Révision de la loi sur l'approvisionnement en électricité
Fin janvier 2019, le conseil d’experts Énergie de la SIA a transmis sa prise de position au Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). Passage en revue des principaux enjeux.
Le 17 octobre 2018, l’ancienne ministre de l’énergie Doris Leuthard a ouvert la procédure de consultation pour la révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité. Celle-ci doit finaliser la libéralisation complète du marché de l’électricité, entamée en 2009 pour les gros consommateurs et initialement prévue à l’horizon 2014.
Le but du texte n’est pas un abaissement a priori des prix de l’électricité pour les consommateurs finaux, mais la sécurité de l’approvisionnement à long terme, une efficacité accrue des prestations des fournisseurs et un approvisionnement davantage couvert par la production locale. Ce dernier point recouvre une priorité majeure de la SIA: à l’avenir, les bâtiments doivent autant que possible couvrir leur propre consommation et cette production doit provenir de sources renouvelables. Les équipements nécessaires doivent ménager l’environnement et, idéalement, être installés sur ou dans les bâtiments en place.
Le conseil d’experts Énergie de la SIA est parvenu à la conclusion qu’une refonte du marché de l’électricité et des réseaux de distribution dans le sens d’une concurrence et d’une flexibilité accrues est indispensable à la mise en œuvre de la Stratégie énergétique 2050. Les obstacles au développement d’énergies alternatives doivent être abaissés et des lignes directrices fixées, afin que les investissements dans ces nouvelles formes d’énergie puissent être sécurisés à long terme. Le conseil soutient donc le projet de révision, même si des différends subsistent sur certains points, dont les principaux sont résumés ci-après.
Conditions-cadres
Les conditions-cadres de la loi sur l’approvisionnement électrique révisée doivent garantir la protection des petits clients et régler l’approvisionnement de base. Aux yeux de la SIA, le projet de loi omet toutefois d’inclure explicitement le principe selon lequel chaque personne pourra désormais se fournir librement en électricité sur le marché, soit commander son courant auprès de n’importe quel fournisseur. La SIA réclame donc une adaptation dans ce sens.
La réglementation proposée en matière de séparation entre fourniture d’électricité et gestion du réseau laisse trop de marge à l’interprétation. Cette séparation (également appelée unbundling) revêt une importance primordiale et doit être fixée de manière contraignante et univoque. Le gestionnaire de réseau ne doit pas trouver d’intérêt à vendre lui-même du courant. Car une séparation insuffisante des activités entrave en dernière analyse l’autoproduction d’énergies renouvelables.
Mise en place de la régulation de la flexibilité
La SIA salue l’exploitation de la flexibilité existante pour l’achat et la livraison de courant, ainsi que la régulation proposée à cet effet. La mise en œuvre du principe de flexibilité doit intervenir de manière aussi simple que possible sans grand déploiement administratif. Les acteurs de la branche (AES, SIA et autres) doivent être subsidiairement associés à l’élaboration d’une solution ad hoc.
Établissement de la réserve de stockage
L’instrument d’une réserve de stockage permanente face à des situations d’approvisionnement délicates n’est pas absolument indispensable aux yeux de la SIA, il empiète à nouveau sur l’ouverture préconisée du marché. En cas de crise, l’intervention de l’Organisation pour l’approvisionnement en électricité dans les cas de situations exceptionnelles (OSTRAL) est déjà prévue – ce qui suffit à assurer la sécurité d’approvisionnement nécessaire.
La solution proposée privilégie en effet les gros exploitants de stockage, car ils sont les seuls à même de répondre aux appels d’offres destinés à garantir la réserve envisagée. De plus, cela crée des chevauchements avec la régulation voulue de la flexibilité, ce qui est contre-productif. Il est donc préférable de s’appuyer exclusivement sur la régulation de la flexibilitéet sur l’OSTRAL, en renonçant à la réserve de stockage.
Traitement égalitaire de toutes les techniques de stockage
De manière générale et quel que soit le dispositif de stockage adopté, le courant entreposé pour être réinjecté dans le réseau devrait être exempt de la taxe d’utilisation dudit réseau au moment de son relâchement. Cela incite à multiplier les moyens de stockage et accroît ainsi la flexibilité, ce qui favorise une charge plus régulière du réseau. Actuellement, seules les centrales de pompage-turbinage bénéficient d’une telle exemption.
