MVRDV

Transgressions constructives

Les grands bureaux qui monopolisent la production architecturale globalisée perdent souvent leur ancrage régional et national. De façon plutôt singulière compte tenu de son caractère international, MVRDV maintient une certaine affinité avec son point de départ : la ville de Rotterdam. Ce lien n’est pas le fait d’une quelconque obstination identitaire, mais plutôt celui d’un esprit critique qui n’aurait pu se développer ailleurs que dans cette ville.

Date de publication
30-05-2012
Revision
01-09-2015

Avec l’OMA de Rem Koolhaas, l’agence créée par Winy Maas, Jacob van Rijs et Nathalie de Vries constitue un binôme qui incarne la dynamique néerlandaise des 30 dernières années. Faite d’innovation, de provocation et d’un goût affirmé pour la densité et la mixité, la méthode hollandaise est sans aucun doute parmi les plus pertinentes pour faire et refaire la ville. 
Ce n’est pas un hasard si deux grandes villes françaises leur ont confié leur développement (c’est dans les années 1990 que l’OMA réveille la belle endormie, Lille, en créant leur deuxième pôle de centralité : Lille Europe. Quant à MVRDV, l’agence s’est vu confier le développement de la ZAC Bastide Neil à Bordeaux).
Le parallèle entre les deux bureaux ne s’arrête pas à ce savoir-faire partagé. Tous deux témoignent du désir d’accompagner leur production d’une réflexion critique (sur ce point, la définition par Roemer van Toorn de ce qu’il appelle « la critique immanente et radicale » peut apporter un éclairage supplémentaire.  C’est dans un essai intitulé Architecture against architecturequ’il s’efforce d’établir que l’acte de bâtir peut devenir un acte critique à part entière). Au sein de l’OMA, cette vocation de l’architecture à réfléchir s’est autonomisée, pour devenir depuis 1998, un département quasi-indépendant. Rem Koolhaas étant l’un des pionniers de la déconstruction et l’auteur d’une des meilleures études sur ce qu’est une tour (Rem Koolhaas, 2002), il n’est pas faux d’affirmer qu’en ce qui le concerne, la critique a précédé la production. Le cas est tout autre pour MVRDV. Avec son laboratoire de recherche à l’Université de Delft, The Why Factory, l’équipe poursuit un authentique questionnement sur le bien fondé de certains réflexes environnementaux, économiques, esthétiques ou autres. Mais la force critique de leur travail n’est pas tant dans la théorie que dans une étrange façon de pousser à ses limites le raisonnement qui conditionne une réalisation. La radicalité de cette posture peut s’apparenter à une sorte de paranoïa critique (la méthode de paranoïa critique inventée par Dali dans les années 30 s’inspire de la psychanalyse freudienne. Il s’agit d’un système qui permettrait d’exploiter sa propre paranoïa, de contrôler ses propres obsessions et hallucinations en les utilisant de manière créative, transposée dans le domaine de la construction. Il n’y a pas un langage architectural chez MVRDV, mais plusieurs qui se superposent, se croisent ou se contredisent. 
Dans Magical maestro, dessin animé réalisé en 1952 par Tex Avery, le loup-magicien, vexé de ne pas avoir été recruté, se venge du chef d’orchestre pendant la représentation en le transformant tour à tour en fillette, en lapin, en danseur hawaïen, en chanteur de jazz ou encore en cow-boy. La drôlerie de ce film réside dans l’obstination du chef d’orchestre à poursuivre coûte que coûte sa prestation musicale tout en étant violement transformé. L’opéra de Rossini continue au fur et à mesure que ce dernier change d’apparence. 
Si quelqu’un voulait tourner en dérision la production de MVRDV, il pourrait comparer leurs mutations architecturales aux transformations successives du chef d’orchestre. Une telle critique passerait outre l’un des aspects essentiels de leur travail : son aptitude à questionner nos attentes en matière de normes, d’écriture architecturale et de constance typologique. 

