Un tramway à Lausanne
La nouvelle ligne de tramway lausannoise t1, qui relie dans un premier temps Renens-Gare au Flon et dont la mise en service est prévue en 2018, est l’une des mesures phares du projet d’agglomération Lausanne-Morges (PALM). Axe structurant, il doit accompagner, voire précéder, l’extension vers l’ouest du centre de Lausanne. Le tram devient ainsi, comme dans de nombreuses villes européennes, un véritable outil d’aménagement du territoire.
Si certains exemples récents peuvent laisser penser le contraire, la transformation des villes connaît son propre rythme, plus ou moins lent selon le contexte économique, social, politique et idéologique, fait de soubresauts, d’inerties, d’accélérations, d’abandons et de redécouvertes. L’histoire du tramway, et plus précisément celui de Lausanne, est un bon exemple de ce développement urbain par à coups.
C’est à la fin du 19e siècle que naissent les tramways lausannois. Le premier réseau, formé de six lignes, s’étendait sur une longueur de 7,2 km et couvrait la ceinture historique de la ville, la ceinture «Pichard». Il reliait aussi les quartiers extérieurs à la gare CFF ou à Saint-François. Ce réseau connaît son apogée en 1933 avec 66,2 km desservis. C’est à partir des années 1930 qu’il va être petit à petit démantelé pour laisser la place aux trolleybus considérés comme plus adaptés à la typologie lausannoise ils permettent une vitesse plus soutenue sur les fortes pentes et surtout compatibles avec l’essor important de l’automobile. C’est l’exposition nationale de 1964 et ses aménagements routiers qui enterre la dernière ligne reliant alors Renens à la Rosiaz en passant par St-François.
Un tram d’agglomération
Ironie de l’histoire, c’est sur un tronçon presque similaire que le tramway va faire son grand retour dans la capitale vaudoise. Comme le soulignent plusieurs auteurs1, le renouveau des lignes de tramway en Europe est étroitement lié à l’émergence de l’agglomération en tant qu’échelle urbaine; il devient ainsi l’une des pièces maîtresses des grands projets urbains, «l’épine dorsale» des agglomérations2. La Suisse ne déroge pas à la règle. La politique d’agglomération de la Confédération est issue d’un constat bien connu maintenant, celui de l’exode urbain, de la suburbanisation et des problèmes de transports et d’environnement. Mise sur pied en 2001, elle vise, dans ses grandes lignes, à soutenir l’attractivité économique des zones urbaines, à assurer aux habitants de ces dernières une qualité de vie élevée, à maintenir un réseau polycentrique de villes et d’agglomérations et à limiter l’extension territoriale des zones urbaines en favorisant le développement de l’urbanisation à l’intérieur d’un périmètre délimité. Pour concrétiser et mettre en oeuvre cette politique fédérale, les Cantons et les agglomérations ont pu déposer en 2007 des projets d’agglomérations de première génération sur le thème «transports et urbanisation». 26 projets ont satisfait aux critères d’appréciation et ont reçu des ressources financières provenant d’un fonds d’infrastructure fédéral. Le projet d’agglomération Lausanne-Morges première génération en fait partie. Tablant sur une croissance démographique de 70000 habitants et 43000 emplois d’ici à 2030, le PALM s’est donné quatre objectifs qui, soit dit en passant, se retrouvent dans presque tous les projets d’agglomération première génération: le développement d’un milieu urbanisé plus compact, la concentration du bâti aux endroits bien desservis par des transports publics, la mixité fonctionnelle des affectations et la valorisation des sites ayant une valeur architecturale,culturelle et naturelle.
