints.

Une première genevoise

Le quartier Quai Vernets à Genève, dont le premier coup de pioche est prévu en 2021, attire déjà tous les regards. Pour la Confédération, il s'agira du premier projet genevois avec une certification Site 2000 watts, obtenue dès le stade de la planification. Pour le canton et la ville de Genève (Cité de l’Énergie de longue date), Quai Vernets forme les prémices d’une mue à grande échelle visant la création de 11 000 logements sur les anciens sites industriels et artisanaux de Praille-Acacias-Vernets (PAV). Pour les huit investisseurs réunis sous la bannière Ensemble, le projet devient l’objet d’une concertation entre des maîtres d’ouvrage d’utilité publique, des coopératives et des investisseurs institutionnels. Pour les pilotes du projet, le bureau Pillet et l’entreprise ­Losinger Marazzi, cette dernière étant également impliquée comme développeur-constructeur total, le projet constitue une concrétisation à grande échelle de la construction durable. Pour les riverains et les futurs locataires, le projet incarne un lieu de vie, un cadre qu’ils ont nourri de leur imagination lors d’ateliers participatifs. Face à la multiplicité des attentes, Quai Vernets se doit d’être ­exemplaire, autant par la vision proposée que par la méthodologie développée.

Qualité du cadre de vie

Bordant l’Arve, le site de 4,2 hectares se situe à l’entrée nord-est du PAV, relié au centre-ville grâce aux ponts des Acacias et Hans-Wilsdorf. Sis à l’emplacement d’une ancienne caserne militaire, le périmètre d’intervention jouit d’une bonne desserte en transports publics. Il est même relié depuis peu à la ligne ferroviaire du Léman Express, grâce à la nouvelle gare de Lancy-Pont-Rouge.

Le site, acquis en droit de superficie auprès de l’État de Genève, se destine exclusivement à des logements locatifs. Il doit offrir à terme 1350 appartements en loyer contrôlé, dont deux tiers d’utilité publique et 200 réservés à des étudiants. La silhouette du quartier est issue d’un concours d’urbanisme. Par la suite, une procédure de mandats d’étude parallèles a permis de développer les choix architecturaux et typologiques et de sélectionner les groupements d’architectes chargés de la réalisation. Deux îlots de neuf étages sur rez (R+9) se déploient autour de grandes cours végétalisées. Le premier niveau prévoit, dans l’épaisseur inhabituelle du bâti, une rue intérieure, un lieu habité animé d’espaces communs. Le second imagine des appartements à double orientation, avec, sur cour, une façade à redents, qui génère une atmosphère introvertie. Une tour de 86 mètres érigée en bordure de l’Arve forme un troisième volume. Sa situation privilégiée et la vue exceptionnelle qu’elle offre sur la ville la rendent particulièrement attractive. Ces immeubles répondront tous aux exigences du label Minergie-Eco. Une gestion mutualisée des commerces des rez-de-chaussée par les maîtres d’ouvrage dépasse la vision classique du rendement immobilier et propose une offre diversifiée entre petites et grandes surfaces, améliorant d’autant l’animation de quartier. Le dernier volume, d’une hauteur de 51 mètres, accueillera vraisemblablement le premier hôtel de ce nouveau morceau de ville qu’est le PAV.

Les espaces libres entre bâtiments proposent de nombreux lieux de détente végétalisés, avec plus de 140 grands arbres, dont les 15 essences ont été soigneusement choisies afin de favoriser la biodiversité. Les lieux de déambulation sont destinés en ­premier lieu à la mobilité douce ; les véhicules privés sont centralisés dans un garage souterrain, offrant de ce fait un quartier sans voitures. Avec 3000 places de stationnement vélos, les locataires sont également encouragés à enfourcher leur petite reine pour leurs déplacements urbains.

Par ailleurs, des équipements publics améliorent l’attractivité du nouveau quartier. Parmi eux, citons un groupe scolaire, une crèche, une maison de quartier, une place de jeu et une salle de concert qui favorisent les interactions sociales et intergénérationnelles et contribuent à la vitalité du lieu.

Économies d’énergie

Outre la qualité du cadre de vie et une réflexion sur la nature et la biodiversité, le projet vise une économie globale d’énergie. Grâce à sa certification Site 2000 watts, le projet atteste d’ailleurs d’une gestion durable des ressources et de mesures prises en faveur de la protection du climat. Pour y parvenir, un concept énergétique territorial (CET) accompagne la mise en application du plan localisé de quartier. Grâce à une sensibilisation aux questions environnementales établie très en amont, Quai Vernets pourra se targuer d’être uniquement alimenté par des énergies renouvelables.

Boucle d’échange thermique

Avec 20 % de surfaces d’activités et 80 % de surfaces de logements, les rejets générés par les besoins de froid des premiers sont insuffisants pour compenser les besoins en chaleur des seconds. La solution écologique vient d’un smart grid thermique, autrement dit une boucle dans laquelle l’échange de chaleur est mutualisé entre voisins. En effet, les rejets en chaleur de consommateurs de froid seront valorisés pour chauffer et fournir l’eau chaude sanitaire à Quai Vernets. En cas de déséquilibre entre les ressources et les besoins, un programme complémentaire basé sur l’hydrothermie compensera les écarts. C’est grâce à l’étroite collaboration entre Services industriels de Genève (SIG) et l’Équipe Ensemble que le concept énergétique initial gagne en performance.

