Planifier par le paysage: un renversement de perspective
«Inverser le regard», telle est la thématique du forum Bâtir et Planifier 2021. À l’occasion de cet événement qui questionne les méthodes de planification, espazium s’est rendu à la rencontre de l’une des intervenant·e·s du forum, Cristina Woods, de l’atelier Verzone Woods Architectes (VWA).
espazium: Dans quelle mesure vos interventions invitent-elles à un changement de perspective par rapport aux pratiques conventionnelles de planification?
Cristina Woods: Les organisateur·trice·s du forum m’ont contactée car notre approche leur semble novatrice et représentative d’une « inversion » de la perspective dominante, plus classique. Souvent, on n’est pas conscient soi-même d’adopter un regard différent. Prenons un cas concret : en 2016, l’association Région Morges, qui coordonne le développement territorial de dix communes, nous a mandaté·e·s pour une étude sur l’évolution urbanistique et paysagère accompagnant le développement urbanistique de la région d’ici à l’horizon 2030. En collaboration avec Urbaplan, nous avons débuté une réflexion, non pas sur les espaces à bâtir et les potentiels de développement, mais sur les espaces que la population souhaitait laisser non bâtis. Cela nous a demandé de déterminer quels espaces nous voulions laisser intacts et ouverts. Nous avons défini les enjeux de chaque site et identifié leurs qualités paysagères intrinsèques. Ce que nous trouvons intéressant, c’est la réciprocité des liens entre espace bâti et espace ouvert. Inverser le regard permet d’équilibrer les priorités pour qu’un dialogue plus riche puisse avoir lieu entre deux rapports, deux valeurs. Planifier par le paysage correspond à notre démarche, qui repose sur le rapprochement des contrastes, sur un lien de réciprocité constant entre espace ouvert et bâti.
Et comment déterminer ces valeurs?
Si l’on réfléchit en termes économiques, cela devient plus clair. La valeur de l’espace bâti est quantifiable, tandis que celle de l’espace non bâti est plus subtile à mesurer, financièrement parlant. En revanche, elle possède une valeur intrinsèque, sociale, environnementale et paysagère tangible. La promotion immobilière n’investit pratiquement pas dans les espaces non bâtis: c’est un domaine dans lequel les effets se font ressentir à moyen, voire à long terme. Il y a aussi la question de la rentabilité: l’un rapporte à travers la location ou la vente des objets, l’autre ne génère des bénéfices «que» en termes de valeur spatiale, sociale et environnementale.
Votre bureau a beaucoup travaillé sur la question de l’urbanisme nourricier, notamment à travers le projet «Food Urbanism Initiative» (FUI), élaboré dans le cadre du Programme national de recherche «Nouvelle qualité urbaine» (PNR 65), de 2010 à 2013. Depuis quand mettez-vous en œuvre le principe d’urbanisme nourricier dans vos interventions?
Depuis une quinzaine d’années, nous avons entamé avec mon associé, Craig Verzone, architecte du paysage et urbaniste, une réflexion sur l’intégration d’une production de denrées alimentaires dans le contexte du bâti urbain suisse actuel. Celle-ci s’est concrétisée à travers le projet FUI, qui a aussi fait l’objet d’une publication1 synthétisant les résultats de la recherche.
Pourquoi l’urbanisme nourricier?
Puisqu’on prônait la densification des villes vers l’intérieur, nous nous sommes demandé comment accueillir plus d’habitants dans le même espace, tout en conservant son attractivité. En parallèle, on sentait que le concept de « nature en ville » gagnait en importance à travers le monde. Nous proposions régulièrement des projets incorporant la dimension nourricière, mais nous nous heurtions très souvent à l’incrédulité des jurys. Pourtant, nous étions persuadés que cette question méritait d’être incluse dans la planification urbaine. En 2014, la révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT), qui vise la préservation d’un lieu avec la particularité de son site (paysage, territoire, faune, flore, etc.), venait d’entrer en vigueur. Elle implique une séparation claire entre l’espace agricole et l’espace urbain, les deux mondes devenant imperméables l’un à l’autre. Nous avons donc répertorié les pratiques agricoles professionnelles et non professionnelles existantes qui pouvaient infiltrer le tissu urbain à travers une étude de typologies, de stratégies d’intégration et d’études de cas. La tendance des dernières décennies en Suisse portait sur comment construire, et nous avons apporté cette inversion du regard : comment cultiver en ville.
Comment résumer votre pratique du paysage urbain?
Notre démarche repose sur le rapprochement des contrastes. Nous travaillons sur le tandem espace ouvert et bâti en les faisant dialoguer, à travers un processus de conception qui se veut innovant, tout en s’inspirant des traditions.
Note
1. Craig Verzone et Cristina Woods, Food Urbanism: Typologies, Strategies, Case Studies, Birkhäuser, Bâle, 2021.
Cristina Woods est architecte SIA et urbaniste. Elle dirige Verzone Woods Architectes (VWA) avec Craig Verzone, architecte paysagiste et urbaniste FSAP.
Informations pratiques
Forum Bâtir et Planifier – 09.11.2021
Salle de spectacles de Renens
Inscriptions: participer [at] vd.sia.ch