Une Go­Pro au bout d’une perche à sel­fie

GoPro ou selfi? Entre ces deux machines à dorer l'égo, le coeur d'Eugène balance...

Date de publication
18-09-2014
Revision
19-10-2015

Soyons simple. Le 21e siècle se divise en deux catégories : ceux qui filment le monde et ceux qui se filment eux-mêmes dans le monde. GoPro contre selfie.
A ma gauche, sa Majesté du sport, la Reine de l’extrême et de l’adrénaline : la caméra GoPro. Un géant qui a fait une entrée triomphale en bourse, en juin 2014. L’aventure commence en 2001, en Californie. Un chômeur nommé Nick Woodmann (ne méprisons pas les chômeurs, ils finiront peut-être milliardaires) voulait se filmer lui-même en train de surfer. Il bricole un système de sangles permettant d’attacher une caméra antichoc à son front ou son corps. Ses copains surfeurs adorent les vidéos produites. Woodmann fonde aussitôt Woodmann Labs et fabrique des prototypes plus performants. L’étape suivante est redoutablement intelligente : il les distribue gratuitement aux surfeurs. Ceux-ci se croient au service de leur propre égo, mais en réalité ils bossent pour la popularisation d’un nouveau produit. Les grands bronzés huilés de la Côte Ouest et d’Australie postent sur YouTube leurs plus belles vidéos. La communauté de fans de l’extrême suit le mouvement et inonde les réseaux sociaux de leurs exploits. La GoPro se fixe partout : sur un casque de moto, sur un skateboard, sur un sac à dos de parachutiste ou un masque de plongée. Les magasins spécialisés en vendent des milliers. Puis les grandes surfaces des millions. 
Sommet (c’est le cas de le dire) du phénomène GoPro : le 14 octobre 2012, l’Autrichien Félix Baumgartner saute d’une hauteur de 39 kilomètres et déclenche son parachute après plus de quatre minutes de chute libre. L’Icare a filmé son vol avec… une GoPro bien sûr. 
Certes, le monde est fini ; il n’y a ni continent ni atoll à découvrir. La seule nouveauté possible est dans la manière de le filmer. On redécouvre un monde : le nôtre. 
D’ailleurs, la GoPro quitte peu à peu le champ de l’exploit sportif, pour envahir notre quotidien. Des musiciens en fixent au bout du manche de leur guitare ; une maman s’attache une GoPro sur le front et filme ses recettes de cuisine ; un papa fixe une GoPro sur une balançoire et montre à la Terre entière à quel point son petit garçon est doué. 
Du préau au sommet de l’Everest, la GoPro est partout. 
A ma droite, le prince des gadgets, le roi de l’égo-centrisme : la perche télescopique à selfie. Et oui, tenir son smartphone au bout du bras pour s’immortaliser au restaurant ou sur une plage ne suffit plus. Pour avoir plus de recul et photographier aussi le paysage autour de son propre visage, on fixe désormais son smartphone au bout d’un bras télescopique d’un mètre. Le modèle s’appelle Me-shot Deluxe, fabriqué par Xsories, le spécialiste des accessoires high-tech. Evidemment, comme notre doigt ne mesure pas un mètre, il est indispensable d’acquérir une télécommande Bluetooth. L’homme augmenté dans toute sa splendeur technologique. 
Me-shot Deluxe : quel nom délicieusement révélateur ! Après la Renaissance, le baroque, le néoclassicisme, la modernité et le postmoderne, voici l’âge du Me-shot Deluxe.
GoPro ou perche à selfie : choisis ton camp, camarade. 
Mais au fond, pourquoi choisir ? Les deux engins sont des excroissances du même Dieu unique : l’égo. Qu’on filme ses exploits ou qu’on photographie son visage, on ne fait que parler de soi. 
J’ai pensé à un moyen de réunir ces deux icônes de notre temps. Prenez une perche à selfie. Attachez-y votre smartphone. A l’autre bout, fixez une GoPro. Un smartphone qui photographie une GoPro qui filme un smartphone qui photographie une GoPro qui…
Quel beau siècle on s’est créé.

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