Hydrothermie

Le projet GeniLac, développé par SIG, s’étendra vers les nouveaux quartiers du PAV. Dotée d’une puissance de 40 MW, l’infrastructure permettra de couvrir l’ensemble des besoins en chaud et en froid de l’industrie, des surfaces d’activité et des futurs habitants du PAV. Le principe en est simple : en puisant l’eau à 45 mètres sous la surface du lac, celle-ci demeure à température constante (7° C) durant l’année. Locale et renouvelable, elle devient une source intéressante de chaleur – ou de froid. Elle est d’ailleurs aujourd’hui déjà employée pour alimenter les immeubles de la Genève internationale dans le quartier des Nations. Ainsi, un branchement creusé depuis la rade, sera raccordé à la boucle d’échange thermique du PAV en 2022. SIG se charge de développer le projet, de gérer ses aspects techniques et financiers, et d’entretenir l’infrastructure.

Valorisation du potentiel solaire local

Une centrale de production photovoltaïque est prévue sur les toitures des quatre immeubles planifiés. Les 4000 m2 de surfaces de panneaux devraient ainsi fournir 800 000 KWh/an. Les centrales seront raccordées à un microgrid reliant l’ensemble des habitants de Quai Vernets. Ce RCP forme un réseau privé permettant d’employer en circuit court l’électricité produite par le solaire. La solution est non seulement plus écologique, mais offre également des économies intéressantes qui se répercutent sur le prix final de l’électricité. Le réseau global d’électricité est employé uniquement lorsqu’il importe de compléter l’approvisionnement durant les heures creuses, ou d’y réinjecter un surplus de production. Ici aussi, SIG se place au cœur du processus.

Certification Site 2000 watts

Les objectifs fixés par le certificat Site 2000 watts visent non seulement des aspects quantitatifs en matière d’énergie et de bilan carbone, mais portent également sur les six aspects qualitatifs suivants : la gouvernance de projet, le dialogue entre acteurs, les qualités urbanistiques, les apports et rejets engendrés sur les réseaux, les qualités architecturales et, enfin, les choix en mobilité durable. Et comme la certification a pour objectif une évaluation de la durabilité sur le long terme, celle-ci est réexaminée périodiquement. Quai Vernets a reçu son premier certificat en 2016, lors de la dépose du plan localisé de quartier. Depuis lors, deux autres attestations lui ont été attribuées, prenant en compte l’évolution du projet durant la phase de développement. Et quand la moitié des surfaces à bâtir seront louées, un certificat évaluant la phase d’exploitation du quartier sera établi sur la base d’un monitoring, pour une durée de quatre ans renouvelable.

Principe d'une Boucle anergie

 

Les réseaux anergies sont des réseaux basse température qui permettent de couvrir simultanément les besoins en chaleur et en froid de plusieurs bâtiments, avec un apport d’énergie complémentaire, idéalement 100 % renouvelable, pour les stabiliser. Ils permettent de récupérer des rejets de chaleur qui sont de toute façon produits dans ou à proximité du périmètre, ce qu’on appelle la chaleur fatale, par exemple depuis des productions de froid ou des processus industriels, et de les stocker.

Quai Vernets

 

Situé sur la rive gauche de l’Arve, le nouveau quartier Quai Vernets prolongera le centre-ville de Genève en se déployant sur le site de l'ancienne caserne militaire des Vernets.

 

Faits et chiffres

1350 nouveaux logements

 

26 400 m2 d’activités

 

3300 m2 d’équipements publics

 

25 000 m2 d’espaces verts

 

1 parking public et privé

 

Intervenants

Investisseurs : Équipe Ensemble [Coopérative de l'habitat associatif (Codha), Coopérative immobilière genevoise universitaire et estudiantine (Ciguë), Société coopérative d'habitation Genève (SCHG), ­Fondation
de la Ville de Genève pour le logement social (FVGLS), Caisse inter-entreprises de prévoyance professionnelle (CIEPP), Caisse de prévoyance de l'État de Genève (CPEG), Mobilière Suisse Société d'assurances et Swiss Life)]

 

Pilotes de projet: Pillet et Losinger Marazzi

 

Entreprise totale: Losinger Marazzi

 

Architectes: FHV architectes, Jaccaud Spicher architectes associés et LRS architectes, Bunq architectes et GD architectes

 

Ingénieurs civils: Perreten & Milleret, BG ingénieurs conseils, T. Jundt

 

Ingénieurs CVSE: Amstein + Walthert, BG ingénieurs conseils

 

Architecte paysagiste: Atelier Descombes Rampini

Article issu du hors-série Site 2000 watts: concrétiser une vision, publication réalisée en partenariat avec l'Office fédéral de l'énergie (OFEN) et qui peut être téléchargée gratuitement ici

 

Pour plus d'information:

 

www.suisseenergie.ch et www.2000watts.swiss

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