Re­port­ing from the Spa­nish Front, ar­chi­tec­tures in­ache­vées

Pour répondre à l’intitulé de la Biennale d’architecture «Reporting from the Front», le champ de bataille proposé par le pavillon espagnol – primé du Lion d’or – est celui du développement de l’architecture ibérique dans le contexte post bulle immobilière. Celui-ci se caractérise par le recul important d’une économie qui repose à outrance sur le secteur de la construction, et une réduction drastique de la commande tant publique que privée.

Publikationsdatum
14-07-2016
Revision
19-07-2016
Isabel Concheiro
Architecte, maître d’enseignement et responsable adjointe du Joint Master of Architecture, HEIA-Fribourg, et éditrice de la plateforme TRANSFER

Durant la période allant de 1998 à 2007, la croissance sans précédent du secteur de la construction en Espagne a concordé avec la production d’une architecture internationalement reconnue pour sa qualité1. Mais elle a surtout généré un paysage caractérisé par l’uniformité et la banalité de développements spéculatifs d’immeubles de logements et s’est distinguée par les excès tant formels que financiers d’un grand nombre d’équipements publics d’une viabilité souvent douteuse, dont certains sont demeurés inachevés suite à l’éclatement de la bulle.2

En revanche, la période actuelle, post-bulle, pourrait devenir un espace de référence affirmant des stratégies de projet renouvelées. C’est le postulat formulé par les commissaires Iñaqui Carnicero et Carlos Quintáns avec UNFINISHED, un appel à propositions ouvert aux architectes espagnols pour présenter un panorama «d’architectures nées du renoncement et de l’économie de moyens, pensées pour évoluer et s’adapter à des nécessités futures (…). Des projets qui comprennent l’architecture comme un ‹inachevé›, en constante évolution (...)»3

Architectures inachevées

C’est précisément cette idée d’architecture inachevée, dans sa double acception de processus interrompu et ouvert, qui constitue le fil conducteur d’une exposition qui soulève et apporte des réponses à deux questions principales: quels paysages la bulle immobilière nous a-t-elle laissés et quelles stratégies de projet peuvent naître de cette situation inédite?

Dans ce sens, l’espace central du pavillon présente un diagnostic des processus interrompus suite à l’éclatement de la bulle immobilière au moyen de sept essais photographiques donnant à voir des architectures inachevées, reflets des excès de la période précédente. En contrepoint, dans les salles latérales, sont exposées 55 réalisations récentes qui abordent la condition d’inachèvement, l’interprétant dans le sens d’une architecture ouverte, non conclusive et ajoutant une couche supplémentaire au contexte dans lequel elle s’insère.4

Cette sélection d’interventions mesurées, minimes dans certains cas, s’articule en neuf stratégies, allant de la plus élémentaire, la Consolidation, garantissant la pérennité d’un ouvrage existant, au Naked, soit la construction neuve avec des systèmes simples, dépouillés, en passant par la Reapropriation d’édifices existants pour des usages nouveaux, ou les Reassignments, soit la réutilisation et réinterprétation de matériaux et systèmes constructifs existants.

Au delà de la pertinence avec laquelle est abordé le thème de la Biennale et de la qualité des réalisations présentées, l’intérêt du pavillon réside aussi dans la conception austère, simple et effective du montage de l’exposition, qui met en valeur les projets et dialogue avec eux en s’astreignant à la même économie de moyens. Dans le même sens, chaque projet est présenté selon un mode descriptif sobre : une axonométrie et une seule photo. Ce dispositif illustre et met en avant le caractère inachevé, renforçant ainsi la cohérence du propos.

Stratégies post «crash»

Après les périodes d’excès et d’exploitation de ressources (apparemment) illimitées, les temps de crise induisent nécessairement des transformations, sinon des changements de paradigme. Dans le cadre d’une réflexion plus générale sur l’évolution et les changements disciplinaires, on se mets à regarder autrement ces contextes ayant connu la crise immobilière.5

Cette exposition témoigne de ces changements dans le contexte espagnol et donne de la visibilité à une réalité construite plus austère, loin des excès formels, programmatiques et financiers Elle montre la représentation collective d’un changement d’attitude et d’une réalité professionnelle qui se refondent autour d’une certaine frugalité. Ces changements sont visibles dans les réalisations montrées, mais également dans de nombreuses réalisations non exposées, qui s’orientent vers la réhabilitation, la récupération du paysage ou encore l’action participative.6 C’est ainsi que ce pavillon peut être perçu comme représentatif d’un large pan du travail des architectes espagnols.

Illustrant aussi cet état d’esprit de l’après, le dispositif d’exposition génère un instant d’une forte intensité lorsque la structure qui sert de support à la série de photos dans l’espace central s’élève, créant un espace pour la discussion, et accordant une certaine légèreté au poids dramatique de la situation pour la société espagnole. Alléger le fardeau de la crise, permettre que la légèreté des interventions montrées sédimente est sans doute l’une des contributions essentielles du pavillon espagnol.


Notes

1. Sur l’architecture espagnole durant la période des années 2000, voir catalogue de l’exposition On–Site: New Architecture in Spain, MoMA, 12 février - 1er mai, 2006, organisé par Terence Riley, The Philip Johnson Chief Curator of Architecture and Design, The Museum of Modern Art

2. Sur les conséquences physiques de la bulle immobilière des années 2000 en Espagne, voir CONCHEIRO, Isabel, «Interrupted Spain» dans After Crisis (Baden: Lars Müller Publishers, 2011). pp. 12-25

3. http://unfinished.es

4. Entretien avec Carlos Quintans, émission « Espacio de Arte », Correo tv, 23 juin 2016.

5. Le travail de Thomas Daniel, After the Crash: Architecture in Post-Bubble Japan (New York : Princeton Architectural Press, 2008) en est un précédent, présentant un panorama des changements fertiles qu’a connue l’architecture japonaise depuis le crash de 1989.

6. Voir aussi les projets présentés lors des deux dernières biennales espagnoles d’architecture et urbanisme (BEAU) intitulées Turning Point (XII BEAU) et Alternatives (XIII BEAU), www.bienalesdearquitectura.es.

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