Pont Bleu 3.0
Le Pont Bleu est l’un des trois ouvrages d’art que compte la route cantonale RC 82, principal axe routier de l’Ouest lausannois, qu’empruntent quotidiennement près de 20 000 véhicules. Situé entre l’avenue du Tir-Fédéral (Écublens) et le tunnel de Marcolet (Crissier), il franchit les huit voies du nœud ferroviaire de Lausanne, où plus de 600 trains circulent chaque jour, immédiatement à l’ouest de la gare de Renens. L’élargissement routier pour assurer la continuité des itinéraires de mobilité douce, l’état de conservation des structures existantes et les contraintes de planification du projet ont mené au remplacement de l’ouvrage.
L’importance stratégique de l’ouvrage ainsi que la proximité de plusieurs chantiers connexes ont fortement impacté la planification de l’intervention sur le Pont Bleu. Il s’agissait en effet de la coordonner avec les travaux liés à la gare de Renens, à Léman 2030, au passage inférieur du Léman, à la passerelle Rayon Vert, à la caserne de pompiers des CFF, au futur tram M3 et aux adaptations des réseaux communaux, tout en limitant les perturbations pour les riverains, les usagers (véhicules motorisés, piétons et cyclistes) et le trafic ferroviaire.
Éliminer le risque de choc ferroviaire
Une étude préliminaire, en 2012, et une analyse du risque de choc ferroviaire, en 2015, sur la palée 1 implantée dans le faisceau de voies, ont fait ressortir que les deux premières travées de l’ouvrage devaient être remplacées afin de retirer toute infrastructure du domaine ferroviaire. C’est sur cette base qu’un appel d’offres public a été organisé au printemps 2016.
En parallèle à l’étude de variantes pour le remplacement des travées sur les voies CFF, un examen approfondi de l’ouvrage existant a été mené afin d’établir une base solide pour la conception des interventions de maintenance. La vérification par calcul a montré que l’ouvrage présentait, pour le trafic routier (40 t avec passage de camion-grue 96 t selon SIA 269/1 éd. 2011), un degré de conformité suffisant pour la sécurité structurale de toutes les parties d’ouvrage. Cependant, les palées 1 à 3 sont sous-dimensionnées pour les actions de chocs ferroviaires et routiers et les variations de contraintes pour la vérification à la fatigue sont trop grandes dans les tabliers.
Une infrastructure dégradée
Afin de valider les hypothèses de calculs, des investigations ont été menées durant l’été 2016. Elles ont mis en évidence des désordres à l’infrastructure routière (revêtement en mauvais état, nombreuses fissures et tassements notamment vers la culée Écublens), aux infrastructures (forte pénétration de chlorures dans les palées, tassements de la culée Écublens et des palées 1 à 3) et aux superstructures (forte pénétration de chlorures dans la dalle de roulement, les poutres à té de bord et les parapets ; appareils d’appuis et joints de dilatation en mauvais état). L’absence d’étanchéité sur la dalle de roulement ainsi que les faibles enrobages des armatures passives sont révélateurs d’une époque où l’on croyait le béton invulnérable et ont ainsi contribué à mettre hors service l’ouvrage prématurément.
Sur la base de contraintes d’exploitation routière et ferroviaire, de l’examen de l’ouvrage existant et du projet routier retenu lors des études préliminaires, le projet définitif prévoyait :
- Le déplacement de l’axe routier (altimétrie, sinuosité et dévers) sur 300 m afin d’élargir le trottoir côté Genève, tout en limitant l’impact sur le bâti existant, réduisant ainsi au maximum les nouvelles constructions ;
- La modification complète du système statique de l’ouvrage : pont fixe (palée 2) avec une poutre simple sur les voies ferroviaire et une poutre continue semi-intégrale pour le solde ;
- L’uniformisation des fondations par la création de structures appuyées sur la moraine de fond également dans la partie sud pour supprimer les problèmes de tassements ;
- La mise en conformité des infrastructures (choc ferroviaire et routier sur les palées 2 et 3, suppression de la palée 1 du faisceau de voies) ;
- La pose d’un revêtement phono-absorbant et de parois anti-bruit.
