As­sai­nis­se­ment in situ : Une al­ter­na­tive à l’ex­ca­va­tion

En permettant de renoncer à l’excavation et au transport de terrains pollués vers des lieux de traitement éloignés, l’assainissement in situ par extraction thermique des vapeurs du sol a offert, pour le cas présenté ici, une alternative intéressante en matière de dépollution.

Date de publication
17-08-2012
Revision
19-08-2015

Les solvants chlorés sont fréquemment à l’origine de pollutions. Accumulés dans les sols suite à de nombreuses activités artisanales et industrielles, ils affectent les eaux souterraines, les cours d’eau et l’air ambiant. En raison des profondeurs atteintes et/ou du contexte construit de la zone contaminée, du fait également des enjeux financiers, il est de plus en plus fréquent de rechercher des variantes à l’excavation des terres avec transport des déblais sur de longues distances pour leur traitement. Ainsi les procédés d’assainissement in situ (c’est-à-dire que les terrains sont laissés en place) se perfectionnent et se diversifient. Pour exemple, un site pour lequel au terme des investigations et d’une évaluation multicritère des variantes de traitement envisageables, l’assainissement a cours in situ par extraction thermique des vapeurs du sol.

Un site contaminé

Avant d’être démolie et remplacée par un parking public dans les années 1980, une usine a fabriqué pendant 50 ans des pièces métalliques qui étaient dégraissées avec des produits constitués d’hydrocarbures chlorés. Les eaux usées industrielles transitaient par un bassin de rétention maçonné. 
Récemment, il a été découvert que les organochlorés étaient parvenus à traverser le cuvelage et à se disperser dans les terrains encaissants pourtant très peu perméables (marnes limono-argileuses fermes à dures, voir encadré). Ainsi, plus d’une tonne de produit a formé une zone source d’environ 2 000 m2 en plan, jusqu’à 12 m de profondeur. En outre, les marnes étant, malgré leur faible perméabilité, le siège de circulations d’eaux souterraines, un panache solubilisé de plus de 10 000 m2 s’est développé dans la nappe de surface (fig. 2 et 3).
Ce cas illustre bien la grande capacité migratoire des hydrocarbures chlorés volatils, caractéristique encore inconnue il y a une vingtaine d’année, ainsi que leur toxicité. Afin de réduire les impacts sur les eaux souterraines à un niveau acceptable, l’autorité cantonale a exigé l’assainissement de la zone source.

Procédé d’assainissement

Il existe de nombreuses méthodes d’assainissement qui peuvent être combinées pour s’adapter le mieux possible au contexte particulier du site à traiter. Le choix est principalement fonction de la nature des sols et des polluants, de la répartition de la contamination, du délai imparti, de l’affectation de la zone (tab. 1). Les méthodes peuvent être classées en trois familles :
– traitement hors site : les terrains contaminés sont excavés et évacués vers des centres de traitement ou des décharges ;
– traitement in situ : les terrains sont laissés en place ; le polluant est soit extrait puis traité en surface, soit dégradé ou fixé dans le sol ;
– traitement sur site : les terrains sont extraits et traités sur le site ; puis ils sont réutilisés ou évacués.
Dans notre cas, il a été envisagé, en variante à la méthode par excavation avec traitement hors site, de recourir à un assainissement in situ par extraction thermique des vapeurs du sol (SVTE), ce en raison du contexte urbain et de la profondeur importante de la zone contaminée (12 m). Le procédé implique le chauffage des sols en place, au droit de la zone contaminée, jusqu’à une température supérieure au point d’ébullition des polluants. Ces derniers sont donc vaporisés, captés par un réseau de puits d’aspiration, puis traités. L’intérêt de la technique par rapport à d’autres méthodes in situ réside en des rendements de dépollution élevés (99 % d’abattement des concentrations), une uniformité du traitement, indépendamment des hétérogénéités de terrain et des disparités de distribution des contaminants (conductivité thermique), et une durée relativement courte (1 à 2 ans). 
Afin d’identifier laquelle des deux variantes possibles (hors site et in situ) étaient la mieux adaptée, une évaluation et comparaison multicritère a été conduite. Les critères techniques, sociaux, environnementaux et économiques pertinents ont été définis et pondérés en fonction de leurs importances relatives. 
Au terme de cette étude, la méthode par SVTE a été retenue. Les résultats en termes de quantités extraites et de concentrations résiduelles étant équivalents pour les deux variantes, ce sont les critères financiers qui ont été prépondérants. Mais les critères sociaux ont pesé dans le choix final. En effet, le terrassement à de telles profondeurs de matériaux fortement pollués par des composés toxiques s’accompagnait de contraintes lourdes : travaux spéciaux complexes induisant des nuisances sur le voisinage, mesures hygiènes et sécurité marquantes d’un point de vue médiatique (tente de confinement, travailleurs avec tenues spéciale et masques…). Au contraire, le procédé par SVTE est simple à mettre en œuvre et discret.

