Une réponse concrète aux critiques faites au concours d'architecture
Propos recueillis par Cedric van der Poel
Prise de position: la section fribourgeoise de la SIA propose des mesures pour faire évoluer la norme SIA 142-143.
Avec l’exposition «Le concours une valeur ajoutée», la section fribourgeoise de la SIA ne s’est pas contentée de présenter une très belle exposition sur le patrimoine bâti du canton à travers 150 ans de mises en concurrence, elle répond aussi aux critiques actuelles faites au concours avec trois propositions très concrètes : 1) l’ajout aux critères de certification de la Commission 142-143 de la SIA d’une étude préliminaire ; 2) la mise en place d’un formulaire standardisé et centralisé permettant de comparer la compacité des projets ; enfin, 3) l’extension de la responsabilité du jury à la phase d’avant-projet. Développement avec Alexandre Clerc, architecte et vice-président de la section fribourgeoise de la SIA.
Tracés : A travers 29 projets d’architecture, l’exposition «Le concours, une valeur ajoutée» jette un regard historique sur plus de 150 ans de mise en concurrence dans le canton de Fribourg. C’est une démarche relativement rare pour une section cantonale de la SIA…
Alexandre Clerc : C’est vrai. L’idée de cette exposition repose sur un constat qui nous a inquiété et auquel nous avons voulu répondre : le hiatus grandissant entre les professionnels et les maîtres d’ouvrage institutionnels ou privés sur la perception du concours. Si, au sein de la profession, nous sommes presque tous d’accord pour reconnaître l’importance du concours d’architecture et d’ingénierie dans la qualité de notre patrimoine bâti, de plus en plus de maîtres d’ouvrage le considèrent comme une contrainte liée à la loi sur les marchés publics qui ralentit et augmente le coût de la procédure. Avec cette exposition de 29 projets d’architecture issus de concours organisés dans le canton de Fribourg depuis plus d’un siècle, nous avons voulu recentrer le débat sur le bâti et relever l’apport de cette vénérable et admirable institution à la qualité de notre cadre de vie. Il nous a dès lors paru clair que l’approche historique était la meilleure.
Lors de la table ronde organisée par la Coordination romande de la SIA pour la clôture de l’exposition, d’autres griefs ont été avancés contre les concours : notamment la non prise en compte de l’aspect financier dans les procédures et lors de la phase de jugement ou encore le risque que le choix du jury se porte sur des architectes inexpérimentés. Est-ce justifié ?
Tout d’abord, je pense que la profession se doit d’entendre ces critiques et d’y répondre.
Ensuite, chacun doit prendre ses responsabilités. Concernant la lenteur de la procédure, il s’agit d’une critique qui peut être renvoyée au maître d’ouvrage et à un manque d’anticipation dans la planification.
Par contre, quant aux aspects économiques et financiers, notre profession doit être consciente et tenir compte de la pression budgétaire subie par les entités publiques. Leurs charges augmentent beaucoup plus rapidement que leurs revenus fiscaux ou que les subventions cantonales et fédérales qui ont, elles, tendances à diminuer. Elles doivent constamment offrir plus de services avec de moins en moins de moyens.
Nous devons faire notre autocritique et revoir nos exigences. Nous ne pouvons plus projeter une école comme un musée. Dans les années 1970, le système du Centre de rationalisation et d’organisation des constructions scolaires (CROCS) a donné de très bons résultats à des coûts tout à fait raisonnables.
La section fribourgeoise a décidé de ne pas ignorer ou balayer d’un revers de main ces critiques, mais d’y répondre très sérieusement et concrètement. Ainsi, parallèlement à l’exposition, nous proposons trois nouveaux critères pour obtenir la certification des concours par la commission SIA 142-143.
Quels sont-ils?
Le premier critère concerne la phase préparatoire du concours. L’étude historique menée par Christoph Allenspach et l’expérience dans le domaine révèlent que la réussite d’un projet repose amplement sur la phase préparatoire de la mise en concurrence. Cette phase préalable devrait prendre la forme d’une analyse précise du contexte (géotechnique, état des bâtiments à transformer, à agrandir ou à démolir, etc.), permettre de cibler les besoins du maître d’ouvrage (programme des locaux, définition du standard de construction souhaité, etc.) et également de déterminer l’ampleur des aménagements extérieurs. C’est seulement sur la base de cette étude préalable qu’un cahier des charges peut être établi. Cette étude préliminaire devrait aussi permettre d’établir un cadre budgétaire des coûts crédible pour se rendre compte de la faisabilité financière d’un projet. Nous préconisons donc que cette étude préliminaire soit un critère de la certification du concours par la SIA.
Le deuxième critère que nous souhaitons ajouter à la certification répond à la critique récurrente de l’aspect financier. Pour une meilleure prise en compte des coûts lors du jugement des concours, nous pensons qu’un jury qui bénéficierait d’informations contrôlées sur les surfaces (nettes, brutes, de plancher, de toiture, de façade, etc.) et les volumes pourrait délibérer plus facilement, notamment sur les aspects économiques, en vérifiant la concordance avec l’étude de faisabilité et les coûts annoncés initialement.
Ce fichier standardisé et national – une sorte de base de données générales centralisées après chaque procédure de concours au service de certification de la SIA – permettrait de comparer la compacité des projets et d’établir des ratios de proportionnalité.
Enfin, le troisième critère concerne l’éventuelle inexpérience du bureau choisi pour le développement du projet. Plus généralement, la complexification de notre profession et l’augmentation des exigences envers les maîtres d’ouvrage, notamment techniques et environnementales, rendent le développement des projets de plus en plus lourd et difficile pour de jeunes bureaux. Nous proposons donc que la responsabilité du jury ne s’arrête pas au choix du lauréat, mais s’étende aux premières séances de la phase d’avant-projet. Le jury – ou une délégation du jury – doit pouvoir accompagner le projet depuis la validation du programme du concours jusqu’à la supervision étroite de la phase d’avant-projet. Cet accompagnement permettrait une transmission directe des enjeux du maître d’ouvrage et faciliterait l’intégration du lauréat dans le processus. Le jury pourrait ainsi aborder sans retenue les enjeux financiers.
Vous n’êtes pas les premiers à proposer une évolution de la norme SIA 142-143 – je pense notamment à l’appel d’Einsiedeln signé par quelques personnalités de l’architecture suisse, et qui ouvrait une réflexion profonde sur les concours d’architecture. Avec vos propositions très concrètes, pensez-vous avoir plus d’impact sur la Commission SIA 142-143?
Non. Il y a plus d’une année, les membres de cette commission sont venus nous rendre visite à Fribourg. Nous leur avons fait part de nos préoccupations et de nos propositions, qui n’ont malheureusement pas été entendues. Nous avons donc décidé de ne pas attendre une éventuelle évolution de la norme et de mener une sorte de projet pilote sur le canton de Fribourg. Nous allons essayer d’appliquer ses critères dans les futures procédures qui y seront lancées et d’en évaluer les conséquences. Si elles sont positives, peut-être que nous arriverons enfin à nous faire entendre jusqu’à Zurich.