Ca­ba­nes de hau­te mon­tagne: con­strui­re sur la li­gne de crête

Article de cadrage du dossier thématique de numéro de décembre de la revue TRACÉS

Publikationsdatum
11-12-2023

La haute montagne est aux premières loges du réchauffement climatique. Ce qui n’est encore pour les sceptiques qu’un épouvantail brandi par des alarmistes est dans les hauteurs une réalité. L’image qui ouvre ce dossier en est le parfait exemple: même au-dessus de 3000 m d’altitude comme ici sur le glacier du Trient, les neiges n’ont aujourd’hui plus rien d’éternel. D’autant plus que la tendance s’accélère: sur la période 2022-2023, les glaciers suisses ont perdu 10 % de leur volume – l’équivalent de deux fois le lac de Bienne –, soit autant qu’entre 1960 et 1990, comme l’a récemment annoncé la Commission suisse pour l’observation de la cryosphère (CSC).

Cette évolution, conjuguée avec la disparition du permafrost, impacte directement la construction en haute montagne en déstabilisant les versants et en exposant les bâtiments à un risque accru de chutes de pierre, comme nous l’a expliqué le glaciologue et géomorphologue Ludovic Ravanel. Mais elle touche également l’exploitation des refuges de haute montagne. Certaines cabanes des Alpes suisses (Mutthornhütte et Rothornhütte) ont dû être abandonnées et seront reconstruites un peu plus loin, sur un terrain plus sûr. D’autres font face à une pénurie d’eau.

Ces changements touchent aussi à la pratique de la haute montagne : victimes d’écroulements ou de la disparition de la glace, certains itinéraires ont tout bonnement disparu – la face rocheuse à droite de l’image était il n’y a pas si longtemps encore une face neigeuse où bon nombre d’alpinistes romand·es ont émoussé leurs crampons. Pour faire face à cette détérioration du milieu, les alpinistes se sont adapté·es en décalant leur pratique de l’été au printemps, voire à l’hiver. Avec là aussi une influence sur l’exploitation des cabanes, dont l’usage comme les usager·ères évoluent: les randonneur·euses au réveil tardif se font plus nombreux·ses et côtoient les alpinistes lève-tôt; les traileur·euses parcourent en une course du soleil ce qui prend aux autres plusieurs jours. Le Club Alpin Suisse en est conscient et les membres de sa Commission des cabanes nous ont fait le récit des douze concours en cours et à venir pour accompagner ces évolutions. Mais à problèmes nouveaux, solutions nouvelles à apporter; les innovations se font rares, comme l’a écrit l’architecte Estelle Lépine, qui nous explique en quoi les refuges réalisés par Jakob Eschenmoser durant les années 1950-1970 étaient si avant-gardistes.

Construites dans des conditions extrêmes, les cabanes sont aujourd’hui aux avant-postes du réchauffement climatique, auquel elles tentent de s’adapter en se réinventant. On pourrait se demander si le jeu en vaut la chandelle et questionner la pertinence de continuer à construire en haute montagne aujourd’hui. Mais ces objets légers, autonomes, résistants, conçus avec inventivité et transformés, agrandis, reconstruits avec frugalité ont beaucoup à nous apprendre.

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