Pour y répondre, les autorités concernées ont notamment misé sur les transports publics, projetant un réseau le «réseau-t» basé sur des «axes forts»3 qui relieront les communes de l’est lausannois et celles de l’ouest en passant par le centre-ville. Ce réseau se fera en plusieurs étapes. La première comprend un tronçon du nouveau tramway (t1) ainsi que cinq tronçons de ligne du bus «à haut niveau de service»4 dans l’est et l’ouest de l’agglomération et en ville de Lausanne. Le premier tronçon du tramway (t1) devra relier dès 2018 Renens-Gare à la Place de l’Europe, au Flon, desservant huit arrêts dans des quartiers qui connaîtront pour certains de profonds renouvellements (l’ancien site des abattoirs de Malley, par exemple) et pour d’autres une forte densification. Le choix de cet axe structurant n’est pas sans conséquences sur le reste du réseau, notamment parce qu’il nécessite, selon les autorités, la piétonisation du haut de la rue de Genève, au Flon. La crainte d’un report du trafic automobile sur le Grand-Pont, incompatible avec la mise en place de lignes de bus à haut niveau de service, a entraîné le choix de fermer ce dernier à la voiture, sur un tronçon allant de Chauderon à la place St-François. Enfin, afin d’éviter la surcharge de trafic sur la petite ceinture lausannoise que provoqueraient les choix précédents, une nouvelle route reliant la rue de Vigie à l’avenue Jules-Gonin, près de Montbenon, accompagne cette grande refonte des transports publics lausannois.
Mise en consultation l’été dernier, cette première partie du «réseau-t» ne fait pas l’unanimité. Si la réinsertion du tramway en ville de Lausanne semble acquise, la piétonisation d’une partie de la route de Genève et du Grand-Pont est largement contestée, notamment par les commerçants du centre ville. Les contestations se concentrent également autour du nouveau tronçon routier Vigie-Gonin, dont l’existence semble plus tenir de la volonté de ménager le chou et la chèvre que de celle de réellement vouloir repenser la manière de se déplacer en ville. La mise en place des axes forts voulus par les autorités pose indiscutablement la question de la circulation automobile en ville. Cette problématique mérite plus qu’une simple mesure d’accompagnement.
L’urbanisme du tramway
Mais, au-delà des questions purement locales que peut engendrer ce projet, il souligne l’importance prise par les transports publics et notamment par le tramway dans le renouvellement du territoire. Il n’est plus considéré comme un simple moyen de transport, mais il acquiert une plurifonctionnalité. Il devient l’outil incontournable des autorités dans leur projet de revalorisation des villes. Comme le souligne Belinda Redondo, les projets de tramway prennent appui sur les différentes échelles urbaines. Il participe à la restauration des centres-villes et veut redonner de la place au citadin. A l’échelle de l’agglomération, il est le vecteur principal de la nouvelle morphologie urbaine qui voit s’étendre le centre des villes et se créer des polarités périphériques fortement desservies par les transports publics.
Sans nier les apports indéniables de ce mode de transport sur la fabrique de la ville d’aujourd’hui, il est toutefois permis de questionner l’engouement des autorités pour le tramway. Nombreux sont les exemples où il a renforcé les disparités spatiales en créant des quartiers bien desservis et d’autres qui le sont moins. Il peut également générer des phénomènes de muséification et de gentrification quand son arrivée au centre-ville est accompagnée d’une piétonisation radicale. S’il est indéniable que le tramway participe à l’élaboration d’une certaine forme d’urbanisme, il ne peut et ne doit pas être considéré comme un simple outil d’embellissement. Le tramway doit faire parti d’un plan global de redéploiement des transports en commun, c’est sa condition de réussite.
Notes
1 Belinda Redondo, «Tramway et territoire: quel urbain en perspective?», Revue Géographique de l’Est [en ligne], vol. 52 / 1-2, 2012 ; Jacques Stambouli, «Les territoires du tramway moderne: de la ligne à la ville durable», Développement durable et territoires [en ligne], Dossier 4, 2005
2 Belinda Redondo, ibid.
3 Le PALM définit les «axes forts» comme «des lignes de transport public performantes qui bénéficient de voies réservées et de la priorité aux carrefours, leur assurant ainsi une régularité dans les cadences et une vitesse d’exploitation supérieure à celles d’aujourd’hui», réseau-T, n° 1, septembre 2010
4 Les bus à haut niveau de service sont des lignes exploitées comme des tramways, circulant majoritairement sur des voies réservées et bénéficiant de la priorité aux carrefours. Ils ne s’arrêtent ainsi que pour prendre ou déposer des voyageurs.