Une analyse des différents modes de construction possibles a mis en évidence que seul le remplacement par opérations de levage (voir article page 14) permettait de satisfaire toutes les contraintes. La conception des nouvelles travées devait donc tenir compte des capacités de levage de la grue sur chenilles et excluait les structures trop souples ou trop complexes à mettre en œuvre.
L’architecture de l’ouvrage a, quant à elle, été étudiée de manière à ne pas créer de rupture visuelle entre l’ancien et le nouveau et permettre une bonne intégration dans le bâti existant. Ainsi, la travée 3 a été conçue de manière à être complètement asymétrique afin d’harmoniser les lignes de transition entre les poutres à té et la poutre à treillis métallique de la nouvelle portée principale. La géométrie des sommiers des palées, de la palée 2 et des diagonales des treillis est en lien avec l’inclinaison des protections anti-bruit afin de diminuer le sentiment de confinement pour la mobilité douce. Enfin, l’éclairage public est disposé de manière symétrique et à la même altitude que le couronnement des membrures supérieures des treillis. La nouvelle travée principale crée une porte d’entrée sur la commune d’Écublens tout en établissant un lien entre le passé, de par la référence à la matérialité et à la géométrie du premier Pont Bleu (voir encadré), et l’actuel développement de projets ferroviaires majeurs dans l’Ouest lausannois (Axes forts et Léman 2030).
Principaux intervenants
- Maître de l’ouvrage et direction générale des travaux: Canton de Vaud, Commune d’Écublens, Commune de Crissier
- Participation financière: Confédération, CFF
- Auteur de projet et direction locale des travaux: Synaxis SA Lausanne
- Entreprise: Consortium Marti Construction SA – Zwahlen & Mayr SA - Cimolai
- Sous-traitant: Sarens Belgique
Chiffres clés
- Longueur : 176 m
- Largeur : 14,20 à 15,60 m
- Hauteur totale : 6,60 m
- Matériaux : 6 000 m3 de grave, 380 t (acier),
- 530 t (armature passive), 2400 m3 (béton), 2352 m de torons de précontrainte (pré-tension) et 670 m de câbles de précontrainte (post-tension)
- 1 grue de forte capacité - 26 930 t*m
- Planification des travaux : octobre 2018
- à décembre 2019
- 40 mesures d’exploitation ferroviaire
- 50 opérations coup de poing
Pont Bleu 1.0 et 2.0
L’histoire du Pont Bleu commence au début du 20e siècle et voit se succéder trois générations d’ouvrage. Le premier, mis en service en 1906, était une poutre continue de deux travées de 24,08 m dont la section transversale était composée de deux poutres à treillis à tablier inférieur. L’ouvrage, de couleur bleue, donnera son nom à la future route : route du Pont-Bleu.
En 1971, le premier ouvrage est fermé à la circulation. Il n’avait pas été conçu pour supporter les 8 000 véhicules/jour générant de nombreux embouteillages aux heures de pointe. Son remplaçant se voulait plus long (171,50 m), plus large (12 m) et a été réalisé dans des délais extrêmement courts. Les travaux, déjà spectaculaires pour l’époque, ont vu affluer une centaine de personnes pour assister à la pose à la grue des nouvelles poutres à té sur les voies CFF.
La construction de 1972 consistait en un pont flottant avec joints de dilatation aux extrémités, fondé dans sa moitié nord sur la moraine et sur sa moitié sud sur des dépôts palustres. La structure était composée d’une suite de poutres simples de 23,99 m de portée dont la section transversale était composée de six poutres à té identiques en béton précontraint (post-tension par fils) construites par préfabrication foraine.
La dalle de roulement, partie chaussée, était en béton armé coulé en place sur prédalle préfabriquée tandis que les trottoirs et les bordures étaient des éléments préfabriqués. Seul un béton bitumineux recouvrait la dalle de roulement.
Auteur de l'article
Hugo Anacleto, ingénieur civil HES REG A, auteur du projet et direction locale des travaux, SYNAXIS SA Lausanne