Re­con­si­dé­rer l’usage de la frange ur­baine

La première édition de Genève, villes et champs, qui se poursuit jusqu’au 4 octobre, dessine un parcours de treize installations menant de la campagne à la ville, de Bernex à Genève

Date de publication
21-08-2014
Revision
25-10-2015

La première édition de Genève, villes et champs, manifestation monumentale d’art et de paysagisme, n’est pas née ex nihilo. En gestation auprès des autorités cantonales depuis 2011 et nourrie par l’expérience réussie de Lausanne Jardins, elle a éclos dans le contexte du développement de l’ouest du canton. Monique Keller, commissaire de cette première édition, a mis le doigt sur la problématique essentielle soulevée par ce développement : comment procéder pour que ce phénomène d’urbanisation, inéluctable et rapide, se fasse en préservant la qualité de vie de tous, c’est-à-dire sans trop empiéter sur les zones agricoles ? « La première idée envisagée pour tenter de répondre à cette question, explique Lorette Coen, présidente de l’association Genève, villes en cultures, qui produit Genève, villes et champs, est de faire se promener les gens plutôt que d’entrer en confrontation. La question de la promenade est centrale. »
Le parcours de Genève, villes et champs, ponctué par treize interventions implantées de la commune de Bernex juaqu’au Bois-de-la-Bâtie, à l’entrée de Genève, en passant par Lancy, Confignon et Onex, se déploie sur 5,5 km parallèlement à la ligne du tram 14, inaugurée fin 2011. La manifestation fait ainsi écho au projet d’art public art&tram1, piloté par le Canton de Genève et initié par quatre communes traversées par la ligne – Lancy, Onex, Confignon et Bernex – et auxquelles la Ville s’est associée. Deux œuvres sur les six prévues ont déjà vu le jour, à Lancy et Onex (voir TRACÉS n°13-14/2013 et n°10/2014). 
C’est à Bernex – point de départ du parcours – qu’un grand projet a précisément été lancé : il a pour ambition de transformer la commune en centre régional, avec la mutation d’un périmètre de 150 hectares, principalement composé de zones agricoles. La première étape, sur le côté est du périmètre, doit aboutir à la création de 2000 logements et 2600 emplois d’ici une dizaine d’années. A l’horizon 2030, 5700 logements et autant d’emplois devraient voir le jour.
L’un des enjeux majeurs de ce grand projet sera de faire cohabiter l’urbain et l’agricole, en faisant notamment un usage optimal de la Césure verte, avec la création sur une de ses portions d’un parc agro-urbain censé répondre aux besoins de la population et de l’agriculture (voir TRACÉS n°12/2013). Genève, villes et champs s’accapare cette problématique et rêve d’une « cohabitation harmonieuse entre zones urbaines et agricoles. [Elle souhaite sensibiliser] le visiteur à l’importance du patrimoine agricole et culturel, à la richesse des produits du terroir et à l’économie de proximité »2.
Genève, villes et champs, à l’instar d’art&tram mais au moyen d’interventions éphémères qui commentent la thématique à leur façon, tente d’accompagner et de mettre en perspective le développement de la ville et des transports vers l’ouest du canton. Les treize installations, sélectionnées sur concours parmi quelque 150 candidatures et conçues par des artistes, des architectes, des designers et des paysagistes, jettent, avec plus ou moins de succès, un regard curieux, critique ou amusé sur un territoire, plutôt que de mettre en lumière les caractéristiques de lieux précis. Le geste peut aller de la réalisation d’un jardin conventionnel à un concept, à l’instar de la première intervention du parcours, un bélier géant et interactif imaginé par l’agence néerlandaise West 8 et l’atelier genevois b29 (image), qui alimente le débat sur le territoire3
La manifestation, plutôt que de cristalliser les peurs liées au développement de Genève, exploite l’imaginaire pour générer d’autres formules. L’agriculture de proximité pourrait ainsi être l’une des solutions pour une expansion urbaine appropriée. Elle est notamment mise en scène par les architectes urbanistes de V-OLZ, le paysagiste Etienne Haller et l’artiste Simon Boudvin, qui ont conçu une micro-brasserie à l’échelle micro-locale (image). Tout est fait sur place : culture et récolte de houblon, brassage et dégustation. La brasserie, enveloppée d’un fin grillage, est visible nuit et jour. A la Césure verte, aux côtés d’autres installations, un espace couvert accueille une buvette qui propose des produits labellisés GRTA4, bières artisanales et autres planchettes du terroir à consommer sur place, et une épicerie de vente directe. Toujours dans le domaine du micro-local, le Jardin digestif5, installation didactique et pour le moins surprenante, érige au rang de divinité les excréments humains (lire article lié).
Dans La promesse6, c’est l’idée du cheminement qui domine (image). Les auteurs ont dressé sur le parking de l’industrie Induni, sponsor principal de l’installation, une rampe constituée d’échafaudages. Au terme d’un parcours ascendant, le visiteur peut jeter un regard plus large sur Onex. Au sommet, un automate Selecta permet de se rafraîchir en proposant en grande partie ses marchandises habituelles agrémentées de quelques produits du terroir comme du jus de pomme ou de raisin.
Enfin, Sur la piste7 constitue l’une des interventions les plus remarquables de Genève, villes et champs (image). Une palissade en bois sur un petit terrain en friche, à côté d’un chantier. L’installation passe d’abord inaperçue. Lorsqu’on s’approche, des sons se font progressivement entendre et mènent le visiteur devant un petit couloir souterrain. Un banc de bois placé au bout de ce passage permet de s’asseoir pour écouter tranquillement la bande-son, qui mêle habilement bruitages – le clocher du village, un aboiement, un hennissement, le chant des oiseaux –, musique, archives et paroles d’habitants. Ces derniers partagent leur vision du territoire qu’ils habitent, évoquent la ville, leurs souvenirs, ce qui a changé, leurs attentes en termes d’urbanisme. Une dame – « de 99 ans », précise-t-elle – raconte par exemple qu’elle a signé un contrat avec des promoteurs stipulant qu’ils ne peuvent toucher à sa maison tant qu’elle est en vie. « Je leur bouche le passage. Ils ne pensaient pas que je resterai en vie aussi longtemps ! ». Les auteurs parviennent, en s’appuyant sur des histoires particulières, à jeter un regard global sur la problématique de Genève, villes et champs : comment concilier agriculture et développement urbain ?