L’image au cœur du questionnement 

Chez MVRDV, il n’y a pas que la forme des bâtiments qui varie. Chaque projet fait l’objet d’une remise en question de nombreux paramètres. Dans le cas du siège de la radio VPRO, un de leurs premiers projets importants, l’espace de travail semble déstructuré, avec des sols inclinés et des hybridations entre espace public et privé. 
Si le siège de la radio VPRO laisse pressentir une certaine envie de transgresser les normes, c’est le pavillon néerlandais pour la foire de Hanovre en 2000, qui incarne la critique radicale que cherche à développer MVRDV. Le projet est un compactage vertical d’espaces naturels agricoles, de loisirs et de travail. Une tour avec pour chaque étage, un écosystème différent. Le pavillon cristallise la mise à l’épreuve du principe de densité. Aujourd’hui en ruine, le pavillon pousse à ces limites l’hypothèse de départ, puisque l’étage de la forêt artificielle est devenu une sorte de friche boisée abandonnée : un écosystème de plus dans la superposition initiale. 
Deux projets récents permettrent de confirmer le rôle de l’image dans ce jeu de transgressions successives : les tours « nuage », et le Monolithe dans le nouveau quartier Confluence à Lyon. 
Pour le «nuage», c’est l’image obsédante des attentats du 11 septembre qui semble déterminer la forme du bâtiment. Les deux bâtisses s’unissent à mi-hauteur par un conglomérat qui ne va pas sans rappeler les représentations métabolistes. Les excroissances du nuage, comme autant de pixels disproportionnés annulent l’élévation solitaire de la tour. Il ne s’agit pas de n’importe quelle image de référence, mais bien de celle qui nous a fait croire qu’il serait impossible de continuer à construire des tours. La boucle est bouclée: c’est la négation de la tour qui la rend possible. 
De façon similaire, le bâtiment compact du monolithe s’établit comme un manifeste de densité. Si la sobriété de l’ensemble donne l’impression d’une sorte de cartésianisme absolu, il n’est pas moins déterminé par l’acte de représenter, c’est-à-dire d’être l’image de quelque chose. A la grande différence des réalisations qui s’affichent comme des représentations d’un geste fort, l’image est ici le résultat d’une tractation entre différents éléments contradictoires. Ce que renvoie le bâtiment n’est autre que l’image d’un combat, supposé traduire la ville.

Généalogie d’une transgression

La modernité s’est constituée sur le principe d’une norme unique, qui pouvait varier selon les contextes et les sensibilités, mais devait rester fidèle à elle-même. C’est le fonctionnalisme. Les années 60 vont voir émerger une génération d’architectes et d’artistes qui s’efforceront de briser la rigidité de cette norme. La contre-culture de cette époque produira des collectifs d’architectes radicaux comme Archigram ou Superstudio, qui mêlent sociologie, culture pop et science-fiction. Leur esprit corrosif est une des filiations possibles du geste architectural critique tel qu’on le trouve aujourd’hui chez MVRDV. Comme leurs prédécesseurs, ces derniers partent du constat que l’espace bâti est par définition politique. Ils en déduisent que la principale mission de l’architecte n’est pas de construire des abris, mais de permettre un décryptage de l’espace politique. Cela en rendant manifestes les rapports de force qui constituent un bâtiment ou un quartier. 
Le conflit entre espace public et privé, le pouvoir exhibitionniste ou honteusement dissimulé, l’histoire, le contexte social, sont autant de paramètres à ramener à la surface. Les télescopages de fonctions incongrues, les hybridations, sont différentes façons de donner à voir ce qui se dissimule derrière les formes standards. 
Issus d’une génération qui a été formée dans cette culture de la transgression créative, les architectes d’MVRDV n’ont plus besoin des étiquettes «postmoderne» ou «déconstructiviste» pour légitimer leur disposition à bousculer les règles. Après s’être attaqués aux principales conventions esthétiques ou tectoniques, ils ont décidé de s’en prendre à l’ultime, la plus difficile à renverser : la construction en tant que finalité ultime de la critique. Construire pour MVRDV revient à questionner, par une réalisation, la raison d’être et les modalités d’usage d’un bâtiment. Il n’est pas rare que ce questionnement prenne le dessus sur l’instinct bâtisseur.
Ainsi, ils n’hésitent pas à s’investir dans des hypothèses qu’ils savent condamnées. En 2000, faisant alors partie des quatre derniers projets retenus pour la réfection des Halles de Paris, ils maintiennent leur proposition d’un sol en verre sur lequel pousseraient des arbres. Stratégie médiatique ou mauvais calcul de leur part, leur proposition est caractéristique de leur esprit provocateur. 
Plus radicale encore, leur proposition pour les Jeux Olympiques de Londres, pousse le principe de densité à ses limites en proposant une tour de stades: un empilement spectaculaire pour l’événement, qui ne cache pas sa démesure. Si ces hypothèses ne visent pas la réalisation, elles ont le mérite d’ouvrir des voies à d’autres projets, moins provocateurs, mais tout aussi novateurs. 
MVRDV s’inscrit ainsi dans la continuité d’une certaine déconstruction critique des années 80. Comme leurs prédécesseurs, ils s’efforcent d’introduire dans la forme d’un bâtiment des éléments qui permettent son décryptage. Seule différence : les transgressions tectoniques ou ornementales des pionniers (Bernard Tschumi ou Rem Koolhaas sont certainement les plus représentatifs de cette tendance) devaient rendre lisibles les paramètres qui déterminent une construction. Chez MVRDV, la pulsion critique va souvent jusqu’à la négation du projet. Comme les morceaux de plusieurs puzzles différents, leurs projets se juxtaposent sans faire corps. Reste une chose pour les relier : l’esprit critique qui en découle.
Dans un paysage globalisé où les gestes spectaculaires sont trop souvent légitimés que par la renommée de ceux qui les commettent, les transgressions de MVRDV préservent l’impératif d’un sens. A Hanovre, sur le site de l’Expo 2000, seul leur pavillon a été préservé. Ce n’est certainement pas un hasard.

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