Pays Bar­bare

Dans leur tout dernier projet présenté au Festival du film de Locarno, Angela Ricci Lucchi & Yervant Gianikian sont partis à la recherche d’images de cette campagne coloniale. Portant un regard attentif sur les rares archives, ils incitent à prendre le temps de comprendre aussi bien la stratégie déployée par les fascistes que sa motivation profonde : le mépris du peuple qu’elle est supposée sortir de la barbarie.
Ralentissant et recadrant des séquences que l’on a l’habitude de voir défiler à une vitesse accélérée, ils parviennent à souligner ce que nos yeux aguerris à la violence des images peinent à discerner : le caractère irrécupérable de la guerre tant sur ceux qui la subissent que sur ceux qui la perpétuent. 
A l’instar des machines qui altèrent irrémédiablement notre perception du monde, la guerre aéroportée fait entrer l’humanité dans un nouveau rapport à l’espace. Vu du ciel, le territoire conquis paraît distant : il semble se réduire à sa propre représentation. C’est ainsi que l’écart entre le point de vue de l’aviateur et sa cible va initier un nouveau rapport au réel. 
Angela Ricci Lucchi & Yervant Gianikian ne revendiquent pas le titre d’historien. Ils s’écartent sciemment de toute forme d’objectivité scientifique, allant jusqu’à commenter les images en chantant. A la froideur d’un discours clos, ils préfèrent le tremblement d’une approche sensible et surtout le questionnement sur l’actualité de ces événements historiques. Le film est une tentative réussie de ressusciter des images mortes pour en faire à nouveau des instruments de persuasion. 
La présence de Pays Barbare dans la sélection du concours international est un beau témoignage de l’excellent travail qui se fait à Locarno.