Descriptif de l’installation 

Le procédé exploite la conductivité thermique des terrains en plaçant, verticalement et à espacement régulier, des pointes chauffantes (résistances électriques) dans des tubages acier foncés dans le sol. Ces pointes, dont la consigne de température émise peut être réglée de 100 à 700° C, doivent porter les terrains au minimum à 100° C afin de provoquer l’évaporation de l’eau et ainsi atteindre la pollution piégée. 
Chaque pointe chauffante est encadrée de trois puits d’extraction connectés aux unités de traitement par un réseau de canalisations. Les vapeurs extraites transitent par un système de séparation des phases aqueuses et gazeuses (dévésiculeurs puis échangeur-condenseur). Ces deux phases sont ensuite traitées séparément, par filtres à charbon actif et stripping, avant rejet, respectivement au réseau communal et à l’atmosphère (fig. 5 à 7).
Afin de limiter le bruit le plus possible, l’ensemble des éléments générateurs de bruit (groupe froid, compresseur, turbine…) est capitonné dans des conteneurs insonorisés ou isolé par une paroi anti-bruit ; une expertise acoustique, conduite au stade du projet d’exécution, a permis de garantir la conformité des installations en matière de bruit. 
Enfin, des puits de rabattement des eaux souterraines sont répartis en périphérie de la zone traitée, ce qui permet d’augmenter l’efficacité du chauffage. Les eaux pompées sont traitées dans les mêmes installations que la phase aqueuse récupérée par SVTE.

Suivi d’assainissement

Ce type d’assainissement in situ nécessite un suivi et un réglage continu des différents paramètres identificateurs de l’évolution du traitement. Ainsi, les installations sont-elles équipées de nombreux capteurs permettant de mesurer les débits, les pressions, les températures et la qualité chimique des effluents, ce, de manière continue ou auto-répétitive. Les données récoltées sont dirigées vers un automate d’acquisition et de contrôle connecté à un ordinateur local équipé d’un logiciel de supervision et Interface Homme-Machine. Une connexion internet permet la gestion du système à distance. Aussi, l’installation ne requiert qu’un suivi humain sur site ponctuel.
Les travaux sont réalisés de concert par les entreprises GRS Valtech et Sovag, deux filiales du groupe Veolia.  L’assainissement a débuté en mai 2011 avec une mise en route progressive des installations de manière à mobiliser graduellement les polluants. Maintenant, il approche de son terme, ce qu’indiquent les trois critères clés pour apprécier son évolution (tab. 2).
Parmi la pléthore de résultats disponibles, mentionnons également ceux ayant trait aux impacts sur le voisinage.
Les tassements observés dans la zone chauffée, distante des bâtiments voisins d’au moins 20 m, sont de l’ordre de 1 à 2,5 cm, ce qui est conforme aux pronostics. Cela représente une déformation axiale estimée de l’ordre de 0,3 à 0,4 %. En dehors du périmètre chauffé, les variations de niveaux ne sont pas significatifs (± 1-3 mm). 
D’autre part, l’évaluation de la conformité des installations relativement au bruit, basée sur des mesures en fonctionnement, montre que la valeur de planification en zone résidentielle est largement respectée.
Enfin, les analyses récurrentes des effluents aqueux et gazeux, avant rejet respectivement au réseau communal d’eaux usées et à l’atmosphère, n’ont révélé aucun dépassement des valeurs légales.

Bilan : les conditions à la réussite et les réussites 

Comme pour la plupart des méthodes in situ et d’autant plus qu’il est relativement novateur, le procédé d’assainissement in situ par extraction thermique des vapeurs du sol nécessite des investigations, études et modélisations poussées pour s’assurer que l’objectif puisse être atteint et pour dimensionner correctement le système. Ensuite, et surtout dans sa phase de démarrage, un suivi spécialisé et rigoureux est indispensable pour régler les installations afin qu’elles s’adaptent le mieux possible aux caractéristiques des terrains locaux.
Pour mener à bien l’assainissement, le recours à des compétences diverses (géologue, hydrogéologue, ingénieur en environnement, thermicien, automaticien, modélisateur, …) en bonne synergie est essentiel tout au long du projet, ainsi qu’une volonté de tous les intervenants, y compris l’autorité cantonale et le maître de l’ouvrage. En contrepartie, le procédé s’est avéré simple à mettre en œuvre. Discret, il remplit ses objectifs dans un délai de moins de deux ans.