Évolution de l’efficacité et de la régulation Sunshine
Pour vérifier les coûts des gestionnaires de réseau, la SIA préconise la rapide introduction d’une régulation incitative à la place de la régulation Sunshine jusqu’ici en vigueur. À l’étranger, on mise déjà largement sur un tel instrument, combiné à une régulation de la qualité. Des études ont confirmé la possibilité de le mettre en œuvre en Suisse également (étude sur le déploiement d’une régulation d’incitation en Suisse, BET Suisse AG, 17.12.2014).
Par ailleurs, l’étude de mai 2017 «Regulierungsfolgenabschätzung zur Revision des Stromversorgungsgesetzes» (analyse d’impact de la réglementation relative à la révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité) réalisée sur mandat de l’OFEN estime qu’une régulation incitative permettrait des économies annuelles sur les coûts de réseau entre 190 et 270 millions de francs.
Libéralisation des prestations de mesure
Tel qu’envisagé dans le projet de loi, le libre choix du prestataire de mesures réservé aux seuls acheteurs de courant qui soutirent plus de 100 MWh par an est difficilement compréhensible. Pour la SIA, tous les acheteurs devraient pouvoir librement choisir leur fournisseur de prestations de mesure. Des zones nouvellement urbanisées, de même que des ensembles assainis qui misent sur davantage de production locale d’électricité renouvelable dépendent en effet d’une telle latitude pour assurer la rentabilité de leurs investissements. Les nouveaux bâtiments disposent déjà de systèmes domotiques capables de mesurer les énergies et ces équipements seront à l’avenir capables de communiquer eux-mêmes les consommations enregistrées. Du point de vue économique, des systèmes de mesure dédoublés n’ont aucun sens.
Tarif local d’utilisation
La libéralisation du marché permet certes l’exportation de courant vers l’autre côté de la route, mais moyennant des taxes d’utilisation du réseau très élevées. C’est pourquoi la SIA réclame l’introduction d’un tarif local pour l’utilisation du réseau par des tiers. Cela créerait une forte incitation au développement d’énergies alternatives à usage local. Un tarif local allant dans ce sens n’inclut que les coûts du niveau le plus bas du réseau, à l’exclusion des parts imputables aux réseaux de niveau supérieur. En l’absence d’un tel tarif, la réglementation actuelle de l’autoconsommation conduirait à l’installation de réseaux parallèles peu rentables (pose d’une ligne privée jusque chez le voisin pour court-circuiter le pas- sage par le réseau existant).
Composante de puissance dans les tarifs d’utilisation du réseau
La SIA demande l’abandon de l’actuelle composante de puissance dans les tarifs d’utilisation du réseau et son remplacement par un tarif d’utilisation variable en fonction de la charge effective du réseau. On obtiendrait ainsi un meilleur équilibrage de cette charge, tout en évitant des développements inutiles.
Approvisionnement de base
Les gestionnaires de réseau ne devraient fondamentalement rien avoir à faire avec la fourniture d’électricité (unbundling). Ce principe doit aussi s’appliquer à l’approvisionnement de base. L’offre de base doit être réglée par le Conseil fédéral, par exemple par la mise en concurrence des fournisseurs d’électricité au niveau national ou à l’échelon cantonal. Dans le cadre d’un appel d’offres, il est possible de fixer une part minimale d’énergie renouvelable et d’établir ainsi le prix de marché déterminant; le détour par le prix du marché de référence deviendrait donc superflu.
Conditions-cadres légales stables à plus long terme
Au cours des dernières années, la loi sur l’approvisionnement en électricité a connu de nombreuses adaptations. Or, la constante modification des conditions-cadres qui en résulte retient l’ensemble des acteurs impliqués (gestionnaires de réseau, fournisseurs de courant, propriétaires d’immeubles, projeteurs, etc.) de concevoir des solutions axées sur le long terme et d’y investir.
Lukas Küng, Dr sc. techn. EPF/SIA, est membre du conseil d’experts Énergie de la SIA et parte- naire chez BG Ingénieurs Conseils SA
Peter Schuster, Dr sc. techn. EPF/SIA, est membre du conseil d’experts Énergie de la SIA et partenaire chez EBP Suisse SA