Une dalle mi­né­rale bas car­bone: bien plus qu’une idée por­teuse

Une dalle minérale précontrainte est actuellement à l’étude, soutenue par la plateforme Viva de l’État de Vaud qui vise à encourager l’économie à prendre la voie de la durabilité. Le projet réintroduit les réflexes d’une circularité, épargne les ressources en eau, sable, granulat et acier, sans pour autant renier le langage du béton.

Date de publication
25-10-2024

Cela paraît tout à la fois révolutionnaire et archaïque ! Quatre parties prenantes – les architectes Itten & Brechbühl (IB), la coopérative 2401, ainsi que les entreprises VSL Suisse et Marti Construction – entament une collaboration pour développer une dalle précontrainte utilisant la ressource minérale de demain : la pierre naturelle ou le béton de réemploi. Les partenaires réfléchissent à un processus constructif alternatif, qui relève de calculs simples afin d’agir sur un poste émissif en carbone : la structure (environ 40% de l’impact global d’une construction sur la durée de vie). Pour exercer un réel impact, la solution doit fonctionner dans différentes configurations géométriques et être facilement réplicable à grande échelle. Selon Arnaud Paquier, expert en durabilité chez IB et l’un des concepteurs du projet, l’effort exigé pour atteindre la neutralité climatique dans la construction s’exerce actuellement sur les fournisseurs de produits et les consommateurs finaux. Or, entre les deux extrémités se trouvent une chaîne de valeur qui peut et qui doit réagir à des exigences alignées sur les défis du siècle: limiter les émissions de gaz à effet de serre et abaisser l’énergie grise. Historiquement, le secteur de la construction est rétif au changement; il bouge peu et lentement. Il est donc difficile d’initier des transformations profondes et durables, les innombrables normes et règlements étant perçus comme un facteur sclérosant. Mais plutôt que de rejeter le système actuel basé sur l’emploi massif de béton armé, ce partenariat composé de deux bureaux d’études accompagnés de deux entreprises table sur des règles connues par la majorité des acteurs de la construction, afin de sauter l’étape zéro de la page blanche et accélérer l’adoption de pratiques décarbonées. Récemment, les ingénieurs du bureau Muttoni et Fernández rappelaient dans nos colonnes l’importance d’une approche holistique intégrant la conception structurale pour parvenir à des pratiques plus durables1 ; l’équipe de ce projet donne, elle, quelques avantages aux dalles minérales par rapport aux dalles en bois ou mixte, en bois-béton ou bois-terre2. Ces alternatives écologiques auraient, selon elle, trois grands inconvénients : elles sont plus épaisses, moins susceptibles de lisser les variations de chaleur par effet d’inertie et seraient moins isolantes acoustiquement. Chercher un potentiel d’amélioration dans la seule optimisation de structures en béton armé est également écarté par le quatuor. En effet, le manque de ressources primaires entraînerait déjà une hausse des importations de matière première en Suisse, tandis que l’obtention de permis d’exploitation pour de nouveaux sites d’extraction est de plus en plus ardue. Si l’industrie suisse a établi une feuille de route pour un ciment climatiquement neutre (basée sur la compensation des émissions géogènes par captage et utilisation de carbone, ou par captage et stockage), la technologie balbutiante ne pourrait être mature qu’à l’horizon 2050.

Un processus opérationnel avant 2030

Il fallait donc imaginer une alternative à la seule décarbonation par l’industrie du ciment, prévue sur un temps relativement long. En alliant ses complémentarités, l’équipe de projet se met à imaginer une dalle précontrainte d’une portée allant de 3 à 7 m, soit l’assemblage de parties minérales provenant de réemploi de béton mais, aussi, de carrières de pierre naturelle. L’empreinte carbone d’une telle dalle baisserait alors de 70-80 % par rapport à une solution standard (en tenant compte de l’acier du système de précontrainte), ce qui est considérable. Mais l’objectif est triple. Outre l’impact environnemental, le prix et la performance devraient concurrencer les solutions standards. Et pour que le processus soit adopté avant 2030, la mise en œuvre doit être simple à reproduire. Les outils et techniques du maçon, levage et pose d’éléments préfabriqués, sont ainsi, dans un premier temps, repris en l’état, tandis que les hypothèses de calcul relevant de la vérification structurelle s’appuient sur des bases élémentaires.

Mise en œuvre avec ou sans préfabrication

L’élément modulaire mesure 1.25 × 2.32 × 0.18 – 0.28 m, l’épaisseur variant en fonction de la portée. Il est compatible avec la trame d’une façade et le calepinage accompagnant les techniques intérieures. Avec environ 800 mio t de béton coulé jusqu’à présent en Suisse, cette potentielle ressource devrait fournir la matière du réemploi, avec des avantages évidents: un fluage moindre comparé à une dalle coulée sur place, aucun retrait et une fissuration presque inexistante. Deux rainures sont découpées en longueur sous la dalle pour accueillir les câbles de précontrainte. L’assemblage des blocs peut se faire aisément en atelier, puis être transporté par camion. Il peut également se pratiquer directement sur le chantier avec une mise sous tension des câbles sur place. La mise en œuvre d’une bande de mortier en tête de dalle assure la continuité entre la verticalité des porteurs et l’horizontalité de la dalle. Et, en fin de vie, les éléments sont sciés et réintègrent un nouveau cycle en redevenant plancher. Le réemploi, conçu en amont comme ici, simplifie la circularité de la matière qui va prendre de la valeur au fur et à mesure que la ressource primaire s’amenuise.

En pierre naturelle ou en béton de réemploi

Les roches dures prélevées en Suisse sont actuellement concassées pour servir comme ballast ferroviaire ou comme granulats à béton. Or, elles se caractérisent par une très haute résistance à la compression, qui est plus de 2.5 fois supérieure à celle du béton classique. Cela signifie qu’une partie des roches résistantes, comme le calcaire siliceux par exemple, fournies par la carrière d’Arvel, à Villeneuve (VD), sont broyées pour intégrer une nouvelle matière, après avoir subi un long processus industriel qui n’améliore pas leur comportement en compression. Revenir à plus de sobriété, en privilégiant une provenance de quelques kilomètres qui minimise le nombre de transports implique de redonner de l’importance à la pierre locale et à sa solidité naturelle. Selon les auteurs de l’étude, le potentiel du gisement serait aussi important que pour le béton de réemploi, estimé à plus de 2.5 mio t disponibles annuellement en Suisse.

Les prochaines étapes   

Les études de faisabilité n’ont pas encore dépassé le stade théorique. Cependant, un prototype d’une portée de 6.5 m doit être construit à l’automne, comprenant deux rangées de béton de réemploi et deux rangées de pierre naturelle. «Les planchers qui travaillent en poutres devront proposer une certaine versatilité pour s’appliquer à un maximum de cas, y compris les cas particuliers», nous explique Julien Pathé, ingénieur civil de la coopérative 2041. L’idée est de pouvoir ensuite vérifier la qualité des joints et l’adéquation du mortier, étudier le mode de rupture et définir la charge de dimensionnement d’un point de vue normatif. Le chemin est-il encore long ? Non, pas tant que ça, nous répond-on. Les partenaires sont très confiants sur la fiabilité de l’hypothèse de départ : proposer rapidement une dalle minérale réplicable à grande échelle, qui économiserait les ressources. On ne peut qu’applaudir.

Notes

 

1. Duarte Viula Faria, Antonio Garcia et Miguel Fernandez Ruiz, «Développement durable: quelle direction prendre dans nos projets?», TRACÉS 7/2023

 

2. Par exemple les systèmes d’hourdis proposés par rematter ou terrabloc.

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