Fanny Larchet est ingénieure en environnement ENSG au bureau De Cérenville Géotechnique à Ecublens
Jérémie Crisinel, ingénieur civil EPF au bureau De Cérenville Géotechnique à Ecublens

 

 

Contexte géologique et hydrogéologique (ci-dessous)

 

Le substratum, d’âge secondaire, est constitué de calcaire karstifié, siège d’une nappe profonde utilisée pour l’alimentation en eau potable. Au-dessus et dès une profondeur de 40 à 50 m, les formations du Tertiaire forment une série sédimentaire composée de faciès divers, organisés en lentilles plurimétriques : marnes, conglomérats, calcarénites, calcaires. En sub-surface, la couverture quaternaire est formée de lehms limoneux sur 1 à 5 m d’épaisseur (dépôts continentaux et éoliens ayant subi une décalcification par évolution pédologique). Une nappe de surface, dont le toit se trouve à 2-3 m de profondeur, circule au sein des formations meubles, lesquelles sont très peu perméables (K = 10-6 à 10-8 m/s) et présentent à la fois des caractéristiques d’un milieu poreux et fissuré. Trichloréthylène, perchloréthylène : utilisations, propriétés et nocivitéCes deux organochlorés ont été massivement utilisés depuis 1930 environ jusqu’à la fin du vingtième siècle, ce principalement pour le dégraissage de pièces métalliques (ateliers mécaniques, horlogerie, usinage des métaux…), comme solvant de peinture, vernis… ainsi que pour le nettoyage à sec des vêtements. Plus denses et moins visqueux que l’eau, ils sont également solubles. Aussi, leur capacité de migration dans les aquifères est forte. En outre, leur volatilité entraine la formation d’un panache gazeux dans les terrains hors nappe. Actuellement, ils sont interdits à la vente pour les particuliers et ils tendent à être remplacés par des produits moins nocifs dans l’industrie. Cancérogènes (ce qui a été découvert dans les années 1990), ils irritent la peau et les muqueuses et sont toxiques pour le système nerveux central.  Effet du chauffage sur les propriétés géomécaniques des solsL’impact de sollicitations thermiques sur le comportement mécanique des sols a été évalué théoriquement au stade de l’évaluation des variantes d’assainissement. Il dépend de la nature des sols, de leur état de saturation et de leur niveau de consolidation. Ainsi, par exemple, sous l’effet du chauffage, un sable aura tendance à gonfler alors qu’il tasse pour une argile normalement consolidée. De plus, la phase liquide des sols (pressions interstitielles) peut également être affectée par le chauffage, suivant les conditions de drainage dans le milieu.
A priori pour les marnes limono-argileuses en présence, on s’attend aux phénomènes suivants : Le retrait d’eau aura pour le sol des effets équivalents à celui de la consolidation, à savoir qu’on évolue sur une courbe de consolidation qui tend à améliorer le sol. A noter que la vitesse de consolidation est accélérée d’un facteur de 3 à 4 du fait de la variation de viscosité de l’eau. 

Le retrait thermo-plastique sous chauffage induit des risques de tassement irréversibles qui peuvent être, selon la littérature, significatifs (de l’ordre de quelques centimètres). Il y a en outre un risque de tassement par dessication, du fait de la diminution du degré de saturation ; ce phénomène peut conduire à des apparitions de fissures entre des éléments de sol consolidés. La circulation de l’eau dans ces fissures pourra dégrader les sols consolidés et faire chuter, voire disparaître les termes de cohésion. L’impact d’un tel changement serait a priori faible en l’absence de terrassement. Après arrêt du système, un gonflement résiduel devrait se produire (de manière équivalente au cas œdométrique) ; en théorie, ce gonflement serait d’environ 10 à 15 % de celui du tassement.
Pour évaluer l’impact réel du chauffage des sols, il serait nécessaire de conduire une série d’essais en laboratoire (œdomètres avec contrôle de la température par exemple), couplés à des essais in situ suivant le contexte. Cela n’a pas été fait dans le cadre de ce projet car il n’y a pas de bâtiments suffisamment proches pour qu’il y ait un risque lié aux tassements induits par le chauffage des sols. Néanmoins, des repères de niveaux ont été implantés en début de chantier par un géomètre et sont régulièrement relevés.

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