Un nomade dans la ville: le centre d'accueil pour migrants de Paris-Nord
En 2006, le collectif EXYZT transformait le pavillon français à la Biennale d’architecture de Venise en véritable Bed and Breakfast. C’est à une toute autre échelle que l’un des membres du collectif est intervenu pour réaliser le très médiatique centre d’accueil pour migrants porte de la Chapelle, à Paris, qui vient d'ouvrir ses portes jeudi 10 novembre.
La Mairie de Paris prend ses responsabilités face à l’afflux constant de migrants qui viennent échouer dans ses rues. Au mois de juin dernier, le campement qui s’étendait sous le métro aérien à La Chapelle a été évacué. La semaine dernière, alors que tous les objectifs étaient pointés sur la «Jungle» de Calais, ce sont plus de 3000 personnes qui ont été sommées de quitter la zone entourant la rotonde de la Villette. C’est là, au cœur du 18e arrondissement, que de nombreux migrants, venus de Syrie, d’Afghanistan, d’Erythrée ou du Soudan, trouvent leur quartier d’infortune, avant d’être dispersés, jusqu’au prochain regroupement. Il s’agit de la 26e évacuation du genre en une année. Ce flux et ce reflux incessants ont désormais intégré la machinerie urbaine. L’accueil des migrants devient aujourd’hui un programme architectural.
Un dispositif de l’urgence
Construit dans l’urgence absolue, le dispositif d’accueil des personnes migrantes est sur le point d’être inauguré. Réalisé en trois mois à peine, le centre devait être opérationnel avant l’arrivée du froid hivernal. Son ouverture a été plusieurs fois retardée par la commission de sécurité. L’évacuation d’un lieu sécurisé est complexe, surtout dans le contexte actuel.
Le «lieu d’orientation et de mise à l’abri» de La Chapelle est situé sur une parcelle désaffectée de la SNCF. Il tire parti d’une grande halle qui doit être démolie. L’architecte parle volontiers d’un «sas», par lequel les personnes transitent, s’informent et trouvent un peu de repos avant de gagner un centre d’hébergement. Le centre recevra jusqu’à 600 personnes à la fin de l’année. Il fonctionne avec trois mécanismes: un pôle d’accueil, situé dans une grande bulle gonflable de 1000 m2, un «pôle santé» installé dans des containers maritimes, enfin des maisonnettes en bois abritées dans la grande halle des trains.
Les façades de la halle ont été percées et des conduits de ventilation permettent de tempérer la gigantesque halle. A l’intérieur, les petites habitations de quatre personnes forment huit petits îlots. Les maisons en ossature bois sont réparties de manière à former des rues et des quartiers que les habitants pourront s’approprier, le temps de leur passage. Il s’agit de favoriser un peu de convivialité, des échanges et du repos. Plutôt qu’un «camp», le projet s’assimile à un petit bout de ville, avec ses lieux de rencontre, de sport, de détente.
Manifester la migration
La création d’un tel centre d’accueil pose évidemment des problèmes délicats de communication, dans un climat politique extrêmement tendu. Comment signaler la présence d’un centre d’accueil de migrants, sans provoquer une indécente récupération politique? Fort de son expérience dans l’événementiel1, Julien Beller a eu recours à la participation d’artistes et de plasticiens pour doter le site d’une identité propre, faire sentir aux visiteurs qu’une attention particulière a été donnée au centre.
Le seuil monumental du centre a été confié à Hans-Walter Müller. Cet artiste-architecte qui aimait à répéter que l’architecture doit mourir avec son utilisateur, prône depuis cinquante ans les vertus de l’architecture gonflable. Il a conçu pour le centre une sorte d’hybride entre la tente foraine et le ballon dirigeable – analogie souple qui évoque immanquablement la migration ou le voyage. Les automobilistes du périphérique reconnaîtront peut être la silhouette de ces tentes Quechua aux couleurs vives qui sont devenues l’emblème d’une nouvelle précarité urbaine.