 

Notes

1. http://www.art-et-tram.ch/
2. Tiré du communiqué de presse de Genève, villes et champs
3. En plus de l’installation en soi, les concepteurs du projet ont imaginé en parallèle un site internet nourri de textes et de réflexions sur le territoire, la densification et le potentiel de croissance à Genève. www.lebeliertetu.com
4. Le Canton a créé le label Genève Région-Terre Avenir (GRTA) en 2004 pour promouvoir une agriculture de qualité et de proximité en prenant en compte les conditions de travail des producteurs agricoles. GRTA œuvre au rapprochement ville-campagne, entre citadins et habitants de régions rurales. L’Union maraîchère de Genève constate que la quasi-totalité de ses membres y ont adhéré. Plus de 330 entreprises utilisent ce label. www.geneveterroir.ch 
5. Jardin digestif, par le Groupement pour le plaisir à toutes les échelles
6. La promesse, Vincent De Florio, Michael Jakob, Romain Legros, Guillaume Yersin et Michael Meier
7. Sur la piste, par les artistes frédéric dumond et Eric Watt, le graphiste Philippe Bretelle et le sculpteur Vincent Du Bois 

 

Signalétique

(image)La signalétique de Genève, villes et champs, pensée comme un élément constitutif de la manifestation, a été conçue par la Haute école d’art et de design de Genève et le Laboratoire irb, mené par le designer franco-suisse Ruedi Baur. Huit élèves de la filière communication visuelle de l’école, sous la direction de leur chargée de cours Imke Plinta, ont concrétisé le concept du designer. Quelque 80 implantations signalétiques ponctuent le parcours de Genève, villes et champs et permettent de se repérer facilement. Le dispositif est simple et efficace : des cadres en bois, traversés dans la diagonale par de fines lattes. Le titre de l’installation est indiqué en grosses lettres et sa description est placée juste dessous. Les panneaux signalent également la direction et le nom des installations suivantes, ainsi que le temps de parcours pour y parvenir. Ils délivrent aussi d’autres informations pratiques : l’emplacement des toilettes, des transports publics et des points de renseignement.

 

Livre

(image)Genève, villes et champs juin-octobre 2014 – Carnet de route paraîtra à la fin du mois, et sera disponible en librairie et auprès de l’association Genève, villes en cultures. Le livre a pour ambition de décrire la manifestation et de la mettre en perspective. L’ouvrage, ponctué de textes écrits par Carole Lambelet et de photographies prises par Gabee, sert de carnet de route jusqu’à la fin de la manifestation, et la documentera ensuite. Il est édité par l’association Genève, villes en cultures et imprimé chez Atar Roto Presse, Genève. Il coûte CHF 20.-.

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