À voix haute, ingénieur·es!
Les défis de politique intérieure liés peu ou prou à l’ingénierie sont foison: souveraineté énergétique, essor de l’électromobilité et sécurité de l’approvisionnement électrique, contre-projet indirect à l’initiative sur les glaciers et référendum, révision de la loi sur la protection de l’environnement (LPE) en réponse à l’initiative parlementaire «Développer l’économie circulaire en Suisse». Au vu des incertitudes que font peser tensions géopolitiques et enjeux économiques ou climatiques, 2023 promet de houleux débats.
Ainsi, alors que l’année électorale a débuté, faire entendre la voix qualifiée des ingénieur·es sur leurs thématiques de prédilection revêt une importance primordiale, face au chœur discordant de celles de certains lobbies ou personnalités ayant un accès privilégié à la tribune.
Or, bien qu’attendue, l’annonce par le député et ingénieur civil SIA Olivier Français (PLR/VD) de son retrait de la politique en octobre laisse un goût amer: après quatre législatures, ce poids lourd de la politique fera bientôt ses adieux à Berne. Un de moins sur qui professions et sections romandes de la SIA pourront compter pour défendre leurs intérêts.
Hier, le métier d’ingénieur·e – de l’ancien français engigneor – consistait à construire des engins de guerre. Aujourd’hui, en sus d’imaginer l’avenir, l’ingénieur·e doit anticiper son impact. Les attentes sont écrasantes: calculer, bien sûr, mais aussi décarboner, prolonger la durée de vie des ouvrages, établir des bilans énergétiques, s’inventer cartomancien·ne pour conseiller les maîtres d’ouvrage sur la façon d’atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique 2050, tout en évaluant l’acceptabilité des sacrifices auxquels consentir.
J’ai demandé à un ingénieur comment il voyait la tâche de la jeune génération. «Réinventer les volumes, optimiser la matière, faire avec l’existant, le disponible», m’a répondu Christophe Gosselin, un spécialiste matériaux travaillant sur le diagnostic d’ouvrages. Puis d’ajouter: «Tout comme les plus belles chansons sont les plus épurées, les édifices qui sortiront du lot seront alors discrets, atypiques et façonnés par le besoin de retrouver, non plus uniquement une fonction, mais un sens.»
Quel sens? Si bon nombre d’ingénieur·es s’engagent déjà, encore trop peu occupent les tribunes libres, répondent à des interviews, proposent des angles de spécialiste ou produisent des chroniques pour les médias généralistes. Par ailleurs, lorsque des avis émergent, ils ne résonnent souvent que pour un cénacle admiratif circonscrit aux réseaux sociaux professionnels. Alors que la raison d’être du quatrième pouvoir est de susciter le débat public et rendre possible la formation d’opinion! Alors qu’il suffit d’un courriel aux journalistes de la rubrique ou de l’émission concernées, voire à des politicien·nes soucieux·ses d’obtenir un éclairage sur un sujet technique pour déposer une proposition, intervention ou initiative parlementaire! L’absence de prise de parole laisse l’intérêt public à la merci des intérêts particuliers. Car la portée de l’action de l’ingénieur·e est bien politique. Leur tâche est de faire comprendre au législateur les défis et challenges techniques, afin que soient saisies leurs implications pour la société, l’économie et la planète.
Ingénieur·es, faites-vous entendre!