La bulle gonflée, avec sa lumière intrigante, son climat intérieur et son ambiance sonore si particulière, agit sur les sens, produit une expérience qui marquera l’étape. De loin, elle crée un signe visible, une note colorée à l’entrée de la ville éphémère. Pour le visiteur informé, c’est tout un courant artistique qui est ainsi célébré: celui qui mène de l’art cinétique à la contre-culture architecturale au tournant de 1970. Cette fière structure aérienne nous fait revivre cette décennie où les expérimentations artistiques et architecturales ne se distinguaient pas. Elles accompagnaient une conception de la planification urbaine, qualifiée d’«utopique», qui était pourtant réaliste, participative et vécue dans l’immédiat.
Urbanisme nomade
L’originalité du projet réside dans son extrême modularité: toutes ces installations peuvent être démontées et déplacées, au gré des disponibilités. Le site de la Chapelle, réservé pour une autre affectation, devra en effet être évacué dans moins de deux années. Le projet fait écho à cet «encampement du monde» dont parle Michel Agier2 et qui a fait l’objet d’une exposition à la Cité de l’architecture et du patrimoine l’été dernier3: au monde habité, pérenne, s’oppose désormais la réalité mouvante du mode d’habitat provisoire, le campement, qui gagne du terrain dans le monde entier, et auquel nous nous habituons lentement.
Dans un scénario optimiste, le centre devrait bouger, «une ou deux fois, pas plus», dit l’architecte, avant de trouver le lieu où son programme se figera. Cela dépendra des relations tissées avec son environnement, le voisinage et les populations présentes. Julien Beller a travaillé auprès de Patrick Bouchain, et partage avec lui une réflexion sur le processus d’accompagnement qui fonde sa démarche4. « Ma pratique d’architecte ne s’arrête pas à la livraison du bâtiment, elle continue pour accompagner l’usage et adapter le bâti et la ville à ses usagers, au fur et à mesure.» La démarche peut être qualifiée d’urbanisme «flexible» ou «temporaire». Le foncier à Paris est généralement disponible et inexploité entre 5 et 10 ans avant qu’un chantier ne commence. Il serait judicieux, de développer systématiquement des programmes qui peuvent s’insérer dans ces espaces temporairement disponibles.
Le projet démontre ainsi qu’il est possible de construire dans une portion très dense de la ville, le 18e arrondissement de Paris. Cela à condition d’accepter de jouer selon les règles d’un urbanisme de l’éphémère, et donc d’adapter les outils de planification. Le centre de La Chapelle s’inscrit dans un urbanisme de la mutation qui accompagne celle de la société, toujours plus rapide. Cette méthode préfère les transformations incrémentales5, qui avancent petit à petit, au lieu d’opérer par de grands sauts planifiés qui risquent d’être refusés par la population locale. «On n’est pas sûr de ce qui va être au bout, explique Julien Beller. Du coup on essaie, on teste. Ça peut rester ou ça peut bouger. Cela permet une expérimentation, une appropriation, plutôt que de décider à partir d’une feuille blanche.»
Notes
1. Julien Beller est cofondateur et animateur de plusieurs associations, comme le 6B, un lieu de création à Saint-Denis ou le collectif EXYZT, qui construit des architectures éphémères et festives en s’appropriant des espaces délaissés dans différentes villes européennes.
2. Michel Agier. Un monde de camps. Paris: La découverte, 2014.
3. Fiona Meadows (éd.) Habiter le campement : nomades, voyageurs, contestataires, conquérants, infortunés, exilés. Paris : Cité de l’architecture et Arles: Actes Sud, 2016.
4. Julien Beller a notamment participé à la transformation du pavillon français en « Metavilla » pendant la Biennale d’architecture de 2006.
5. C’est le terme qu’emploie volontiers Lucien Kroll pour qualifier ses opérations. Voir Laurence Castany, « Lucien Kroll, architecte incrémental ». TRACES n° 07/2013 : L’habitat collectif expérimental.